Publicité
Décryptage

« Maman, je veux faire une école de jeux vidéo »

La France compte 37 millions de joueurs. Alors, forcément, cette industrie de passionnés a des arguments pour séduire les jeunes. Qui sont nombreux à tenter leur chance dans les écoles, puis les studios…

Les élèves de l'Enjmin en pleine action. Cette école du CNAM à Angoulême vient de fêter ses 20 ans. Elle a été créée sur le modèle de la Fémis, prestigieuse école de cinéma.
Les élèves de l'Enjmin en pleine action. Cette école du CNAM à Angoulême vient de fêter ses 20 ans. Elle a été créée sur le modèle de la Fémis, prestigieuse école de cinéma. (Joseph LE GALL - ENJMIN)

Par Laura Makary

Publié le 6 juin 2023 à 12:35Mis à jour le 6 juin 2023 à 18:27

Le déclic, Mass Effect, dans lequel, en 2148, les humains partent à la découverte de l'espace. C'est en se régalant sur cette trilogie qu'Aurore Bury a trouvé sa vocation. « C'est un jeu où l'on fait ses propres choix, qui ont des conséquences sur la trame narrative. On est acteur de son histoire, ce qui est rare dans les autres arts. J'ai eu envie de faire ressentir la même chose aux autres », se souvient-elle. Aurore termine son BTS informatique, puis choisit l'Institut de l'Internet et du multimédia, où elle se spécialise dans le « game design ».

Bonne pioche : l'étudiante s'y plaît jusqu'au bac +5. « L'école m'a fourni une bonne base, les projets m'ont permis de me constituer un portfolio. C'est ce qui est demandé pour trouver un stage, puis un travail, au-delà du simple CV », explique-t-elle. Aurore décroche un stage chez Ubisoft, puis un CDI en tant que game designer sur Just Dance. Son rôle depuis trois ans : développer le parcours et la personnalité des différents personnages, afin de favoriser l'immersion. « C'est exactement ce que je voulais faire : créer des histoires, des univers. C'est une belle opportunité de le faire aussi tôt dans ma carrière ! »

93 % des 15-24 ans jouent

Comme Aurore, des milliers de jeunes rêvent de travailler dans l'industrie des jeux vidéo. Ce n'est pas une surprise : 93 % des 15-24 ans jouent, dont la moitié de façon quotidienne, selon l'enquête 2022 du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL). Face à cet engouement, le nombre de formations a explosé. Entre les cursus publics et privés, disséminés dans toute la France, il peut être difficile de s'y retrouver.

Publicité

« Etant donné que l'on est dans du loisir, les parents se demandent s'il y a de vrais boulots, de vraies carrières derrière, explique Stéphane André, directeur général de Rubika, basé à Valenciennes. Alors, évidemment, un jeune diplômé ne sera pas tout de suite le créateur du nouvel Assassin's Creed, mais nos étudiants trouvent tous du travail, avec un taux d'emploi de 95 %. »

« Une industrie à part entière »

Depuis quelques années, les enseignants observent un changement de mentalité et moins de stéréotypes négatifs autour de cet univers. Deux éléments l'expliquent. Les parents sont souvent eux-mêmes joueurs (70 % des Français le sont au moins occasionnellement, avec une moyenne d'âge de 39 ans, selon le SELL). Et le marché français du jeu vidéo ne cesse de croître, dépassant les 5 milliards annuels de chiffre d'affaires.

L'école Rubika, basée à Valenciennes, affiche un taux d'emploi de ses diplômés de 95 %. Rubika

L'école Rubika, basée à Valenciennes, affiche un taux d'emploi de ses diplômés de 95 %. Rubika

« Il y a toujours une connotation négative, [le jeu vidéo] n'est pas vu par certains comme de l'art. Cependant, cette vision s'est nettement améliorée par rapport à il y a trente ans, quand j'ai commencé. Les gens ont conscience que c'est une industrie à part entière. Et quand je leur dis que ce secteur rapporte deux fois plus que l'automobile, cela rassure », indique Dominique Peyronnet, directrice du campus ArtFX de Montpellier. Selon une étude de la Direction générale des entreprises, la filière emploie 12.000 personnes en France et a connu un rythme de croissance annuel de 9 % de 2010 à 2018, selon les dernières chiffres disponibles.

