Numérique : Où sont les femmes ?

Alors que le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, sert de prétexte à mettre en lumière leur représentation dans tous les pendants de la société, le travail mené pour accroitre leur nombre dans le secteur du numérique notamment se poursuit 365 jours par an, tout comme les préjugés qu’elles subissent.

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Numérique : Où sont les femmes ?

23% de femmes présentes dans tous les métiers de la tech selon une étude de l’INSEE en 2019 ; 9% d’équipes totalement féminines, 16% d’équipes mixtes. Alors que sur les 120 startups qui forment le FT120 à peine 16 sont dirigées par des femmes, il faut voir ce chiffre comme un progrès puisqu’elles n’étaient que 5 en 2020.

"Les comités exécutifs et de direction du Next 40 et du FT 120 comptent 23% de femmes dans leurs équipes dirigeantes. Une start-up sur quatre n’a aucune femme dans son comex", complète Clara Chappaz, directrice de la Mission French Tech. Les innovations de demain, utilisées par deux français sur trois sont pensés et créés sans que les femmes n’interviennent dans le processus de réflexion. Et quand les femmes s’accrochent à leurs idées et fondent leur start-up, elles peinent à trouver les financements.

"Seuls 2% de l’argent des ventures financent l’innovation portée par des femmes. Elles lèvent en moyenne 30% de moins que les hommes", précise Tatiana Jama, du fonds Sista. "Les fonds ont tendance à surperformer les équipes totalement masculines ou féminines alors que la preuve est faite que la diversité se révèle meilleure."

Tout le poids de la levée

Au-delà des chiffres, la réalité témoigne des inégalités. La start-up de l’Edtech Holy Owly, fondée par les sœurs Julie Boucon et Stéphanie Bourgeois à Besançon (Doubs), n’a pas échappé aux dures lois des financeurs. "Même si on nous félicitait pour notre croissance remarquable, les fonds ne suivaient pas. Être deux femmes n’a pas facilité les choses", se souvient Julie Boucon.

Pourtant, remarquée pour son taux d’engagement, 75% des personnes testant gratuitement l’application s’y abonnent, elle avait intégré le Founders Foundation Program d’Apple. Malgré ses bons résultats, la start-up peinait à réaliser sa seconde levée de fonds. Démarchées par le suédois Albert, les fondatrices décident de vendre mais planchent sur un nouveau projet. "On prévoit d’intégrer un homme pour mettre toutes les chances de notre côté."

Cette difficulté de financement, Laure Wagner y a également été confrontée avec sa solution 1kmapied. Son logiciel de ressources humaines analyse les trajets domicile travail pour identifier les employés de terrain susceptibles d’être réaffectés plus près de chez eux. Après 11 ans comme bras droit de Frédéric Mazzella à la tête de Blablacar, elle se lance. "Je ne constatais pas spécialement de frein, crédibilisée par mon expérience précédente dans une licorne, mais quand j’ai voulu lever, j’ai vu que des amis masculins, avec moins de croissance que mon projet et moins de clients, arrivaient à lever plus et plus facilement."

La mission French Tech dirigée par Clara Chapaz confirme les chiffres. "88% du total des montants levés sont captés par des équipes 100% masculines. Les équipes totalement féminines sont quatre fois moins bien financées."

La sororité comme solution

Syndrome particulièrement féminin, la startuppeuse se montre prudente dans les chiffres qu’elle avance aux investisseurs, mésestimant les performances potentielles de sa solution. "Une femme Business Angel m’a encouragée à me montrer plus ambitieuse, à surestimer pour faire rêver plutôt que de donner des objectifs que je serai sûre d’atteindre. Tous les hommes font ça m’a-t-elle dit !"

Elle réussit finalement à lever 500 000 euros grâce aux conseils de cette investisseuse consciente des différences qui se jouent. Pour palier à ces inégalités de traitement, Tatiana Jama met quant à elle les femmes au cœur de l’activité du fonds Sista ; que ce soit en aidant les startuppeuses à lever des fonds mais aussi dans un pôle dédié aux investisseuses ou en apportant des études et des données concrètes. "Les investisseurs ont des stéréotypes et considèrent que les femmes n’ont pas la capacité de créer une licorne", regrette-t-elle.

Loin de se positionner dans une logique altruiste, elle insiste sur sa stratégie tournée vers les performances économiques des startuppeuses qu’elle soutient. L’objectif du fonds est de réunir 100 millions d’euros pour financer une trentaine de projets. "Je cherchais comment accélérer l’égalité femmes / hommes à travers le renforcement du pouvoir économique des femmes, le fonds est un moyen d’arriver à des licornes au féminin."

