Grands oubliés de la coiffure, les cheveux bouclés, frisés et crépus souffrent d’une mise à l’écart flagrante en France. Peu de coiffeurs.ses formé.es, de nombreux refus de se faire coiffer, des coupes/coiffures/colorations souvent ratées… Les personnes aux cheveux texturés peinent à trouver leur bonheur dans les salons de coiffure généralistes.

La principale raison ? Il n'existe aucune formation reconnue par l’État à destination des apprenti.es coiffeurs.ses.pour apprendre à coiffer ce type de cheveux.

Un manque de considération que ne supporte pas Aude Livoreil-Djampou. Il y a 8 ans, cette docteure en chimie, coiffeuse et fondatrice des salons Studio Ana’e décide donc d'interpeller le Ministère de l’Éducation Nationale et l’Union nationale des entreprises de coiffure (UNEC) afin de les convaincre de créer un diplôme de coiffure des cheveux texturés.

Après des années de discussion, l’UNEC dépose un texte en ce sens en juin 2022. Presque six mois plus tard, un appel à projet est lancé et cinq écoles se portent candidates pour commencer à proposer ces enseignements à partir de septembre 2023. Pour cette passionnée de cheveux, c’est une victoire : le premier certificat "Réaliser des techniques de coiffure pour cheveux spécifiques, bouclés à crépus" voit enfin le jour. Entretien. 

Marie Claire : ce diplôme a en partie vu le jour grâce à vous. Qu'est-ce qui vous a donné envie de participer à sa création ? 

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Aude Livoreil-Djampou : je suis une ancienne formulatrice et j'ai toujours été passionnée par les cheveux. Pendant 17 ans j'ai travaillé sur des produits capillaires chez L'Oréal. Aussi, mon mari est d'origine camerounaise et nous avons trois enfants métis. Quand ma fille est née en 2008, je travaillais à ce moment-là avec des équipes brésiliennes et américaines sur des projets sur les cheveux frisés. J’étais donc plongée dans les cheveux du monde, cela faisait partie de mon quotidien.  

Mais je me suis aperçue qu'il n'y avait rien autour de moi pour réussir à la coiffer. Quand je cherchais des conseils pour la coiffer, je n'en trouvais pas facilement. Cela m'a paru tellement paradoxal, que j'ai commencé à m'intéresser au sujet. J'ai donc fait des enquêtes et j'ai discuté avec des professionnels de la coiffure pour essayer de comprendre comment on en était arrivé là.  

En 2015, j'ai décidé de fonder mon propre studio de coiffure, car je voulais montrer qu'on pouvait dédier la coiffure à tous les types de cheveux. J'étais contre l'idée de "chacun dans son salon". Je voulais que l'on puisse aller au même endroit avec toute ma famille et mes amis, quelle que soit notre nature de cheveux.  

Puis, j'ai aussi voulu monter un centre de formation en parallèle, car j'estimais qu'il fallait partager ce savoir et sortir du no man's land de l'enseignement sur les cheveux frisés. J'ai voulu montrer que tout le monde a la capacité de coiffer des cheveux frisés. Alors oui, c'est une histoire de formation mais il faut que la formation soit accessible. On ne peut pas demander à un coiffeur d'aller éplucher tout Instagram pour obtenir des informations sur ce type de cheveux.

Que vont apprendre les apprenti.es coiffeur.ses dans cette formation ? 

Ils vont étudier la biologie en apprenant ce qu'est un cheveu frisé du point de vue de sa structure moléculaire. Ensuite, il y a des spécificités à savoir comme le fait que le cheveu bouclé, frisé et crépu sécrète du sébum qui ne migre pas sur les longueurs. On va donc avoir un cheveu qui a les pointes plus sèches et naturellement déshydratées et des racines sur lesquelles il va falloir porter une attention particulière.  

Puis, il y a cette forme à appréhender, cette élasticité extraordinaire du cheveu qui change de forme et de longueur en permanence, car cela oblige le coiffeur à penser son geste différemment. 

Et le dernier point : réussir à identifier les besoins de la cliente, qui a probablement du mal à prendre soin de ses cheveux en lui expliquant comment ils fonctionnent, comment on les coiffe, comment on les lave… 

Le diplôme n'est pas intégré au certificat d'aptitude professionnelle (CAP). Comment expliquer cela ? 

C'est compliqué. Le CAP est défini avec un certain nombre d'heures qui correspond à une enveloppe financière, car aujourd'hui le CAP est financé par l'État.  

Il s’agit d’un contrat très précis avec un volume horaire et un tarif. Un CAP, c'est 500 heures donc si vous avez un cap avec un programme très précis, on ne peut pas rajouter 20 ou 30 heures à notre guise car il va falloir les financer et les rentrer dans l'emploi du temps.  

Il faut savoir qu’aucun pays n'a fait entrer l'enseignement directement dans son CAP. Par exemple, l'Angleterre a fait un module complémentaire il y a 25 ans pour l'apprentissage des cheveux texturés. Et ce n'est que depuis novembre 2022 - donc plus de 20 ans après - qu'ils ont fini par l'intégrer dans la totalité des diplômes. En France, nous sommes dans la 1ère phase de l'Angleterre il y a 20 ans...

Avant ce diplôme, il n’y a donc jamais eu de cours sur les cheveux texturés ? 

Non, il n'y en a jamais eu. La seule mention des cheveux frisés est en brevet professionnel puisqu'ils apprennent le défrisage, notion introduite dans les années 80. Dans ces années-là, on n’envisageait pas autre chose que de faire du défrisage sur des cheveux frisés et crépus. Que ce soit dans le CAP, le BP ou le BTS, vous n'avez aucun contenu pour les cheveux frisés naturels.

Dans le Bachelor en revanche, il y a un contenu pour les cheveux bouclés, frisés et crépus qui a été introduit dès la création en 2020. Il s'agit de deux semaines d'apprentissage sur la première année et d’une semaine en 2ème année.  

Les coiffeur.ses qui sont très bien formé.es sur ce type de cheveux sont en général allés se former aux États-Unis ou en Angleterre.  

Aujourd’hui, il existe une vraie demande des personnes aux cheveux texturés pour trouver des produits adaptés mais aussi des coiffeurs formés. Avez-vous observé en retour un véritable intérêt de la part des professionnel.les pour ce type de cheveux ?  

Oui clairement. Du côté des marques cela fait environ 3 ans qu'il y a un vrai intérêt. Il y a vraiment un travail de fond qui est en train de s'installer.

Et nous avons aussi des demandes de coiffeurs particuliers qui ont bien vu que le cheveu frisé était là et que ce n'est pas une affaire de "tendance". Ils ont envie d'ajouter cette corde à leur arc. Petit à petit, le savoir se diffuse dans l'ensemble des acteurs et je trouve cela passionnant. Il y a une compréhension qui s'affine sur les besoins de ce marché et sur les besoins de se former.