C’est un rendez-vous que les élèves infirmiers et les futurs médecins ne peuvent pas reporter, un imprévu qui se glisse subrepticement dans le fil d’une journée, une première rencontre qu’ils n’oublieront jamais, celle avec la mort. Lorsque les étudiants en santé se trouvent confrontés les premières fois à la fin de vie de patients. « Ils sont encore tout petits », souligne la docteure en pharmacie Sophie Séronie-Vivien, professeure à la faculté de santé de Toulouse et présidente de la commission pour le bien-être étudiant. Ils doivent pourtant gérer leurs émotions, et ils le font souvent seuls.
Alexis, étudiant en médecine à l’université Paris Cité, commence un stage de troisième année en cancérologie, en 2022. Un médecin lui confie le bilan de santé de routine d’une patiente d’une cinquantaine d’années, « une femme pétillante, en bonne forme », se souvient l’étudiant. Le premier examen est inquiétant, l’examen complémentaire révèle un cancer du sein métastasé. « C’était l’une de mes premières patientes, elle était condamnée. Un truc sous-marin est monté en moi, j’ai pensé à ma mère, j’ai fait un transfert sur ma propre famille, ça m’a remué. C’était fort. »
Cette émotion, à la suite du décès d’un de ses premiers patients, Maëlys, aujourd’hui 21 ans, en deuxième année à l’Institut de formation en soins infirmiers (IFSI) de Grenoble, l’a également éprouvée. Début 2022, elle réalise son premier stage au centre hospitalier universitaire (CHU) de sa ville en traumatologie. « Ce n’est pas le service où il y a le plus de décès », observe-t-elle. On lui confie une patiente. « Je l’aide à manger, je fais sa toilette », résume Maëlys. La malade ne parle presque plus. « Mais je découvre la communication non verbale, à travers la patience, le temps passé à réaliser des soins, à l’attention que je lui porte », dit l’élève infirmière. Un matin, Maëlys aperçoit dans le couloir un chariot d’urgence ouvert, l’indice qu’un patient a quitté le service. Elle interroge l’infirmière de garde : « Elle me répond que ma patiente est décédée, elle prononce les mots sans tristesse, je sens que c’est normal pour elle, alors qu’on parle d’un décès. » L’émotion la submerge, l’étudiante en premier semestre pleure, mais d’autres patients attendent des soins, et les effectifs sont en tension. « On en parlera plus tard », lui lance sa tutrice. L’hôpital doit tourner.
Première immersion
Lorsque, baccalauréat en poche, les élèves infirmiers quittent le lycée pour un IFSI, il leur est dispensé quelques semaines de formation théorique durant lesquelles sont abordés l’empathie, la bienveillance, qui feront d’eux des « soignants ». Puis les élèves sont envoyés en stage pour une première immersion. Celle-ci se fait souvent en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). « C’est une étape essentielle, expose Jean-Marc Boussard, directeur des instituts de formation du groupe hospitalier du sud des Yvelines, ils apprennent à réaliser les soins primaires de confort, d’hygiène et de bien-être à la personne [toilette, alimentation] qu’ils pratiqueront durant toute leur vie de soignant. »
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