La centrale nucléaire de Cattenom, en Moselle, le 2 juin 2020

La puissance d'un mini-réacteur nucléaire oscillera entre 20 et 300 MWe, contre 900 MWe à 1 500 MWe pour un réacteur nucléaire classique.

afp.com/SEBASTIEN BERDA

La naissance d’une nouvelle filière industrielle est toujours un petit événement en France. Dans une période où la souveraineté technologique devient une priorité pour le gouvernement, son évolution et son éventuelle réussite sont d’autant plus scrutées de près. Et quand la filière en question entend décarboner l’industrie, forcément, celle-ci retient l’attention de nos dirigeants. C’est en tout cas la promesse des mini-réacteurs nucléaires ou petits réacteurs modulaires (SMR), qui visent à produire de l’électricité, de l’hydrogène ou encore de la chaleur, selon les modèles.

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Ils sont une dizaine d’acteurs dans l’Hexagone à s’être positionnés sur ce créneau au cours des trois dernières années. Une concurrence pour l’instant saine, si l’on en croit les premiers intéressés et qui favorise même leur développement. "C’est extrêmement intéressant d’avoir plusieurs personnes qui investissent sur des socles communs. Je donne un exemple concret : pour fabriquer un tube dans un réacteur nucléaire, il faut qu’il soit assez dur et épais. Cela nécessite des machines très spécifiques. Qu’importe le type de réacteur, tout le monde en aura besoin", illustre Antoine Guyot, cofondateur de la start-up Jimmy, qui développe un microréacteur nucléaire à haute température dont l’objectif est de remplacer, à terme, les chaudières à gaz ou au fioul des industriels.

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Newcleo en tête de gondole

Parmi cette myriade de nouveaux protagonistes, une entreprise semble pour l’instant sortir du lot. Et elle est… italo-britannique. Lors du sommet Choose France à la mi-mai, Newcleo a frappé un grand coup en annonçant un investissement de 3 milliards d’euros en France avec la construction prochaine d’une usine dans les environs de Lyon où la jeune pousse, lancée en septembre 2021, possède déjà une filiale. Elle vient aussi d’être fraîchement lauréate de l’appel à projets "réacteurs nucléaires innovants", dans le cadre du plan d’investissement France 2030, aux côtés de la start-up française Naarea. Les deux entreprises, qui misent sur un réacteur refroidi au plomb pour la première, et à sels fondus pour la seconde, vont bénéficier d’un financement de 25 millions d’euros. "L’arrivée de Newcleo est une très bonne nouvelle. Ils suivent le même calendrier que nous. Cela valide notre modèle et notre vision. Il ne faut pas oublier que la vraie concurrence est surtout américaine, canadienne et chinoise", assure Jean-Luc Alexandre, cofondateur de Naarea.

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Et l’Etat français ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Il y a près de deux ans, en octobre 2021, Emmanuel Macron donnait un coup de projecteur sur ces technologies à l’occasion de la présentation du plan France 2030 : "L’objectif numéro un, c’est de faire émerger en France, d’ici 2030, des réacteurs nucléaires de petite taille innovants, avec une meilleure gestion des déchets". Cinq mois plus tard, sur le site historique d'Alstom, à Belfort, le chef de l’Etat promettait "la renaissance du nucléaire civil français". "Il est évident qu’à partir de cette annonce, tout s’est accéléré. La participation à France 2030, qui est la démonstration de la volonté de la France d’avoir des projets innovants qui puissent vraiment faire la différence en Europe, a aussi beaucoup joué" dans notre choix de nous installer dans l’Hexagone, reconnaît Elisabeth Rizzotti, cofondatrice et directrice des opérations de Newcleo.

Une filière en plein essor

De nouveaux lauréats de l’appel à projets "réacteurs nucléaires innovants" sont attendus dans les prochains mois, tandis que les candidatures peuvent encore être déposées jusqu’à la fin juin. Au total, 1,2 milliard d’euros vont être distribués. Alors qu’il entrevoit enfin le bout du tunnel avec l’EPR de Flamanville, EDF a décidé de se lancer aussi dans la course aux mini-réacteurs. Son projet Nuward, que l’entreprise publique mène en collaboration avec le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), TechnicAtome et Naval Group, va être financé à hauteur de 500 millions d’euros grâce au plan France 2030.

