V. Lisowski (Conférence des doyens de pharmacie) : "Nous soutenons un système élitiste et en même temps, nous sous-recrutons "

Pauline Bluteau Publié le
V. Lisowski (Conférence des doyens de pharmacie) : "Nous soutenons un système élitiste et en même temps, nous sous-recrutons "
Vincent Lisowski conférence des doyens // ©  Photo fournie par le témoin
Fraîchement élu à la tête de la Conférence des doyens de pharmacie, Vincent Lisowski, lui-même doyen de la faculté de pharmacie à l'université de Montpellier, entame un mandat périlleux. À l'heure où les étudiants désertent la filière, il devient urgent de trouver des solutions pour éviter un vide démographique de la profession.

À la rentrée 2022, 1.100 places sont restées vacantes en deuxième année d'études de pharmacie. Craignez-vous que le phénomène se reproduise en septembre prochain ?

Même si nous ne sommes pas très optimistes pour cette prochaine année, c'est difficile d'avoir un avis tranché. Aujourd'hui, nous ne disposons pas des chiffres de recrutement puisque les oraux (en PASS et L.AS, ndlr) se déroulent en ce moment même.

Mais certains doyens le savent déjà : nous ne pourrons pas remplir nos effectifs dans certaines facultés. Et nous en sommes très préoccupés. Si ce trou d'air se reproduit plus de deux ans, la profession sera très en difficulté avec des répercussions dans les territoires pour la prise en charge des patients.

En mars dernier, la Conférence avait formulé plusieurs propositions au ministère de la Santé, qu'en est-il ?

Nous avons, en effet, alerté le ministère de la Santé et fait plusieurs propositions. La première étant, sans sortir de la réforme PASS-L.AS, d'afficher une voie spécifique à la pharmacie sur Parcoursup.

La proposition a été reçue et analysée par ce ministère qui nous a répondu que c'était prématuré et qu'il fallait attendre la fin de cette troisième année de mise en œuvre de la réforme pour faire le point.

Y a-t-il d'autres pistes à explorer ?

Nous avions aussi proposé plus de souplesse en cas de places vacantes. Aujourd'hui, nous ne remplissons pas toutes nos places via les étudiants venant de L.AS mais la compensation est encore possible avec ceux de PASS. Or, pour la rentrée 2023, cette compensation ne devait plus être d'actualité et laisser place à un 50/50 entre les deux voies.

Des textes réglementaires doivent être publiés pour que nous ayons une année de dérogation supplémentaire et conserver la possibilité d'accueillir 70% de PASS et 30% de L.AS en deuxième année de pharmacie. Il y a quand même un risque que cette dérogation crée un appel d'air, vers d'autres filières plus attractives au détriment de la nôtre.

Nous aimerions aussi une plus grande souplesse avec les passerelles (étudiants qui accèdent directement en deuxième ou troisième année, ndlr). Sur ce point, je pense que nous avons été entendus même si cela va régler les problématiques seulement à la marge.

Nous ferons les comptes à la rentrée et en fonction du niveau de sous-recrutement. S'il est de la même ampleur qu'en 2022, nous solliciterons le ministère pour se remettre autour de la table, et je l'espère, trouver une solution.

Les stratégies d'information auprès des lycéens pourraient-elles aussi porter leurs fruits ?

Nous avons lancé un travail avec les ministères de la Santé et de l'Enseignement supérieur, l'ANEPF (association des étudiants en pharmacie), les syndicats de pharmaciens et le conseil de l'Ordre, auprès des lycéens pour qu'ils aient les bons renseignements.

Nous avons aussi des actions régionales très fortes : en Occitanie, par exemple, nous sommes toutes les semaines dans les lycées pour communiquer auprès des lycéens mais aussi des professeurs de SVT et physique-chimie pour s'assurer qu'il y ait les bons messages d'orientation.

Il y a un engagement fort de la communauté des enseignants et des étudiants en pharmacie pour déployer cette communication.

Mais le retentissement est difficilement quantifiable. J'ai effectué quelques recherches auprès de mon université, à Montpellier : en regardant les candidatures sur Parcoursup, on peut constater que ceux qui veulent faire pharmacie n'ont peut-être pas un niveau suffisant pour accéder en PASS.

C'est pour cette raison que vous proposez une voie spécifique à la pharmacie dès la sortie du bac ?

En tant que doyen, je n'arrête pas d'avoir des demandes d'entrevues avec des lycéens et leurs parents. Ils m'assurent vouloir entrer en pharmacie mais avec ce système, si le lycéen n'est pas parmi les plus brillants, c'est difficile.

Aujourd'hui, nous soutenons un système élitiste et en même temps, nous sous-recrutons et nous accueillons des déçus d'autres filières de santé.

