(230601) -- SHENZHEN, June 1, 2023 (Xinhua) -- This aerial photo shows the Enping 15-1 oil platform 200 km southwest of Shenzhen, south China, May 31, 2023. China's first offshore million-tonne carbon storage project was put into operation on Thursday in the South China Sea, according to the China National Offshore Oil Corporation (CNOOC).

En dehors des zones économiques exclusives des Etats, n espace maritime, dénommé juridiquement la Zone, regorgerait de ressources minérales.

Xinhua via AFP

Il est rare que Kingston soit l’épicentre des négociations internationales. En ce mois de juillet, c’est pourtant dans un bâtiment gris et sans relief de la capitale de la Jamaïque que se joue une partie de l’avenir des grandes profondeurs océaniques. Réunis en assemblée générale, les 168 pays membres de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) doivent statuer sur un point clef : quel devra être le cadre réglementaire de l’exploitation minière des grandes profondeurs ?

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Depuis sa création en 1994, cette autorité régit les autorisations d’explorations scientifiques et industrielles des profondeurs situées en dehors des zones économiques exclusives des Etats. Un espace maritime, dénommé juridiquement la Zone, encore mal connu mais qui regorgerait de ressources minérales. Manganèse, fer, cuivre, nickel, cobalt, plomb et zinc… Des milliards de tonnes de métaux d’une grande variété, que l’on retrouve dans des dépôts de sulfures au bord des sources chaudes, dans les encroûtements cobaltifères qui s’accumulent le long des monts sous-marins, et dans les très convoités nodules polymétalliques jonchant les grandes plaines océaniques sur des millions de kilomètres carrés. Un "patrimoine commun de l’humanité", selon sa dénomination officielle, dont l’avenir oscille entre exploitation et protection.

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Avec son personnel d’une trentaine de personnes et son budget d’un peu moins de 6 millions de dollars, l’AIFM est longtemps restée une entité discrète. Mais depuis deux ans, cette structure fait l’objet de toutes les attentions. Car en juin 2021, à la surprise générale, un petit Etat insulaire de Micronésie, Nauru, a déposé une demande de permis d’exploitation en association avec une compagnie minière canadienne, The Metals Company (TMC), activant ainsi une disposition réglementaire contraignant l’autorité à définir sous deux ans un code minier pour l’exploitation. "Depuis, nombre d’acteurs s’agitent. Jusqu’à présent, on pensait qu’il n’y avait pas d’intérêt économique à exploiter ces ressources, mais avec la transition énergétique, cela devient un sujet urgent", souligne Denis Bailly, économiste et enseignant chercheur à l’université de Bretagne occidentale. Officiellement, cette "règle des deux ans", aboutissait au 9 juillet, mais malgré le dépassement de cette date butoir, les discussions se poursuivent sans qu’un cadre clair n’émerge.

La rentabilité économique en question

"La tâche est immense. Nous sommes encore très loin de la finalisation car de nombreux acteurs s’opposent à cette activité", souligne Julien Rochette, qui dirige les programmes Océan et Gouvernance internationale de la biodiversité de l’Institut pour le développement durable et les relations internationales (Iddri). Pour le moment, l’absence de cadre réglementaire empêche théoriquement toute délivrance de permis d’exploitation, mais selon certains, le couperet de la règle des deux ans pourrait bien donner libre cours aux ambitions industrielles de TMC et de son PDG Gerard Barron.

Avec ses cheveux longs et son bagou d’entrepreneur révolutionnaire, il a monté son affaire en promettant d’exploiter une ressource minérale extrêmement abondante avec un minimum d’impact environnemental. Dans sa ligne de mire, la zone de fracture de Clarion-Clipperton, vaste étendue maritime située dans le centre-nord du Pacifique à près de 5 000 mètres de profondeur et qui foisonne d’étranges concrétions rocheuses : les nodules polymétalliques. Ces cailloux d’une dizaine de centimètres de diamètre, composés de différents métaux agglomérés, s’étendent sur près de 5 millions de kilomètres carrés. Un trésor incommensurable de 34 milliards de tonnes comprenant, selon les estimations de l’AIFM, 340 millions de tonnes de nickel et 275 millions de tonnes de cuivre. "Ce gisement renferme davantage de nickel, de manganèse et de cobalt que la totalité des ressources terrestres", promet même une note de Michael Lodge, le secrétaire général de l’Autorité.

