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Vœux sur Parcoursup : comment les filles et les élèves d’origine sociale défavorisée s’autocensurent

Parcoursup, plateforme d'admission dans l'enseignement supérieurdossier
Alors que 77 000 candidats sont toujours sans affectation sur la plateforme, l’Institut des politiques publiques met en lumière un manque de confiance en soi déterminant chez certains bons élèves lié à leur genre et leur origine sociale.
par Arthur Russias
publié le 13 juillet 2023 à 13h25

De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et l’enseignement supérieur sera sauvé ? Pas sûr que cela soit suffisant, de nombreuses inégalités demeurant encore en France à cet égard. Ce mercredi 12 juillet, l’Institut des politiques publiques (IPP) met en effet en lumière, dans une étude intitulée «Confiance en soi et choix d’orientation sur Parcoursup : Enseignements d’une intervention randomisée», le rôle joué par la confiance en soi dans les choix d’orientation en terminale. En 2021, un panel de 2 000 élèves représentatifs a été examiné. A partir des données obtenues, les trois auteurs de la note, Camille Terrier, Renke Schmacker et Rustamdjan Hakimov arrivent à la conclusion suivante : le niveau de confiance en soi des élèves est fortement associé avec le niveau de sélectivité des formations auxquelles ils candidatent sur Parcoursup.

Une conclusion inquiétante puisqu’elle montre que les filles et les élèves d’origine sociale défavorisée sous-estiment leurs performances, malgré leurs bons résultats. Un manque de confiance en soi qui se répercute donc dans les vœux, où bien souvent grandes écoles et classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) se retrouvent absentes. La plateforme Parcoursup reste un passage obligé qui n’aide pas ces élèves à gagner en ambition, explique Camille Terrier, professeure à l’université Queen-Mary à Londres, coautrice de la note.

Comment êtes-vous arrivés au constat que les filles et élèves d’origine défavorisée aux bons résultats ont tendance à sous-estimer leurs performances ?

On a cherché à mesurer la confiance en soi des élèves. Pour cela, on s’est inspiré d’une méthode qui a été utilisée dans d’autres contextes et qui s’organise en deux étapes. Dans un premier temps, on demande à plusieurs participants de réaliser une tâche. On demande ensuite à chaque participant d’estimer sa performance par rapport aux autres (par exemple «meilleure», «identique» ou «moins bonne»), ce qui permet de comparer la performance «perçue» par chaque participant à sa «vraie» performance. Ces études montrent souvent que les femmes ont tendance à sous-évaluer leur performance quand elles se comparent aux autres participants.

On s’est inspiré de ces études pour mesurer la confiance en soi des élèves dans le cadre français. On a demandé à un échantillon de 2000 lycéens de terminale leur moyenne générale au premier trimestre de terminale. Ensuite, on leur a demandé : «Au vu de cette moyenne, à l’échelle française, où pensez-vous vous situer dans la distribution des moyennes générales ?» On trouve que les filles et les élèves d’origine sociale défavorisée ont tendance à sous-estimer leur performance par rapport aux autres élèves. C’est particulièrement vrai pour les très bons élèves qui ont plus de 16 de moyenne.

Vous démontrez ensuite que ce niveau de confiance en soi est associé à la sélectivité des formations auxquelles ces élèves postulent.

Effectivement, pour analyser le lien entre confiance en soi et choix d’orientation, on a apparié nos données d’enquête avec les données de Parcoursup qui contiennent l’information sur les vœux reportés par les élèves, sur les offres qu’ils reçoivent et sur leur affectation finale. On a ensuite réalisé un exercice assez simple qui consiste à comparer les vœux formulés par des élèves qui ont la même moyenne générale mais qui ont des niveaux de confiance en soi différents : certains surestiment leur position dans la distribution (par exemple ils pensent faire partie des 15 % les meilleurs alors qu’ils font en fait partie des 25 % les meilleurs) alors que d’autres ont une perception correcte de leur performance (par exemple ils pensent faire partie des 15 % les meilleurs, ce qui est correct). Comparer les vœux de ces deux types d’élèves nous permet de comprendre si surestimer ou sous-estimer sa performance influence les choix d’orientation.

Dans votre étude vous vous intéressez notamment aux classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). Quels chiffres vous ont marqué sur le rôle que joue la confiance dans les candidatures vers ces filières ?

En moyenne, parmi les élèves de bac général, 27 % classent au moins une CPGE dans leurs vœux, mais ce chiffre varie assez fortement en fonction du niveau de confiance en soi des élèves. En considérant toujours des élèves qui ont la même moyenne générale, la proportion qui classe au moins une CPGE passe à plus de 30 % parmi les élèves qui surestiment de 10 rangs (sur 100) leur position dans la distribution. Inversement, parmi les élèves qui sous-estiment, à tort, leur performance de 10 rangs, seuls 22 % classent au moins une CPGE. La confiance joue donc un grand rôle.

Est-ce ce constat qui vous a amené à informer les élèves sur leur rang ?

Exactement. Au vu du rôle que la confiance en soi semblait jouer dans les choix d’orientation des élèves, on s’est demandé si informer les élèves sur leur «vraie» position dans la distribution des notes affecterait leurs choix d’orientation. Pour le tester, on a tiré au sort 50 % des élèves de notre enquête à qui on a indiqué leur rang réel dans la distribution des notes et 50 % à qui on n’a pas donné d’information. L’idée de ce tirage au sort était ensuite de comparer les vœux entre les élèves du groupe «traité» (avec information) et ceux du groupe «contrôle» (sans information), en sachant que, dans le groupe avec information, les élèves qui sous-estimaient initialement leur performance devraient réviser leur perception à la hausse une fois qu’on leur dit qu’ils sont «meilleurs que ce qu’ils pensaient». On s’attendait à ce que ce soit particulièrement le cas pour les filles et les élèves d’origine sociale défavorisée qui ont de bonnes notes car ce sont ceux qui sous-estiment le plus leur performance. Et c’est en effet ce qu’on a trouvé. Informer les élèves sur leur rang réel a réduit assez drastiquement les écarts de candidatures en CPGE qu’on observait entre filles et garçons et entre élèves d’origine sociale favorisée et défavorisée.

Est-ce que pour autant ces élèves disposent des mêmes chances d’admission ?

Oui tout à fait, notre intervention résorbe à la fois les inégalités dans les chances qu’ils candidatent en CPGE et dans la probabilité qu’ils soient admis.

Pour que ces élèves situent mieux leur niveau et gagnent en ambition, quelle solution ?

Une recommandation assez naturelle au vu des résultats de notre étude serait d’enrichir l’information donnée aux élèves sur Parcoursup, en leur indiquant leur position dans la distribution des moyennes générales, ainsi que leur position matière par matière. Il serait aussi utile d’aider les élèves à se positionner, formation par formation, par rapport aux admis des années précédentes.

Votre enquête date de 2021, quel regard portez-vous sur les modifications qu’a pu connaître Parcoursup depuis ?

Je dirais que la plateforme Parcoursup a connu beaucoup d’améliorations en ce qui concerne l’information fournie aux élèves. Ils peuvent chercher les formations proches de chez eux grâce à une carte, et ils ont de plus en plus d’information sur chaque formation, notamment sur le type de bac des admis à chaque formation. Il y a beaucoup de choses dans le bon sens qui ont été faites.

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