Des modèles pour se projeter

Pour autant, les investisseurs ne sont pas les seuls acteurs à participer au jeu des inégalités entre hommes et femmes dans l’univers digital. "Les filières numériques ne comptent que 18% de femmes" détaille Clara Chappaz. Dans le cadre de la Mission French Tech, de nombreuses actions sont engagées sur le territoire national pour inverser la tendance. A titre d’exemple, à Angers, l’évènement Connected Women a profité de financements pour présenter aux collégiennes et lycéennes des start-uppeuses, rôles modèles d’un jour, pour les aider à se projeter dans la filière.

Le rôle de la formation joue un rôle essentiel dans le regard que la société porte sur les femmes dans le numérique comme l’a constaté Sophie Kerob, passée par Les Mines et Harvard et cofondatrice de Direct Medica (rachetée par Webhelp) et depuis fondatrice d’une autre start-up, Wooskill, installée en Saône-et-Loire.

"En rendez-vous avec des investisseurs, mes associés masculins se sentaient obligés de mentionner mes diplômes comme pour contrebalancer le fait que je sois une femme." Sourire aux lèvres, elle complète. "Je me suis aussi rendue compte que c’était toujours à moi que l’on demandait le café, comme si je ne pouvais pas avoir d’autres rôles dans la réunion."

Partage des tâches et de la parole

Les femmes doivent aussi souvent, en parallèle, jouer leur rôle de mère. Bien qu’il faille être deux pour concevoir sa progéniture, elles assument souvent majoritairement le rôle de gestionnaire du domicile et de tous ceux qui y vivent. Ainsi, sans vraiment le réaliser traduisant l’ancrage puissant des stéréotypes dans la société, Laure Wagner, 40 ans, à la tête de 1kmapied depuis 2020, se réjouit de "la chance d’avoir un conjoint qui travaille aussi à la maison et qui prend sa part."

Mais si l’autre moitié du couple n’assume pas sa part des tâches et du quotidien familial pour se consacrer à sa carrière, quel choix reste-t-il aux startuppeuses désireuses, elles aussi, de cumuler défi professionnel et vie personnelle épanouie ?  Et quand elles arrivent à faire carrière, elles n’atteignent que difficilement le devant de la scène. "On ne voient que 31% des femmes seulement dans les médias pour prendre la parole", souligne Clara Chappaz, qui met en avant une formation dédiée – le programme Speak’Her de l’incubateur Willa qui soutient les projets cofondés par des femmes – pour aider les femmes du numérique à s’exprimer, à oser.

La lumière au bout du tunnel ?

Le tableau n’est cependant pas totalement sombre. Les choses évoluent, les mentalités changent et l’univers du numérique, comme d’autres, ouvre les yeux sur l’intérêt d’associer hommes et femmes dans un souci de performance économique. Le Pacte Parité lancé en mai 2022 par la Mission French Tech auprès des entreprises du FT 120 et du Next40 s’inscrit dans cette démarche en se fixant des objectifs concrets pour viser la parité et l’égalité.

"Les CEO des start-up sont d’accord, ils connaissent la problématique mais quand on ne mesure pas le nombre de femmes, on ne voit pas sa propre situation et on ne fait rien", insiste Clara Chappaz, qui prône une société juste pour demain, éthique et économique. En un an, les entreprises engagées dans le pacte ont fait montre de progrès. "Plus de la moitié des entreprises ont finalisé plusieurs des objectifs comme des recrutements plus inclusifs, plus de femmes dans les instances dirigeantes. Alors que 22% d’entre elles n’avaient aucune femme au conseil d’administration, elles ne sont plus que 16% neuf mois après le pacte. C’est ce point qui demande le plus de réflexion aux start-ups car il faut des femmes. Il faut aussi amorcer ce sujet vis-à-vis des investisseurs."

Résolument actrices du changement, les start-up mettent en place de nouveaux outils pour faciliter l’engagement et la place des femmes dans le numérique. L’instauration d’un système de ré-accueil après un congé parental est de ceux-là. "Dans la tech, les choses évoluent vite pendant un congé parental. L’objectif est de faciliter la reprise au salarié après une longue absence." Eviter de se persuader que la question ne se pose pas dans son entreprise, qu’elle a été traitée, ne pas croire que le monde innovant, jeune et dynamique du numérique fait exception à un problème de société participera de la performance sociale et économique de tous, hommes compris.

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