Les résultats dans les facultés de médecine sont maintenant connus. Le couperet est sévère. Les heureux élus ne sont pas nombreux : parfois moins d’une centaine par université pour 1.000 à 1.500 candidats. Comme chaque année, les candidats déçus viendront fournir les bataillons d’étudiants français qui poursuivront leurs études de santé dans les universités européennes en Roumanie, Espagne, Portugal, Belgique, Italie avec des cursus en français pour certaines. A la clé des diplômes qui comme en Roumanie disposent parfois d’une meilleure reconnaissance internationale que le diplôme français.
"Il n’y a, à ce jour, toujours aucune étude qui permet de documenter avec précision le phénomène de fuite de cerveau à l’étranger", précise Emmanuel Touzé, doyen de la faculté de Caen et président de l’Observatoire national des professions de santé (ONDPS). En attendant, le gouvernement communique tambour battant sur la suppression du numerus clausus qui doit permettre de régler définitivement à compter de 2035 les déserts médicaux. Courbes à l’appui de la DREES (direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques), les projections de la densité de médecins en activité prévoient une courbe exponentielle qui doit permettre de largement compenser les trous de la démographie médicale des années 2000- 2030.
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Doubler le numerus clausus
Pourtant de nombreux experts médecins sont encore très sceptiques. D’abord le numerus clausus n’a pas vraiment été supprimé. Il est remplacé par
Les résultats dans les facultés de médecine sont maintenant connus. Le couperet est sévère. Les heureux élus ne sont pas nombreux : parfois moins d’une centaine par université pour 1.000 à 1.500 candidats. Comme chaque année, les candidats déçus viendront fournir les bataillons d’étudiants français qui poursuivront leurs études de santé dans les universités européennes en Roumanie, Espagne, Portugal, Belgique, Italie avec des cursus en français pour certaines. A la clé des diplômes qui comme en Roumanie disposent parfois d’une meilleure reconnaissance internationale que le diplôme français.
"Il n’y a, à ce jour, toujours aucune étude qui permet de documenter avec précision le phénomène de fuite de cerveau à l’étranger", précise Emmanuel Touzé, doyen de la faculté de Caen et président de l’Observatoire national des professions de santé (ONDPS). En attendant, le gouvernement communique tambour battant sur la suppression du numerus clausus qui doit permettre de régler définitivement à compter de 2035 les déserts médicaux. Courbes à l’appui de la DREES (direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques), les projections de la densité de médecins en activité prévoient une courbe exponentielle qui doit permettre de largement compenser les trous de la démographie médicale des années 2000- 2030.
Lire aussiFaut-il forcer les médecins à s'installer dans les déserts médicaux?
Doubler le numerus clausus
Pourtant de nombreux experts médecins sont encore très sceptiques. D’abord le numerus clausus n’a pas vraiment été supprimé. Il est remplacé par un numerus apertus qui fixe bien un quota de formation de médecins fixé pour une période de cinq ans. Ce quota a bien été augmenté de 15% depuis cinq ans. Une inflexion à la hausse qui commence à se voir dans les amphis de fac de 1ere année : "J’ai accepté 230 étudiants en 2ème année en juin dernier pour 1.200 candidats à l’examen, nous confiait en octobre dernier Nicolas Lerolle, doyen de l’Université d’Angers et coordinateur national de la réforme des études de santé. Alors que je n'en avais retenu que 150 en 2017 et une vingtaine en 1990". Au total la France forme donc environ 9.500 médecins par an, mais cela correspond au volume de formation des années 1970 alors que la population comptait 15 millions d’habitants de moins.
Une réalité qui rend fou furieux le professeur Philippe Juvin, chef du service des urgences de l’hôpital Pompidou et député (LR) des Hauts-de-Seine. Cela fait plusieurs années déjà que ce médecin se bat contre "cette pseudo suppression" du numerus clausus. "Le gouvernement en a fait un marqueur et un élément de langage largement repris en boucle alors qu’il n'en est rien". Mardi 11 juillet lors des questions à l’Assemblée nationale, le médecin urgentiste a une nouvelle fois demandé au gouvernement et au ministre de la Santé, François Braun de "doubler le numerus clausus" car nous "manquons de médecins partout et que nous devons en former beaucoup plus". Le ministre, François Braun, dans une réponse confuse lui a rétorqué qu'on "peut considérer que 15% ce n'est pas assez mais si on veut garder la qualité de la formation il faut aussi des enseignants".