Toute jeune structure, la start-up Neext Engineering, qui se base sur la même technologie que Newcleo, entend bien rafler une partie de la mise restante. Créée par des anciens de General Electric Belfort il y a à peine quelques mois, elle compte faire rayonner le territoire où les compétences en matière de nucléaire ne manquent pas. "On est face à des industriels qui se posent aujourd’hui beaucoup de questions et qui n’ont pas de réponse sur comment s’approprier la problématique de la décarbonation. On sera peut-être les plus modestes en termes d’investissement. En revanche, on dispose de compétences d’ingénierie complexes qui vont nous permettre d’aller chercher des marchés différents de nos concurrents", développe son cofondateur, Jean Maillard.

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Et pour l’instant, il y a de la place pour tout le monde. Le Commissariat à l’énergie atomique l’a bien compris. L’organisme a accompagné ces derniers mois cinq projets de mini-réacteurs innovants : Hexana, Stellaria, Archeos, Otrera et Blue Capsule… Tous candidatent à France 2030. Un passage obligé pour grandir et s’affirmer. "Ce n’est pas forcément noir ou blanc, mais je pense que les lauréats de France 2030 bénéficieront forcément d’une dynamique qui leur permettra de se développer plus rapidement", estime Stéphane Sarrade, directeur du programme Energie au CEA. Pour convaincre le jury, Frédéric Varaine, cofondateur d’Otrera, entend capitaliser sur son expérience d’ancien chef du projet Astrid. "À la fin du programme en 2019, on avait sept à huit ans d’avance sur les Américains et 10 à 12 ans sur les Chinois", se rappelle l’ingénieur.

La question centrale du financement

La question du financement sera évidemment centrale dans la réussite ou non d’un modèle. "Les échelles de temps sont extrêmement longues, beaucoup plus que dans d’autres systèmes de production d’énergie. Il y a une vraie réflexion à mener sur la manière de financer toute cette phase de recherche et développement", avance Benoit Praud, directeur d’investissement au sein du fonds Innovacom. Depuis sa création, Jimmy a par exemple levé 17,2 millions d’euros, quand Newcleo a déjà récolté 400 millions d’euros et prévoit un nouveau tour de table d’un milliard d’euros dans les prochains mois. "C’est un domaine très récent, dans lequel il y a très peu d’investisseurs. Les contraintes de financement liées à la filière ne sont pas compatibles avec le temps de développement. Il faut trouver des mécanismes et des garanties", poursuit Benoit Praud. Pour Eric Abonneau, adjoint du programme 4e génération du CEA, tous les acteurs ne pourront pas cohabiter indéfiniment ensemble : "C’est un système à entonnoir, où, plus le temps va passer, moins l’État distribuera de fonds et où les entreprises devront, pour survivre, soit être les meilleurs, soit avoir la capacité de convaincre des investisseurs privés".

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Pour se démarquer, le temps sera la clef. "Jimmy va aller assez vite. On parle d’un projet opérationnel en 2026. Nous ne sommes pas sur une échelle de temps à dix ans comme la plupart des autres projets. Ils s’inscrivent assez bien dans la chaîne de valeur des industriels : il n’y a pas besoin de créer de nouvelle usine et on peut acheter des pièces ou faire assembler le mini-réacteur avec l’écosystème du nucléaire actuel", assure Christophe Guillaume, cofondateur du fonds Noria, l’un des premiers à avoir soutenu Jimmy financièrement. Newcleo vise pour sa part un premier démonstrateur à l’horizon 2030, tout comme Naarea. "C’est très ambitieux, mais tout à fait réalisable. A partir de 2032-2033, on va passer en phase industrielle. Parce que le gros du projet est de construire le premier réacteur, démontrer non seulement à la communauté scientifique mais aussi aux institutions, que tout marche très bien. Le premier réacteur est toujours le plus compliqué. Ensuite, on va pouvoir le commercialiser en flotte", affirme Elisabeth Rizzotti.

Reste le cadre réglementaire. Tous assurent être en contact régulier avec les autorités nucléaires pour préparer le terrain. "Ce serait une erreur que l’Etat, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ne prennent pas leur part de responsabilité dans cette course pour la décarbonation. On ne peut pas se permettre d’attendre 2040 pour que les premières sources de chaleur décarbonée puissent sortir", estime Benoit Praud. "Il faut aller vite et les aider à trouver des fonds pour se développer, quitte à abandonner certaines idées plus tard, confirme Eric Abonneau. Ensuite, on sera en capacité de juger les progrès réalisés ou les verrous qui n’ont pas pu être levés".

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