La « Fémis du jeu vidéo »

Parmi les formations du secteur figure un établissement à la fois reconnu et public : l'Enjmin, école du CNAM à Angoulême, qui vient de fêter ses 20 ans. « L'idée était de former des gens sur le modèle de la Fémis [prestigieuse école de cinéma, NDLR]. Nous proposons un master avec six parcours : game design, conception visuelle, sonore, ergonomie, programmation et gestion de projet. Le tout avec de toutes petites cohortes, seulement 54 étudiants », détaille Axel Buendia, son directeur. De quoi en faire un cursus évidemment sélectif.

C'est justement celui choisi par Louis Le Gacq. Diplômé de Kedge en 2017, il a d'abord été commercial pour Orange : « Je vendais des téléphones et du cloud aux entreprises, cela se passait bien, mais je ne m'épanouissais pas. J'ai eu envie de suivre ma passion. » Bingo, il est pris. Et se régale durant son master. « Les études commencent par un socle commun qui permet de découvrir les contraintes et objectifs de chaque métier. Je me suis spécialisé dans la gestion de projet. » Louis sort en 2020 avec un CDD chez Ubisoft à Annecy. Il travaille aujourd'hui pour Asobo Studio à Bordeaux, sur Flight Simulator : « Mon métier est de faire en sorte que l'on délivre le contenu demandé dans les temps, au niveau de qualité attendu, tout en respectant le budget de l'éditeur. »

« Rigoureux et passionné »

Vincent Dupont, lui aussi passionné, est parti à l'Isart dès le bac : « J'avais déjà commencé la programmation, je voyais que cela me plaisait. » Lui fait un autre métier du jeu vidéo, QA tester, testeur assurance qualité, pour le studio Dotemu, spécialisé dans le rétro (des jeux anciens, proposés sur des plateformes actuelles). Son rôle : dénicher les bugs et défauts avant la commercialisation. « C'est le corps de métier où l'on recrute le plus de stagiaires, l'une des premières portes vers le jeu. »

Publicité

A côté des écoles, il existe deux formations universitaires : une licence professionnelle « métiers du jeu vidéo » à Montpellier et une autre à Paris 13. Après un DUT métiers du multimédia, Doriane Claireaux a choisi cette dernière : « Le cursus était sélectif, j'avais préparé un gros dossier. Et je pense que le fait que je sois une femme a pu aider, car ce sont des milieux qui manquent encore de diversité. En tout cas, j'ai aimé la pluridisciplinarité de la licence. J'ai réalisé un stage dans le studio Focus Entertainment, où je travaille depuis quatre ans. » Dans le fameux QA, elle aussi. « Pour réussir, il faut être rigoureux, mais surtout passionné. Il faut que cela prenne aux tripes, pour se donner à fond. »

Trouver sa voie et s'épanouir

Attention : il ne suffit pas de jouer sur son temps libre pour travailler dans ce milieu passion. « Nous le disons à nos étudiants, on ne nourrit pas la création de jeux vidéo uniquement avec des jeux, mais avec un champ culturel bien plus large : littérature, cinéma, histoire de l'art… Il faut faire la différence entre consommateur et auteur », met en garde Lola Bergeret-Deswarte, coordinatrice du bachelor graphiste jeux vidéo des Gobelins.

En revanche, elle se veut rassurante envers les jeunes intéressés, ainsi que pour leurs familles : « C'est une vraie industrie, avec beaucoup de postes. Il faut arrêter avec l'idée de l'hyper-concurrence, ce n'est pas vrai. La spécificité est que ce sont des carrières cycliques, où l'on s'investit à fond sur un projet quelques années, puis sur un autre. On peut passer d'une équipe de 250 personnes sur un 'triple A' [jeux dotés des budgets les plus importants] à un petit studio, d'une fonction à une autre. » Elle conclut : « Il y a une variété de possibilités, pour trouver sa voie et s'épanouir… »

Check-list pour bien choisir sa formation

> Comparer le nombre d'heures de cours et de face-à-face pédagogiques, le nombre d'étudiants dans les promotions, voir depuis combien de temps la formation existe.

> Etudier le profil des enseignants : sont-ils eux-mêmes des professionnels en activité ? dans quels studios ?

> Regarder sur LinkedIn les stages et postes des jeunes diplômés, leurs projets en cours.

> S'assurer d'une éventuelle reconnaissance par l'Etat (diplôme, RNCP…).

> Se rendre aux journées portes ouvertes, qui apportent un vrai plus !

Laura Makary

Publicité