En Segpa

 ©Getty - PhotoAlto/Eric Audras
©Getty - PhotoAlto/Eric Audras
©Getty - PhotoAlto/Eric Audras
Publicité

Lorsque Louise est orientée en Segpa, sa mère refuse, mais finit par se laisser convaincre et Louise trouve alors un encadrement bienveillant. Ilyas entre en classe Segpa en 6e. Il a d'abord honte, puis il trouve sa place auprès de ses camarades. Un récit de Karine Le Loët.

Nadia a trois enfants. Lorsque Louise, la plus jeune de la fratrie, rentre en CP, Nadia sent un décalage avec les autres élèves. "Dès toute petite, on voyait bien que c'était différent de mes deux premiers enfants : elle a eu un retard dans le langage et dans la marche. Mais on ne s'est pas inquiétés plus que ça."

"En CP, elle refusait les apprentissages, elle passait la plupart de son temps sous la table plutôt qu'assise à son bureau et elle voulait systématiquement rester avec les plus petits."

Publicité

À la fin du CM2, une enseignante propose à Nadia d'orienter Louise vers une classe spéciale : la Segpa (Section d'enseignement général et professionnel adapté). Nadia refuse catégoriquement cette orientation : "On m'avait dit que la classe de Segpa, c'était les 'gogoles', ceux qui ne feraient jamais rien et qui étaient des loosers, donc moi, je me suis braquée."

Louise fait alors sa rentrée au collège mais ses résultats sont catastrophiques. Nadia accepte finalement l'orientation de sa fille en classe Segpa. "Il y avait cette appréhension du début, mais dès qu'elle a eu des amis, ça roulait comme sur des roulettes."

"La Segpa a vraiment donné confiance à Louise. Ça lui a vraiment fait comprendre que lorsque l'on a envie de faire quelque chose, on peut réussir. Elle a aussi compris qu'elle n'était pas bête."

La Grande table idées
33 min

Par la suite, Nadia est devenue professeure en classe Segpa. "À mon divorce, j'ai fait plein de métiers. J'ai été peintre en bâtiment, j'avais déjà été formatrice en prison, en peinture et j'avais senti que transmettre un savoir, ça me plaisait énormément. Je me suis alors dit pourquoi pas transmettre un savoir à des enfants qui sont en difficulté."

"J'apprends aux élèves tous les rudiments des métiers du bâtiment : la plomberie, l'électricité, la peinture, le carrelage."

Ilyas, 31 ans, originaire du Puy-en-Velay et dernier d'une fratrie de sept enfants, est rentré en Segpa à 12 ans. "Je séchais les cours tout le temps… On devait passer la semaine entière à l'internat et on pouvait rentrer seulement le week-end. Pour moi, c'était inimaginable d'être séparé de ma maman parce qu'elle me manquait trop et que j'avais perdu tous mes repères. C'était d'une violence inouïe pour moi. Un assistant social a donc conclu une sorte de marché avec ma maman : j'ai intégré une classe de Segpa dans la ville du Puy-en-Velay."

Lorsque Ilyas arrive dans cette classe, il rejette ses camardes. Petit à petit, il se fait des amis avec qui il partage les mêmes passions et centres d'intérêts. "Quand on faisait des exercices de maths, pour moi, c'était très simple et je les voyais en très grande difficulté. Je me disais qu'ils étaient débiles… "

"Il se trouvait qu'en fait, on avait des passions communes comme le cinéma. On échangeait sur des films et on se donnait rendez-vous pour faire des cinés. Je me suis plu à rester avec eux. J'ai appris à connaître mes camarades et je me suis rendu compte qu'on était égaux."

À réécouter : Un prof pour la vie
Les Pieds sur terre
28 min

"Il y a vraiment une relation bienveillante dans ma classe Segpa. C'était la première fois qu'on croyait en moi au niveau scolaire. Les profs étaient tous d'accord pour dire que je m'en sortais plutôt bien et que j'avais de bons résultats."

Aujourd'hui, Ilyas a décroché son baccalauréat et travaille dans un foyer de l'enfance à Saint-Etienne, au sein duquel il s'occupe de jeunes enfants en difficulté sociale. "J'ai dit que je ne pouvais pas regarder les résultats du bac et ma cousine m'a dit que j'étais admis. Je suis sorti en courant voir mes anciens éducateurs et profs de Segpa pour leur dire que j'avais eu mon baccalauréat. Ils étaient aux anges et on s'est même fait des câlins alors qu'il y a toujours une distance entre les profs et les élèves, mais là, c'était la joie qui parlait. Je me rappelle les avoir remerciés parce que c'était en partie grâce à eux."

  • Reportage : Karine Le Loët
  • Réalisation : Sylvain Richard

Merci à Nadia, Ilyas, Olivier Berthou, Benoît Tessier, Sandrine Velain, Gwenaël Le Guevel, Benoît Gamon, Maximilien Lambart, Nicolas, Raphaël, Sabrina et Abdoulaye.

Pour aller plus loin :

Musique de fin : "We're Going to Be Friends" par The White Stripes

L'équipe