La ministre de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, Sylvie Retailleau et le ministre de la Santé et de la Prévention, Francois Braun, à la sortie d'un conseil des ministres en novembre 2022.

La ministre de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, Sylvie Retailleau et le ministre de la Santé et de la Prévention Francois Braun à la sortie d'un conseil des ministres en novembre 2022.

AFP

La pandémie de Covid-19 est désormais derrière nous, mais les cicatrices restent encore bien visibles pour la recherche médicale française. Incapable de produire un vaccin dans les temps, à l’image du fleuron français Sanofi, le secteur a vacillé. Pour avancer et se projeter, il réclame désormais un meilleur accompagnement de l’Etat, à travers une refonte du financement et la levée des obstacles administratifs.

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En exclusivité pour L’Express, le ministre de la Santé et de la Prévention, François Braun, et la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Sylvie Retailleau, présentent leur plan de transformation de la recherche basé sur quatre axes : l’attractivité, le financement, le cadre réglementaire et la valorisation de la recherche.

L’Express : En janvier dernier, Alain Fischer, l’ancien président du conseil d’orientation de la stratégie vaccinale et actuel président de l’Académie des sciences, concluait dans un rapport que la recherche médicale française était dans un état préoccupant. Partagez-vous son constat ?

Sylvie Retailleau : Nous sommes leader dans certains secteurs comme l’immunologie ou l’oncologie pour laquelle nous talonnons Boston, mais nous devons continuer à progresser sur d’autres. C’est pour cela que nous ne lâchons rien et que nous continuons à investir dans la recherche biomédicale. En revanche, nous avons un problème d’organisation et de simplification pour gagner du temps dans la recherche. Aujourd’hui, nous agissons donc pour mieux accompagner et entourer nos chercheurs.

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L’échec du développement d’un vaccin contre le Covid-19 a porté un sérieux coup à la recherche française. Est-on encore en mesure de produire des champions et des innovations médicales de rupture ?

François Braun : En France, nous avons des chercheurs dans le domaine biomédical absolument remarquables, qui sont enviés de tous. Ce n’est pas qu’une question d’argent. Des efforts très importants ont été faits par ce gouvernement et le précédent. Mais on constate bien l’accélération phénoménale de la recherche biomédicale. Le train est parti, ou en tout cas, il est en train de partir, et l’enjeu est de monter dedans et d’avoir une place en première. On a devant nous un défi majeur : transformer cette recherche en innovations ou en produits de rupture. Nous avons commencé à le faire mais nous faisons face à de nombreux freins, notamment une organisation extrêmement complexe.

Comment comptez-vous lever ces freins ?

F. B. : Il faut d’abord qu’il y ait un pilote dans l’avion, pour mettre en œuvre la stratégie de l’Etat. Ce rôle va être dévolu à l’Inserm. Et puis, nous devons simplifier les financements. Il y a beaucoup d’argent sur la table. Mais bien souvent, les scientifiques passent plus de temps à chercher des financements qu’à penser à développer leur produit, ce qui n’est pas normal. Nous avons de très grands instituts de recherche. Mais il faut que l’on atteigne l’échelle supérieure. Ce passage à l’industrialisation, surnommé "la Vallée de la Mort" par les chercheurs, est actuellement insuffisant.

Concrètement, quelle sera la traduction sur le terrain ?

F. B. : Cela passe par une organisation en réseaux nationaux pour que les patients porteurs de formes rares et graves de maladies fréquentes puissent accéder à l’innovation, et en réseaux territoriaux pour faciliter la recherche clinique. Là aussi, nous avons en France une richesse énorme dans le domaine de la santé. L’Université coordonne la recherche, c’est son rôle et c’est essentiel. Mais le praticien hospitalier dans son service, universitaire ou non, peut aussi faire de la recherche, tout comme le médecin généraliste. Tout le monde doit s’intéresser à la recherche. C’est comme ça que l’on avancera beaucoup plus vite.

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Cela passe donc par de l’horizontalité et de la circulation plutôt que de la verticalité ?

