Trois ans après la crise sanitaire, une jeunesse plus défiante et des inégalités d’orientation en hausse

Etienne Gless Publié le
Trois ans après la crise sanitaire, une jeunesse plus défiante et des inégalités d’orientation en hausse
La crise sanitaire a laissé des traces sur la génération Covid. // ©  DEEPOL by plainpicture/Sam Edwards
Santé mentale, apprentissages, choix d'orientation sur Parcoursup… La crise sanitaire a durablement marqué les jeunes qui étaient collégiens ou lycéens. Elle a aussi aggravé les inégalités sociales selon les acteurs interrogés par EducPros.

Trois ans après, que devient la “génération Covid-19“ et comment se porte la suivante ? Depuis septembre 2020, l'Etudiant avec BVA a réalisé six vagues de son baromètre de la confiance des jeunes dans l’avenir. Bonne nouvelle : en mai 2023, 77% des 15-20 ans s’affirment motivés dans leurs études et 71% optimistes quant à leur réussite.

Un retour à la normale ? Pas vraiment : 61% se déclarent aussi stressés et seulement 47% se disent épanouis. "Cette crise sanitaire a fortement marqué collégiens, lycéens et étudiants arrivant dans l’enseignement supérieur", observe Camille Peugny, sociologue de la jeunesse et professeur à l’université de Versailles Saint-Quentin.

"C’est la première génération qui a dû suivre sa scolarité en partie à distance, en mode dégradé. Les lycéens qui étaient en seconde, première ou terminale pendant l’année du confinement ont aussi dû faire face à la réforme du lycée, aux nouveaux choix de spécialité et essuyer les plâtres de Parcoursup", précise le sociologue. Une onde de choc sur la santé mentale, les apprentissages, la réussite et les choix d'orientation qui se fait encore sentir.

Santé mentale : les séquelles de la crise demeurent

Et le traumatisme lié à la pandémie n’est pas encore résorbé. "C’est le problème de fond : on a beaucoup plus d’élèves présentant des symptômes et troubles dépressifs", relève ainsi Déborah Caquet, professeure d’histoire géo lycée de la Vallée de Chevreuse à Gif-sur-Yvette.

Les confinements de 2020 et 2021 ont durablement affecté la santé mentale des jeunes. "Ils ont beaucoup souffert de l’isolement et du manque de contacts à une période de la vie où l’on est à la recherche de l’autre, de sorties et d’expériences. Ils ont été privés de tout cela et ont connu un stress important", rappelle Anne Ulpat, psychologue de l’éducation nationale (PsyEN) spécialité orientation, au CIO Mediacom. 

"Encore aujourd’hui, des jeunes ont du mal à raccrocher au monde habituel, au rythme de travail qu’exige le lycée. On a beaucoup d’absents", constate Patricia Berthault, proviseure du lycée professionnel de Sully de Nogent-le-Rotrou.

"Ils sont plus nombreux à être anxieux, stressés, à se plaindre", observe de son côté Carole Bautista, conseillère principale d’éducation à Suresnes. "Même au collège, nous avons de plus en plus d’adolescents sous médicaments".

Un décrochage scolaire massif qui perdure

Certains apprentissages n’ont aussi pas pu se faire, entamant la réussite puis la poursuite d’études chez les plus fragiles. "On a assisté à un décrochage scolaire massif lors de la pandémie et cette tendance est restée importante depuis", déplore Anne Ulpat.

Ce qui m’inquiète, c’est le décrochage de ces élèves moyens ou moyens plus. Je les trouve beaucoup plus fragiles qu’avant. (D. Caquet, professeure d'histoire géo)

Déborah Caquet est préoccupée par le niveau de la classe. "Ce qui m’inquiète, c’est le décrochage de ces élèves moyens ou moyens plus. Je les trouve beaucoup plus fragiles qu’avant. Même de très bons élèves, on les sent moins attirés vers les filières dites d’excellence".

L'augmentation des réorientations en première année d’études

L'impact se fait aussi sentir dans le supérieur avec davantage de réorientation. "Les élèves changent beaucoup plus de voie en première année d’études : ils abandonnent facilement et retournent sur Parcoursup relancer les dés", relève Déborah Caquet. Beaucoup d’enseignants y voient la conséquence d’apprentissages trop fragiles pour tenir le coup dans l’enseignement supérieur. En particulier pour la génération qui a obtenu son bac en 2020 (97,5% de reçus au bac général).

Avec le distanciel, les élèves qui étaient moyens scolairement et auraient eu besoin d’un accompagnement spécifique de leurs enseignants ont été défavorisés. (C. Peugny)

"La période du Covid a limité les interactions entre les enseignants et leurs élèves. On peut faire l’hypothèse qu’elle a augmenté les inégalités d’orientation, analyse Camille Peugny. Avec le distanciel, les élèves qui étaient moyens scolairement et auraient eu besoin d’un accompagnement spécifique de leurs enseignants ont été défavorisés."

Autres victimes collatérales selon le sociologue : “Les bons élèves issus d’un milieu populaire avec des parents moins armés pour les aider dans leurs choix d’orientation ont eux aussi été défavorisés”. La crise sanitaire a accru la place de la famille et diminué celle des enseignants à une période où se mettaient aussi en place les règles du jeu du nouveau bac. Résultat : les familles qui ont le capital culturel pour aller chercher l’information, bien choisir les spécialités à prendre en première et celle à abandonner en terminale étaient favorisées.

Parcoursup, caisse de résonnance des inégalités d'orientation ?

Pour Camille Peugny, en plus de la crise sanitaire, la fragilité de la santé mentale des jeunes est aussi lié au système mis en place avec Parcoursup. "Au lieu de détendre ce moment du choix d'orientation, Parcoursup l’a avancé très tôt dans la scolarité au lycée. Et la plateforme ne s’est pas attaqué aux manières dont les inégalités sociales peuvent perturber et influencer l’orientation".

"Le stress lié à Parcoursup n’est jamais qu’une manifestation de cette angoisse de la jeunesse française, de cette défiance et de cette urgence à s’insérer", estime aussi le sociologue. Le temps de la jeunesse en France serait davantage marqué que dans d’autres pays européens par ce sentiment d'urgence. En partie parce que l’on fait peser les choix d’orientation sur les familles.

Une jeunesse française plus défiante envers le système

Au-delà de ces errances, les lycéens et étudiants montrent aussi leur mécontentement face aux enjeux politiques. "Nos élèves de Terminale se sont fortement mobilisés lors de la réforme des retraites. Ils interrogent la nature et le sens du travail", observe ainsi Axelle Souffaché, la proviseure du lycée Simone Veil d’Angers. 

"Plus que pessimistes les jeunes sont défiants en France, beaucoup plus que dans les autres pays d’Europe, décrypte Camille Peugny.  Ils sont défiants à l’égard des institutions, du fonctionnement du système éducatif et du marché du travail c'est-à-dire les principales voies de mobilité sociale dans nos sociétés occidentales”.  

Le sociologue spécialiste des politiques publiques de la jeunesse avance une hypothèse  : “S’ils sont aussi défiants c’est que les jeunes Français ont le sentiment que la société ne leur donne pas la possibilité de faire leurs preuves".

Camille Peugny s'appuie sur les résultats de l'enquête sociale européenne menée depuis plus de 20 ans en Europe. "Quand on leur pose la question : 'Estimez-vous que le système éducatif donne sa chance à tous ?', la réponse est massivement non. Et à la question 'Avez-vous le sentiment que vos efforts dans le monde du travail sont reconnus à leur juste valeur ?', la réponse est très majoritairement non".

Etienne Gless | Publié le