Enquête

Les arnaques aux faux diplômes, une dérive de l’enseignement supérieur privé

Pour éviter de vous retrouver pris au piège par des diplomes sans valeur, renseignez-vous bien avant de vous inscrire dans une formation.
Pour éviter de vous retrouver pris au piège par des diplomes sans valeur, renseignez-vous bien avant de vous inscrire dans une formation. © Vitalii Vodolazskyi/Adobe Stock
Par Maëlle Lions-Geollot, publié le 06 juillet 2023
7 min

À l'heure des réponses de Parcoursup, de nombreuses écoles privées tentent de séduire les étudiants laissés sur le carreau ou désireux de se professionnaliser rapidement. Pourtant, derrière certaines offres de formations se cachent des diplômes pas toujours reconnus et à la clé, des années d’études et plusieurs milliers d’euros de perdus.

"J’ai perdu un an de ma vie", dénonce Cheyenne, ancienne étudiante à l’ENACO, une école de commerce 100% en ligne. Elle ne verra jamais la couleur du diplôme qu’elle espérait décrocher.

Elle a découvert que son bachelor, entamé après deux ans de BTS dans la même école, ne lui délivre pas de titre RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles), dont l'inscription atteste d'un niveau de qualification professionnelle reconnu par l’État, contrairement à ce qui lui a été indiqué. À la place, un diplôme délivré par la Fede, une organisation européenne, et donc non reconnue par l’État français. 

C’est l’établissement dans lequel Cheyenne souhaite faire son master qui l’informe que son diplôme n’est pas reconnu. "On me dit ça en mars, alors que j’avais rédigé mon mémoire, que j’avais suivi tous mes cours, mes stages... J'avais tout fait", soupire l’étudiante, qui a dû emprunter sur 24 mois pour payer son année de formation à 2.961 euros, en plus des frais annexes comme le logement et les transports.

Vigilance sur les certifications professionnelles

Pour assurer une reconnaissance de leurs diplômes, les écoles privées hors contrat peuvent délivrer des titres RNCP. Ces certifications professionnelles sont reconnues par le ministère du Travail et doivent être renouvelées tous les cinq ans. Mais la vigilance est de mise. Car si le bachelor de Cheyenne n’est pas reconnu, c’est parce que le titre RNCP de son bachelor, qui avait bien été délivré il y a des années, est en réalité expiré depuis un an. 

Contactée par l'Etudiant, l’ENACO confirme ne pas avoir fait de demande de renouvellement, mais n’a pas souhaité donner davantage d’explications.

En date du 7 septembre l'ENACO a demandé un droit de réponse à l'Etudiant dont vous trouverez le détail en encadré en fin de cet article. 

Des cas comme celui de Cheyenne, Théo Clerc, avocat spécialisé en droit de l’éducation, en voit fréquemment. Selon lui, outre les diplômes non-titrés, d’autres sont inadaptés au marché du travail. "Il y a beaucoup d’écoles qui vendent des diplômes [dont] la spécialisation n’existe pas", constate-t-il. Notamment des écoles d’e-sport ou de jeux vidéos, mais aussi dans des secteurs plus classiques comme l'hôtellerie ou l’architecture.

Des diplômes sans valeur sur le marché du travail

Selon Théo Clerc, nombre de ses clients "attendent deux ou trois ans avant de se rendre compte que leur diplôme n’a pas de valeur". C’est souvent en voulant intégrer des métiers réglementés de la fonction publique que ces anciens étudiants découvrent que leur diplôme de niveau bac+5, n’a, aux yeux de l’État et des entreprises, qu’un niveau bac+3, voire bac+0. Conséquence : ils se retrouvent dans l’impossibilité de passer des concours de la fonction publique. 

Une désillusion d'autant plus grande lorsque la grille de salaire des entreprises est indexée sur le diplôme. Les écarts de rémunération peuvent aller jusqu’à 200 ou 300 euros, selon l'avocat. "C’est vicieux, vous ne vous en rendez compte que quand vous rejoignez la fonction publique ou l’entreprise", constate-t-il.

Quand les écoles "jouent sur les termes"

Diplômes reconnus par l’État, titres RNCP, bachelor, mastère, grade master… Le méli-mélo de termes et d'acronymes qui existent prête à confusion. Certaines écoles n’hésitent pas à utiliser cette confusion à leur avantage dans leur communication. "Les écoles savent ce qu’elles font", affirme Théo Clerc, ajoutant qu’elles "jouent sur les termes". 