Le PASS reste - dans beaucoup d'endroits - ce qui ressemble à la PACES et le niveau n'est pas plus dur ou moins dur, mais c'est un système qui est anachronique en termes de modalités pédagogiques.

Tant que le PASS se maintient, nous restons avec cette voie royale.

Tant que le PASS se maintient, nous restons avec cette voie royale. Selon moi, les meilleurs étudiants devraient aller en L.AS parce qu'ils ont plus de chances d'être pris. Mais, en même temps, le PASS prépare aussi très bien aux études de santé : c'est schizophrénique…

Le nouveau diplôme à bac+2 (DEUST) de préparateur en pharmacie pourrait-il vous aider à recruter ?

Depuis environ deux ans maintenant, les préparateurs en pharmacie peuvent postuler aux études de pharmacie. A Montpellier, nous avons beaucoup de candidatures alors qu'ils viennent tout juste d'être diplômés.

C'est vrai que c'est un moyen de contrecarrer parfois nos difficultés de recrutement. Mais notre inquiétude, c'est que ce dispositif soit vu comme un système de contournement du système PASS-L.AS.

Or, quand nous recrutons des passerelles, nous cherchons la diversité des profils : des étudiants qui viennent de masters 2, des paramédicaux, des ingénieurs… C'est ce qui enrichit nos promotions.

Nous ne voulons donc pas recruter trop de préparateurs parce qu'ils ressemblent déjà à nos étudiants.

Et puis, il y a aussi des problèmes de recrutement du côté des préparateurs, ce qui n'est pas une bonne chose pour l'officine et pour les pharmaciens.

Votre prédécesseur, Gaël Grimandi, soulevait le problème des départs des étudiants en santé à l'étranger, faute de place en France. S'agit-il aussi d'un point d'attention pour vous ?

Ce sont les mêmes étudiants qui témoignent de leur volonté d'entrer en pharmacie qui partent à l'étranger. Je ne critique pas leur décision mais je suis interloqué qu'on en arrive à cela.

Cela ne devrait plus être d'actualité avec cette réforme. Ils partent alors que nous sous-recrutons, c'est kafkaïen.

Ils partent alors que nous sous-recrutons, c'est kafkaïen.

Mais nous le voyons, petit à petit, les filières de santé attirent moins les jeunes : la maïeutique est aussi touchée et cela peut glisser sur d'autres filières. Ils mettent leur bien-être et leur qualité de vie au milieu de la discussion, nous ne pouvons pas leur reprocher mais cela vient nous bousculer.

Il faut être vigilant du point de vue de la situation démographique et en alerte pour être prêt à faire bouger les choses quitte à changer nos habitudes.

À côté de la réforme du premier cycle des études de santé, celle du troisième cycle est également en cours, avec plus ou moins de difficulté. Où en êtes-vous ?

Exactement, c'est le sujet brûlant avec la R1C. L'idée était de construire des DES (diplômes d'études spécialisées) courts (bac+6) en officine et en industrie (seul l'internat - cycle long, bac+9/10 - permet d'obtenir un DES actuellement, ndlr) pour renforcer la visibilité et l'attractivité de ces professions.

C'est acté depuis le 10 juin, lors du congrès national des pharmaciens, à Montpellier. Le ministre de la Santé, François Braun, a annoncé que le principe des DES était acté (mais pas pour 2023) et qu'il s'engageait à ce que la rémunération des étudiants soit revalorisée.

Le point de crispation, c'est que l'on n'a pas voulu reconnaître le statut d'interne de nos étudiants.

Le point de crispation, c'est que l'on n'a pas voulu reconnaitre le statut d'interne de nos étudiants. Or, nous défendons fermement ce statut et non celui de stagiaire. La question du statut était centrale depuis le début.

Ce n'est pas une question d'égo mais un enjeu de territorialité. On annonce des primes pour les internes en quatrième année de médecine générale et notre filière se voit refuser le statut d'interne alors que l'enjeu est le même : alimenter les territoires. Nous avons porte fermée de la part du ministère sur ce dossier.

Nous avons rendez-vous le 12 juillet à l'Elysée : nous allons dire que nous nous sentons maltraités et pas écoutés. Nos étudiants sont les futurs collaborateurs des généralistes, reconnaitre ce statut favoriserait l'interprofessionnalité. Le sens que l'on donne au système de santé nécessite d'avoir ce statut.

De gros chantiers en perspective donc mais si vous avez accepté la présidence de la conférence, c'est que vous êtes optimiste…

Je suis déterminé. Je suis pharmacien de formation et très sincèrement, je suis un fervent défenseur de la pharmacie. Parce que ce sont de beaux métiers et que nous avons besoin d'étudiants qui s'orientent vers cette filière donc je suis optimiste pour les former, les aider à se projeter dans leurs études et à s'y épanouir.

Pauline Bluteau | Publié le