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Triche au bac 2023 : TikTok, ce réservoir à sujets du grand oral

Des dizaines d’internautes, déjà diplômés, publient le script de leur entretien sur les réseau social. Un «coup de pouce» qui peut s’apparenter à du plagiat et remet en question les modalités de l’épreuve.
par Alexis Pfeiffer
publié le 13 juin 2023 à 18h45

«Je vous donne mon sujet de grand oral. PS : j’ai eu 20/20», annonce le tiktokeur ad_svr dans une vidéo où il dévoile des captures d’écran expliquant «comment déterminer la masse de la Terre à l’aide de la troisième loi de Kepler». Il suffit de taper «grand oral» dans la barre de recherche de TikTok pour constater l’ampleur du phénomène : des dizaines d’internautes, déjà bacheliers, publient l’intégralité de leur travail de l’époque.

Dans les commentaires, des lycéens remercient ad_svr : «Waaouuu j’adore», «merci tu gères mon gars, c’est grâce aux personnes comme vous qu’on croit à notre bac», etc. Son post totalise plus de 250 000 visionnages, mais il est loin d’être le plus viral : plusieurs vidéos du genre ont déjà dépassé le million de vues. Le grand oral, cet entretien d’une vingtaine de minutes apparu en 2021 avec la réforme du baccalauréat, se déroulera cette année du 19 au 30 juin. En vue de l’épreuve, le candidat doit préparer deux sujets de son choix en lien avec ses spécialités. «L’année dernière, je n’arrivais pas à en trouver et je ne savais pas vers qui me tourner, confie Léa, qui a elle aussi publié le script de son oral sur TikTok. Alors, maintenant que j’ai le bac, j’ai voulu jouer la grande sœur.» A-t-elle conscience de la facilité avec laquelle son sujet peut être plagié ? «Je me doute bien que certains le reprennent mot pour mot. Il y en a même qui me reprochaient de ne pas avoir publié ma conclusion, alors que c’était un oubli de ma part. Moi, je fais ça pour aider. Le reste ne me regarde pas.» Dans les commentaires d’une autre publication, un internaute s’interroge : «Mais si tout le monde recopie sur toi ils [le jury] vont remarquer ?» Aucun risque, répond la jeune femme à l’origine du post, «tant qu’ils tombent pas sur les mêmes examinateurs et sont pas dans les mêmes lycées.»

«Des sujets reviennent davantage»

Ce système de triche, qui peut s’apparenter à du plagiat et est donc passible de sanctions disciplinaires et pénales, est-il visible lors des épreuves ? Le ministère de l’Education nationale estime que certains sujets peuvent se ressembler d’une classe à l’autre, mais que rien de systémique n’a été remarqué. David Boudeau, président de l’Association des professeurs de biologie et géologie (APBG), n’est pas de cet avis : «Des sujets reviennent davantage. Dans les matières scientifiques, par exemple, on a observé l’an dernier que beaucoup d’oraux parlaient de problèmes musculaires ou de maladies neurodégénératives.» L’enseignant en SVT a entendu parler des échanges sur les réseaux sociaux après avoir échangé avec des collègues, et juge la tendance problématique au même titre que «les sites donnant toutes les clés en main pour réussir, ou l’intelligence artificielle».

Ce plagiat décomplexé questionne les modalités de l’épreuve. A commencer par la liberté laissée à l’élève dans le choix des sujets. «La découverte de l’intitulé de l’oral le jour de l’examen serait intéressante, poursuit David Boudeau. Cela impliquerait que les lycéens se replongent dans les programmes scolaires, un peu comme on le voit lors de l’oral de français. Ainsi, il ne serait plus possible de reprendre un argumentaire tout préparé.» Les critères d’évaluation sont eux aussi remis en question. «Les trois quarts de la notation se concentrent sur la forme et le fait de réussir à s’exprimer. Le fond, lui, est relégué au second plan. Donc on perd en qualité, avec des notions à peine abordées et des élèves qui n’ont pas développé de connaissances. Tout devient de plus en plus standardisé.»

«Ni bonjour ni merde»

Sur la plateforme, les candidats partent en quête du contenu qui les inspire le plus. Une recherche parfois frénétique, qui tend à accoucher d’un climat nuisible sur le réseau social. Dans un TikTok publié le 4 avril, une certaine Louna se plaignait, après avoir posté l’intitulé de son sujet de grand oral quelques jours plus tôt, d’être assaillie par une pluie de messages privés peu respectueux. «Des personnes qui ne disent ni bonjour ni merde et qui me demandent de leur envoyer le texte que j’ai fait, s’énerve-t-elle. Il faut avoir du culot pour envoyer plein de messages à une personne sans aucune politesse.» Malgré les demandes insistantes, elle a refusé de communiquer son travail. Son témoignage a été visionné à 115 000 reprises… Soit bien moins que les millions de vues accumulées par ceux qui divulguent leur sujet.

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