C’est l’équation insoluble. Comment soulager rapidement les dizaines de milliers de parents sans mode de garde pour leurs bébés d’un côté et, de l’autre, prendre le temps de réparer un secteur de la petite enfance à bout de souffle? "Il y a urgence à agir", a reconnu Elisabeth Borne le 1er juin à Angers. La Première ministre y dévoilait les axes du futur "service public pour la petite enfance" dont l'objectif affiché est de garantir un mode de garde à chaque famille. Avec une promesse : créer 200.000 places d’accueil en 2030 -dont la moitié d’ici à 2027- en débloquant 5,5 milliards d’euros sur le quinquennat. Il en existe actuellement 1,3 million, dont 60% chez les assistantes maternelles.
Problème, cette feuille de route très ambitieuse suppose d’embaucher à tour de bras dans un secteur où les difficultés de recrutement sont déjà criantes. "La pénurie de profils est dramatique", confirme Elsa Hervy, déléguée générale de la Fédération françaises des entreprises de crèches (FFEC). Pénibles, peu qualifiés et mal payés, les métiers de la petite enfance, quasi-exclusivement exercés par des femmes, n’attirent plus.
10.000 professionnelles manquent à l'appel
Horaires décalés, sous-effectifs chroniques, Covid… Les conditions de travail se sont dégradées ces dernières années. En crèches, la réforme du taux d’encadrement de 2021, autorisant l’accueil en surnombre, n’a rien arrangé à cette crise des vocations. Le système de financement des places, reposant sur le principe de facturation à l’heure, est aussi accusé d’avoir encouragé le remplissage et la paperasserie, au détriment de la qualité d’exercice des professionnelles, et donc de l’accueil des tout-petits, comme le pointe le dernier rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Cette enquête publiée en avril avait été diligentée après la mort par empoisonnement d’un bébé dans une crèche People and Baby en juillet 2022. Elle pointe des défaillances majeures et des cas de maltraitance (enfants privés de sieste faute de lit, restrictions de couches…).
Dans ce contexte, 10.000 postes sont non pourvus. Près d’une crèche sur deux manque de personnel, avec à la clé des fermetures de places, des horaires d’ouvertures réduits et des constructions de crèches reportées. "Lors du dernier quinquennat, Emmanuel Macron s'était engagé à créer 30.000 places. Il a lui-même reconnu avoir réussi à en créer seulement la moitié. Comment dans ce contexte ouvrir 200.000 places supplémentaires? Ca parait irréaliste", juge Emilie Philippe, porte-parole du collectif Pas de bébés à la consigne, qui appelle à la mobilisation devant le ministère des Solidarités ce mardi 6 juin, avant de rejoindre le cortège de mobilisation contre la réforme des retraites.
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"L'urgence c'est de former"
"L’urgence c’est de former pas dans six mois, un an, mais dès la rentrée, alerte de son côté Lucie Robert co-secrétaire générale du Syndicat national des professionnelles de la petite enfance. Il faut un an pour former une auxiliaire de puériculture et trois ans pour une éducatrice de jeunes enfants. Ça ne s’improvise pas et ça coûte cher, mais le gouvernement ne s’engage sur aucun chiffre ni calendrier, c’est le flou total!"
Le plan petite enfance promet bien des moyens dans la formation mais renvoie à la concertation avec les régions, seules habilitées à ouvrir de nouvelles places dans les écoles spécialisées. Une campagne de communication valorisant ces métiers vient par ailleurs d'être initiée. La FFEC estime de son côté qu’à l’aune des nouveaux objectifs "il faudrait former 77.000 nouvelles professionnelles, sans compter les quelque 20.000 départs à la retraite à remplacer dans les prochaines années". Du côté des assistantes maternelles, la situation est tout aussi préoccupante: 120.000 d'entre elles prendront leur retraite d'ici à 2030 selon les derniers décomptes.
Autre inconnue - pourtant centrale dans l’attractivité de ces métiers – la revalorisation des rémunérations. "Le salaire, c’est le point de départ de tout et c’est probablement ce qui va coûter le plus cher mais ce n'est pas une option", estime Jean-Emmanuel Rodocanachi, fondateur du groupe Grandir-Les Petits Chaperons rouges. Une note du think tank Terra Nova publiée en 2021 chiffrait à 600 millions d’euros par an l'augmentation de 10% des salaires de ces professions. Sur ce sujet, une négociation de branche est en cours "et doit aboutir prochainement" assure le ministère des Solidarités qui présentera fin juin un plan d’urgence sur la qualité de l’accueil en crèche, un autre levier crucial de valorisation pour les professionnelles. Tout le secteur reste aussi suspendu à la conclusion mi-juillet de la convention d’objectifs et de gestion entre l’Etat et la caisse nationale des allocations familiales, qui détaille les nouveaux moyens alloués à la petite enfance jusqu’en 2027. Pour enfin passer des paroles aux actes.