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« On n’a pas envie que ça s’arrête » : dans le Cher, les volontaires plébiscitent le SNU

Reportage

Lancé en 2019, le service national universel (SNU) vise à encourager l’engagement des jeunes et à favoriser la mixité sociale d’une classe d’âge. Reportage au centre de Neuvy-sur-Barangeon (Cher), lors d’un séjour de cohésion qui emporte l’adhésion des volontaires.

  • Paul de Coustin, à Neuvy-sur-Barangeon (Cher),

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« On n’a pas envie que ça s’arrête » : dans le Cher, les volontaires plébiscitent le SNU

« Volontaires, rectifiez la position ! » L’ordre d’Alain Ravisy, ancien gendarme, sonne clair dans le silence matinal parfaitement respecté par les 186 adolescents qui lui font face. Il est suivi du bruit des chaussures qui s’entrechoquent et des bras qui claquent le long du corps. « Attention pour les couleurs ! » lance-t-il à l’attention d’une jeune fille prête à hisser le drapeau. « Prête ! », répond-elle. « Envoyez ! » Une enceinte portative se met à diffuser un air de trompette pendant que la jeune fille s’exécute. Une fois l’étendard tricolore en place, les jeunes entonnent La Marseillaise, avant qu’Alain Ravisy ne les laisse se relâcher. « Repos ! » Il est bientôt 9 heures, une nouvelle journée peut commencer.

« On n’a pas envie que ça s’arrête » : dans le Cher, les volontaires plébiscitent le SNU

La levée quotidienne des couleurs est un des rituels du séjour de cohésion, première des trois étapes du service national universel (SNU). Elle fait partie de la teinte militaire qui colore ce dispositif lancé en 2019, avec pour but d’encourager l’engagement des jeunes, d’améliorer la cohésion nationale et de favoriser la mixité sociale et géographique d’une classe d’âge. Une fois le séjour de 12 jours achevé, les jeunes volontaires devront remplir une mission d’intérêt général, soit 84 heures hors temps scolaire à effectuer dans l’année qui suit au sein d’une association ou d’un service public. L’engagement volontaire (service civique, bénévolat associatif, volontariat international, etc.), réalisé entre 16 et 25 ans, se veut l’aboutissement du parcours.

Cela fait dix jours, mardi 20 juin, que 186 jeunes entre 15 et 17 ans, dont une large majorité de filles, sont réunis sur le domaine de la Grande Garenne, à Neuvy-sur-Barangeon (Cher), pour effectuer leur séjour de cohésion. « Ils sont répartis en deux compagnies elles-mêmes divisées en 16 maisonnées de 10 à 12 jeunes », explique Yves Ontivero, directeur du centre. C’est là qu’« ils apprennent la vie en communauté ». « C’est un subtil équilibre. Il n’y a pas de garde-à-vous, les jeunes ne marchent pas au pas, mais il y a une attention particulière au respect des règles », décrit Éric Bergeault, chef du service jeunesse engagement et sport du département.

« On n’a pas envie que ça s’arrête » : dans le Cher, les volontaires plébiscitent le SNU

« Ce n’est pas la colonie, on se fait remettre en place pour une casquette de travers », raconte Julien (1), 15 ans, volontaire en provenance des environs de Poitiers (Vienne). Ce qui n’est pas pour déplaire à certains. « J’avais envie de découvrir un cadre militaire, on s’en approche », dit Ilona, 16 ans, qui vient de Niort (Deux-Sèvres).

Un séjour de cohésion plébiscité par les jeunes

Du lever à 7 heures au coucher à 22 heures, l’équipe encadrante s’assure que les journées des volontaires sont bien remplies. Ils enchaînent les activités variées autour des thèmes de la sécurité, de la mémoire, de l’engagement et de la citoyenneté, le tout émaillé d’exercices sportifs. « On a des modules nationaux à suivre et on adapte notre projet pédagogique autour », détaille Younes El Baraka, directeur adjoint du centre. Ce qui n’est pas sans causer une forte fatigue chez les jeunes, accentuée par les chaleurs humides de ce mois de juin.

Un surmenage qui n’entame pas l’enthousiasme des volontaires. « Il y a une bonne ambiance, les activités sont très intéressantes. On n’a pas envie que ça s’arrête », explique Paulie. « On apprend et on fait des choses qui changent de l’école », se réjouit Arthur, qui a adoré la journée menée par la Banque de France, au cours de laquelle les jeunes ont appris à gérer un budget.