20% des étudiants n’exerceront pas en médecine
Pour Philippe Juvin, les projections de l’ONDPS et de la DREES sont " faussées car elles ne prennent pas suffisamment en compte un certain nombre de facteurs aggravants. A commencer par les transferts de compétence. "Environ 20% des étudiants en médecine n’exerceront pas la médecine en sortant de leurs études, insiste l’urgentiste, ils démissionneront avant l’obtention de leur diplôme ou se réorienteront vers d’autres filières." Sans compter ceux qui exercent mais à la marge de leur spécialité comme certains dermatologues toujours plus nombreux à faire de la chirurgie esthétique, activité plus lucrative, plutôt que de dépister des cancers de la peau.
Les départs en retraite des médecins sont tout aussi problématique. "Lorsqu’un confrère part en retraite il faut environ 2,5 postes pour le remplacer", insiste Philippe Juvin, confirmant de nombreux rapports sur le sujet. La jeune génération n’a en effet pas le même rapport au travail et "préfère travailler moins et gagner moins et rééquilibrer vie privée et vie professionnelle." Sans compter que rien n’est fait pour inciter le cumul emploi-retraite des médecins. "Le gouvernement a suspendu la cotisation des médecins retraités reprenant une activité mais pour une année seulement", s’énerve le chef de service de l’hôpital Pompidou.
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Féminisation du corps médical
Autre changement sociologique majeur : la féminisation des études de santé. " Les femmes pèsent pour 80% des candidates à l’internat aujourd’hui", souligne Philippe Juvin qui estime qu’on n’en tient pas suffisamment compte dans l’évolution des carrières forcément moins linéaires avec les congés maternités notamment. A ce contexte s’ajoute évidemment le vieillissement de la population avec son corollaire de taux de maladies notamment longue durée ou même le développement de pathologies dans le futur qu’on connait encore mal aujourd’hui. "La médecine évolue sans cesse et a tendance à s’hyperspécialiser, constate Juvin, conséquence : on perd cette culture du médecin pluridisciplinaire si stratégique". Juvin invite à sortir du "centralisme hospitalier" qui consiste à faire de l’hôpital le seul et unique support de formation des médecins et partager plus largement cette main-d’oeuvre bon marché. "Il faut élargir au maximum les terrains de stage et que tout le monde prenne sa part : les Ehpad, les PMI, les cliniques privées."
"On a réaugmenté le numerus apertus mais trop lentement", reconnaît Emmanuel Touzé, "nous sommes actuellement encore dans le creux et payons cher les décisions des années 1990 et 2000 mais dès 2035 la courbe remontera nettement." Il est trop tôt pour annoncer une nouvelle augmentation du numerus apertus sur la prochaine période (2026-2031). "Les travaux pour décider d’un éventuel relèvement des quotas débuteront en 2024, nous ferons alors une proposition au ministre qui arbitrera", poursuit Emmanuel Touzé qui réclame plus de suivis statistiques afin d’élargir encore le nombre de paramètres à prendre en compte.
La Grande-Bretagne double son numerus clausus
"Tout ne va pas se régler par le nombre de médecins, nuance Benoît Elleboode, président de l’ARS de Nouvelle-Aquitaine, l’évolution des pratiques comme par exemple le développement des infirmières en pratique avancée peut changer la donne. Certains doyens nous alertent aussi sur la baisse de niveau des étudiants."
Pour Philippe Juvin ces arguments lui rappellent les années 1990 où l’Etat fixait un numerus clausus draconien considérant qu’en limitant le nombre de médecins, on réduirait les dépenses et les déficits de l’Assurance maladie. "La Grande-Bretagne, pays libéral, vient d’annoncer un doublement du numerus clausus", insiste le professeur de médecine qui invite à s’en inspirer. Le NHS a effectivement annoncé le 23 juin dernier "doubler le nombre de places de formation en faculté de médecine pour passer à 15.000 par an d’ici à 2031, avec davantage de places dans les écoles de médecine où les pénuries sont les plus importantes". La spécialité médecine générale va voir son quota augmenter de 50% à 6.000 médecins par an dès 2031.