Projet de loi Plein Emploi : le collectif Alerte soulève le risque d’une fragilisation accrue des bénéficiaires du RSA

"Vivre au RSA c’est survivre, avec déjà de nombreuses contraintes." Représentant les associations de lutte contre la pauvreté, le collectif Alerte a porté ses inquiétudes, le 10 juillet 2023, sur le projet de loi Plein Emploi qui est examiné cette semaine au Sénat. Il s’oppose au renforcement des sanctions, plaide pour le maintien d’un revenu de subsistance "incompressible" et demande des garanties sur les moyens qui seront dédiés à l’accompagnement des personnes dans le cadre de la réforme.

Au premier jour de l’examen au Sénat du projet de loi pour le plein emploi, le collectif Alerte a estimé que ce texte "présente des risques importants de régression sociale pour les personnes en situation de précarité, s’il était adopté en l’état". Portant la voix de 34 fédérations et associations nationales de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, le collectif a publié une note de positionnement, réalisée "avec la contribution et le soutien des syndicats CFDT, CGT et Unsa", et des propositions d’amendements. Il a présenté ses motifs d’inquiétude à la presse ce 10 juillet 2023, en visioconférence. 

Préserver "un reste à vivre suffisant pour pouvoir continuer à se projeter vers l’avenir"

"Vivre au RSA c’est survivre, avec déjà de nombreuses contraintes", affirme Henri Simorre, membre du comité stratégique d’ATD Quart Monde. Selon une étude de la Drees publiée le 7 juillet 2023 et portant sur des chiffres de 2018, "les individus vivant dans un ménage bénéficiaire du revenu de solidarité active (RSA) sont les plus affectés par la pauvreté, les trois quarts d’entre eux vivant en-dessous du seuil de pauvreté".

Les membres du collectif Alerte s’inquiètent donc des conséquences du "renforcement des contraintes" qui s’imposeraient à des personnes en situation de grande fragilité sociale. Parmi ces contraintes, ils citent l’inscription obligatoire à Pôle emploi, qui a été votée le 10 juillet par les sénateurs, et la possibilité de suspendre le versement de l’allocation – une nouvelle sanction qualifiée de "suspension-remobilisation". "Même si c’est une courte période, comment remobiliser les personnes si on ne leur donne pas les moyens de vivre et de survivre ?", interroge Henri Simorre. "Une rupture, même temporaire, dans les maigres ressources veut dire une aggravation des privations", selon le collectif Alerte.

"Hors cas de fraude avérée, la politique de la sanction est contre-productive et dangereuse", tranche Daniel Verger, responsable "accès au travail, au revenu et aux prestations sociales" au Secours catholique. Il est "nécessaire qu’il y ait toujours un reste à vivre suffisant pour pouvoir continuer à se projeter vers l’avenir", explique-t-il. Ainsi, si le collectif Alerte s’oppose à une "recentralisation autour de France Travail" impliquant que les départements deviennent "subordonnés (délégataires)" vis-à-vis de cette nouvelle instance de pilotage, c’est aussi parce qu’il considère que le régime de sanctions actuel des départements est moins sévère que celui de Pôle emploi.

Un manque d’articulation entre le projet de loi Plein Emploi et la stratégie de lutte contre le non-recours

Le collectif Alerte défend donc le droit à un revenu de subsistance "incompressible" et propose de transformer le RSA en un "revenu minimum garanti" au montant revalorisé et d’élargir son accès "aux jeunes à partir de 18 ans et aux étrangers hors UE avant cinq ans de résidence". Mais les porte-parole du collectif Alerte admettent que ce n’est pas le chemin que semble emprunter le gouvernement.

"Le recul incessant, pour l’instant on en est au 19 juillet, du pacte des solidarités laisse interrogatif sur l’ambition qui pourrait être donnée" à cette nouvelle stratégie de lutte contre la pauvreté, déplore Daniel Goldberg, président de l’Uniopss. Et "il est à peu près clair qu’il n’y aura pas d’augmentation des minima sociaux", ni "d’ouverture des droits aux moins de 25 ans", avance-t-il. Le président de l’Uniopss soulève par ailleurs un manque d’articulation entre le projet de loi Plein Emploi et la stratégie gouvernementale de lutte contre le non-recours, qui vient de donner lieu à la désignation de 39 territoires expérimentateurs (voir notre article du 6 juillet 2023). Il rappelle que la lutte contre le non-recours implique des moyens supplémentaires, tant pour le versement de prestations – puisque de l’ordre de 30% des foyers éligibles ne recourent pas au RSA chaque trimestre (voir notre article du 14 février 2022) – que pour l’accompagnement des personnes.

Avoir des garanties sur les moyens humains et financiers de la réforme

C’est d’ailleurs surtout sur les moyens qui vont être donnés à l’accompagnement, dans le cadre de France Travail, que les membres du collectif Alerte sont alarmistes. "Nous sommes tous favorables à ce que les personnes durablement éloignées de l’emploi aient un accompagnement plus tangible que ce qui est fait aujourd’hui dans le cadre du RSA", indique Daniel Goldberg. Mais ce dernier estime "très curieux que, dans le projet de loi, il n’y ait rien" sur le contenu des 15 à 20 heures d’accompagnement prévues dans le dispositif qui est actuellement expérimenté dans les 18 territoires pilotes (voir notre article du 14 décembre 2022). "Ce flou est pour le moins inquiétant", poursuit-il, demandant de la clarté à la fois sur le contenu et sur "le type de structures" qui seront chargées de cet accompagnement. Et revendiquant pour les associations une place "au cœur de la machine".

Il n’y a actuellement "aucune garantie sur les ambitions financières de la réforme", abonde Carole Salères, conseillère nationale Emploi d’APF France Handicap. Si elle considère que "la logique d’orientation en milieu ordinaire pour toutes les personnes en situation de handicap" va "dans le bon sens", elle rappelle que des "moyens humains et financiers" sont nécessaires, notamment pour former le service public de l’emploi à l’expertise relative à l’accès à l’emploi des personnes handicapées.   

Garantir un "droit à l’emploi" s’appuyant sur l’IAE et les mobilisations territoriales

Quid, enfin, de la manière dont les enseignements des 18 expérimentations locales sur le RSA vont être tirés, en particulier sur les moyens dédiés à l’accompagnement. Alors que ces expérimentations sont encore en phase de démarrage, "on se demande pourquoi faire voter ce projet de loi maintenant", pointe le président de l’Uniopss. 

À côté du droit au revenu et du droit à l’accompagnement, le collectif Alerte plaide enfin pour un "droit à l’emploi" qui s’appuierait sur le travail des entreprises de l’insertion par l’activité économique (IAE) et sur les expérimentations "Territoires zéro chômeur de longue durée". Délégué général d’Emmaüs France, Tarek Daher demande d’ailleurs "que les acteurs de l’IAE aient une voix non pas seulement consultative mais décisionnaire" au sein de France Travail.

"Tous ces mécanismes d’emploi territorialisé", permettant d’adapter l’emploi à la personne, s’avèrent fructueux, pour Daniel Verger, qui assure que les personnes très éloignées de l’emploi ne sont pas reçues en entretien même sur des métiers en tension. Se référant à une évaluation du RSA réalisée, "avec un groupe de personnes concernées", par ATD Quart Monde pour la Cour des comptes en 2021, Henri Simorre confirme : "Aller vers les personnes, avec moins de contraintes, plus de bienveillance, c’est finalement quelque chose qui marche mieux."