« Ce n’est pas la colonie, on se fait remettre en place pour une casquette de travers. »

Julien, 15 ans, volontaire en provenance des environs de Poitiers (Vienne)

Antoine, qui veut « rejoindre le GIGN », a particulièrement apprécié que sa maisonnée soit sélectionnée pour participer à la cérémonie du 18-Juin à Bourges. Une satisfaction presque unanime qui perdure un an après la participation au séjour de cohésion, analyse l’Injep, l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (2), qui indique que 94 % des participants se disent plutôt (37 %) ou très satisfaits (57 %) de leur expérience.

Une mixité sociale encore insuffisante

Reste que l’un des premiers objectifs du SNU, de mélanger des jeunes issus de milieux différents, est loin d’être atteint. « On n’a pas de réelle diversité sociale », admet Younes El Baraka. « On a une grande majorité d’élèves de seconde en filière générale », décrit celui qui mène pourtant « un travail d’information dans les lycées professionnels ». Une tendance confirmée au niveau national par l’Injep (3) sur les sessions de 2022 : les jeunes en voie générale et technologique sont surreprésentés (84 % contre 65 % des 15-17 ans au niveau national).

« On n’a pas envie que ça s’arrête, on apprend et on fait des choses qui changent de l’école. »

Paulie, volontaire

L’institut observe également « une sous-représentation des enfants d’ouvriers ». Surtout, « plus d’un tiers des participants sont issus de familles où au moins un des parents occupe, ou a occupé, un emploi dans les “corps en uniforme” (33 % en 2022, contre 2 % dans la population générale). « La mixité sociale des jeunes volontaires du SNU s’améliore, nuance Sarah El Haïry, secrétaire d’État chargée de la jeunesse et du SNU. Dans les séjours de février 2023, 26 % des jeunes venaient de lycées pro, sur 33 % à l’échelle nationale, c’est un gros progrès. »

« En revanche, on a une vraie diversité géographique, et une bonne répartition entre urbains et ruraux », indique Younes El Baraka. Les volontaires, qui viennent « d’Eure-et-Loire, de l’Aube, des Deux-Sèvres et de la Vienne », le constatent. « On découvre des gens d’autres régions, qui n’ont pas forcément le même quotidien », se réjouit ainsi Ariane.

« On n’a pas envie que ça s’arrête » : dans le Cher, les volontaires plébiscitent le SNU

« On apprend à vivre ensemble, on s’habitue aux styles de vie des uns des autres », observe Bastien, qui a dû travailler sur son côté maniaque quand il a fallu partager sa chambre avec 11 autres garçons. Marine, Troyenne de 15 ans, analyse avec recul que la tenue uniforme « aide à la cohésion car elle efface les classes sociales ». Elle poursuit : « On n’a pas d’a priori sur les autres, on n’est plus influencé par les vêtements, et on apprend à se connaître sans jugement. »

Une généralisation « utopique » ?

Malgré l’enthousiasme des participants, le SNU reste confronté à de nombreuses difficultés logistiques et financières. Difficultés de trouver suffisamment de centres d’hébergement disponibles, de recruter le nombre nécessaire d’encadrants, manque de moyens de transport pour acheminer les jeunes… le SNU se déploie bien plus lentement que prévu à sa création, quand le président de la République Emmanuel Macron souhaitait encore le rendre obligatoire. Il semble même encore loin d’une « généralisation » à toute une classe d’âge, soit environ 800 000 jeunes par an.

L’un des premiers objectifs du SNU, de mélanger des jeunes issus de milieux différents, est loin d’être atteint.

« Le coût par an du SNU généralisé, c’est à peu près 3 milliards d’euros » chiffre Éric Jeansannetas, sénateur de la Creuse, auteur d’un rapport (4). « Toute la logistique impliquerait de créer une véritable filière du service national universel » poursuit-il, ce qu’il juge « utopique » à l’heure actuelle. Même dans un centre rodé comme celui du Cher, l’organisation des séjours est un vrai casse-tête. « La vraie question de la généralisation est : quels moyens sommes nous en mesure de déployer ? », interroge Younes El Baraka.

« La généralisation est toujours l’objectif » insiste Sarah El Haïry. La secrétaire d’État a annoncé jeudi 15 juin que le SNU allait être proposé, dès la rentrée 2023, sous forme d’un stage de 12 jours pris sur le temps scolaire, dans les établissements volontaires.

(1) Certains prénoms ont été changés.

(2) « Le service national universel un an après : enquêtes auprès des participants », 2021.

(3) « Séjours de cohésion 2022 : des motivations et expériences vécues plurielles », Injep, octobre 2022.

(4) « Le service national universel : la généralisation introuvable », rapport d’information du Sénat, 8 mars 2023.

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