Un rapport de la DGCCRF de décembre 2022 constate ainsi des pratiques commerciales trompeuses dans 30% des établissements supérieurs privés contrôlés. "Les enquêteurs ont identifié l’utilisation de termes tels que 'licence', 'master' ou 'doctorat' ou d’un terme approchant, sans que l’établissement y soit habilité."

Pour camoufler des diplômes non-reconnus, certaines écoles vont jusqu’à jouer sur la syntaxe pour induire des potentiels candidats en erreur. Certains établissements évoquent la délivrance d’un "diplôme de bachelor ainsi qu’un titre RNCP de niveau 6 (bac+3) pour la spécialisation finance" : une formulation qui signifie que seule la spécialisation finance est RNCP et non l'ensemble du programme bachelor. D'autres utilisent aussi des noms de diplômes reconnus dans le monde anglo-saxon - comme MBA ou bachelor - pour mieux se positionner.

"C’est un parcours du combattant"

Le nombre d’inscriptions dans les établissements supérieurs privés a bondi de 38% depuis 2010, un marché lucratif qui amène à redoubler de vigilance pour éviter les escroqueries. "C’est un parcours du combattant. Depuis, j’ai toujours peur de l’arnaque", confie Cheyenne, qui a décidé de refaire sa troisième année en alternance.

Elle conseille aux étudiants de "ne pas s'inscrire sur un coup de tête", mais surtout de bien "lire entre les lignes" du contrat. Si la formation que vous souhaitez intégrer délivre un titre RNCP, vérifiez toujours que celui-ci est bien inscrit et actif sur France Compétences.

Renseignez-vous aussi sur la réputation de l’école, cherchez des avis, contactez des anciens étudiants. Théo Clerc, lui, recommande de s' informer directement auprès du rectorat pour s’assurer que l’école est agréée par l’État.

Droit de réponse

« Vous publiez à compter du 6 juillet 2023 un article intitulé "Les arnaques aux faux diplômes, une dérive de l'enseignement supérieur privé". Dans cet article, vous mettez en avant un certain nombre de pratiques présentées comme des dérives et ne citez, à titre d'exemple, que la société ENACO. Une telle présentation laisse à penser qu'ENACO serait seule concernée par ces pratiques et s'y livrerait. Nous refutons une telle présentation qui ne correspond pas à la réalité.

S'agissant des formations que nous dispensons, il n'y a aucune « arnaque » ou « dérive ». Nous délivrons des formations accréditées par le Ministère de l'Education. Nationale, comprenant 11 BTS, tous reconnus au RNCP, ainsi que 13 Bachelors et 7 Masters de la FEDE, dont une grande partie est également accréditée au RNCP De plus, l'école ENACO est certifiée ISO 9001 et QUALIOPJ. Depuis sa création en 2006, elle a formé avec succès 42 000 étudiants.

Il est par ailleurs inexact d'affirmer que l'école ENACO n'aurait volontairement pas renouvelé sa demande d'accréditation au RNCP. D'ailleurs, les demandes de renouvellement du RNCP ne relèvent pas de la responsabilité des établissements de formation mais sont initiées par la FEDE, qui décide si elle soumet à l'accréditation RNCP ou non une de ses formations.

S'agissant des propos d'une ancienne élève repris dans votre article, nous devons vous indiquer qu 'ils ne correspondent pas à la réalité. Vous mentionnez que cette élève aurait perdu « plusieurs milliers d'euros » de frais de scolarité. Dès le 19 juin 2023, soit plusieurs semaines avant la publication de votre article, nous avons été informés de la situation de cette élève et avons réagi immédiatement en répondant que nous allions lui rembourser l'intégralité des frais déboursés au titre de sa formation.

 Enfin, l'article présente des informations erronées et incohérentes en affirmant que de nombreux frais de logement et de transport ont été perdus par cette ancienne élève, alors que notre école propose exclusivement des formations à distance, ne nécessitant ni logement ni transport.

 Je déplore enfin, de manière plus globale, le caractère indiscutablement partial et subjectif de cet article.

Hélène LEJEUNE Présidente Directrice Générale ENACO »

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