S. R. : Il y a beaucoup d’acteurs en France dans les différents organismes. Après avoir réinvesti massivement, l’un des enjeux est de mieux coordonner l’action de chacun. C’est l’objectif des travaux de réorganisation de la recherche que nous menons actuellement, pour mieux coordonner les organismes de recherche et les universités, qui sont tous deux de vraies forces. A l’échelle de la santé, l’Inserm va par exemple mieux piloter et faire l’intermédiaire entre tous les opérateurs de recherche de santé. Le deuxième chantier est de réformer le financement.

F. B. : Le financement de la recherche médicale à l’hôpital relève d’une aberration à corriger. Les CHU, les centres de lutte contre le cancer et les autres hôpitaux qui produisent de la recherche reçoivent un financement censé compenser l’activité de soins qui n’est pas réalisée par les médecins pendant qu’ils font de la recherche ! C’est d’un autre âge. Il faut être très clair et renverser la table là-dessus. Il est temps que les établissements de santé universitaires soient reconnus comme des opérateurs de recherche à part entière et soient directement financés pour cela. On favorisera alors l’attrait des praticiens pour la recherche. Actuellement, on a très clairement une déshérence sur les postes hospitalo-universitaires parce que la recherche est souvent le parent pauvre pour lequel on n’a pas encore identifié clairement une ligne de financement.

Stéphane Bancel aux Etats-Unis avec Moderna, la Prix Nobel de chimie Emmanuelle Charpentier à l’institut Max-Planck à Berlin… Les exemples de chercheurs français exilés à l’étranger et qui réussissent ne manquent pas. Comment parvenir à les retenir ?

S. R. : Nous avons encore eu un Prix Nobel de Physique et une médaille Fields cette année en France, et notre pays attire aussi des chercheurs internationaux, comme récemment à l’Institut Pasteur. La France possède de vrais atouts, notamment sa liberté académique. Bien sûr, il faut que l’on améliore encore les conditions de travail et l’attractivité salariale. Ce qu’espère obtenir un chercheur, ce sont aussi des équipements, un bon environnement hospitalier, des techniciens, etc.

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F. B. : Il y a un vieux serpent de mer sur les carrières hospitalo-universitaires, la retraite, que l’on est en train de traiter et que l’on va régler. L’objectif étant que les hospitalo-universitaires aient une retraite qui corresponde à leur activité. Ce refrain peut sembler anodin, mais il y avait quand même de vrais blocages.

S. R. : Notre rôle est aussi d’essayer de lever les freins pour avoir une réglementation avec des règles fortes sur les essais cliniques. Nous facilitons également avec l’industrie la mise en production ou le développement de produits. La question est : comment passer à l’échelle supérieure en rassemblant les différentes forces de frappe ? Les bioclusters sont de très bons outils. L’idée est de réunir sur un site géographique toute la chaîne académique. Pas seulement la fac de médecine donc, mais également les data scientists, les ingénieurs…

Vous souhaitez faire évoluer le cadre réglementaire dans le but de simplifier et accélérer le développement clinique des innovations. N’est-ce pas avant un tout au niveau européen qu’il faut agir ?

F. B. : Il n’y a pas de blocage au niveau européen, en particulier sur les essais cliniques. Je pense qu’on a une ressource phénoménale en matière de recherche clinique en France, grâce à la masse de données de santé que l’on produit. Et puis il faut s’appuyer sur cette notion de territoire. Si vous faites œuvre de recherche, les principaux travaux qui aboutissent à des médicaments thérapeutiques concernent des pathologies rares, voire des complications rares de pathologies fréquentes, qu’il ne faut pas négliger. A partir du moment où c’est rare, il y a peu de patients, et il faut se regrouper et travailler en réseau.

Dans ce cadre-là, la gestion et la structuration des données sont-elles un enjeu majeur ?

F. B. : On est en mesure de structurer les données et de les partager, avec un certain nombre de contraintes qui sont bien normales. Il faut simplifier ces procédures, tout en respectant le droit des patients, ainsi que les principes de la recherche clinique et médicale. Pour cela, nous souhaitons nous appuyer sur le Comité consultatif national d’éthique.

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