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Aujourd’hui, The Metals Company, assure disposer des capacités techniques suffisantes pour récolter ces nodules et les transformer. Elle table sur un gain de 31 milliards de dollars en vingt-cinq ans d’exploitation. "La rentabilité dépend de la qualité du matériau. Or dans les fonds marins, les ressources demeurent très concentrées. Le bénéfice obtenu pour chaque tonne est donc beaucoup plus important que pour des minerais terrestres", assure à L’Express Gerard Barron. Alléchant certes, mais ce discours est-il vraiment réaliste ? "Dans les années 1970 à 1990, on a tout de suite pensé que c’était l’eldorado des minerais, mais on s’est très vite rendu compte de la complexité technique de cette activité, et que la rentabilité économique était loin d’être garantie", tempère Julien Rochette. De fait, rares sont les entreprises à s’être lancées dans l’aventure. Une seule autre compagnie minière, la société belge Global Sea Mineral Resources (GSR), a développé une machine permettant de récolter ces fameux nodules. Toutefois, de l’aveu même du patron de GSR, Kris Van Nijen, les défis techniques restent très importants et l’exploitation des grands fonds ne devrait pas commencer avant 2028.

Un moratoire face aux conséquences environnementales

Mais déjà, les milieux scientifiques, comme les ONG, s’alarment des conséquences environnementales d’une telle activité. Car bien que riches en ressources minérales, les abysses s’apparentent encore à un monde inconnu du point de vue de la recherche. "On ne connaît pas les écosystèmes existants, ni leur fonction écologique, et on se doute que les organismes seront fortement impactés par les pollutions issues de l’exploitation", craint le spécialiste des fonds marins, et directeur de recherche au CNRS, Javier Escartin. En cause, les panaches de sédiments soulevés par les "moissonneuses" sous-marines, mais aussi les bruits engendrés par les machines et l’utilisation de phares puissants pouvant bouleverser les espèces présentes. "Nous adhérons au consensus scientifique qui estime qu’en l’état actuel de la science, nous n’avons pas assez de connaissances pour déterminer l’état de base de ces écosystèmes, et donc évaluer les potentiels impacts", abonde Pierre-Marie Sarradin, qui étudie les écosystèmes profonds au sein de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer).

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Entendant l’inquiétude des scientifiques, la France a pris une position forte en novembre dernier à travers la voix d’Emmanuel Macron qui déclarait soutenir l’interdiction pure et simple de toute exploitation des grands fonds marins. Dans le monde, près d’une vingtaine d’autres pays ont pris des positions proches, demandant un moratoire, comme la Nouvelle-Zélande ou tout récemment la Suisse, voire une pause, comme le réclament l’Allemagne ou l’Espagne. Ces Etats ont été rejoints par quelques grandes entreprises, comme BMW, Renault, ou Microsoft qui a décidé d’exclure les métaux provenant des profondeurs dans sa politique d’approvisionnement, estimant que ces gisements de ressources n’étaient pas nécessaires à l’échelle globale. "Il va y avoir des discussions dans les semaines qui viennent au sein de l’Autorité, et on espère voir de nouveaux Etats se positionner en faveur du moratoire", se réjouit Anne-Sophie Roux représentante en France de l’ONG Sustainable Ocean Alliance.

Mais cela ne signifie pas que les océans échapperont à l’exploitation minière. En juin dernier, la Norvège a suscité l’outrage des écologistes et d’une partie des élus du pays en proposant d’ouvrir à l’extraction de minerais 280 000 kilomètres carrés de fonds marins situés dans sa zone économique exclusive. "Une question fondamentale se pose : a-t-on vraiment besoin d’aller les chercher ces ressources ou pouvons-nous nous en passer en trouvant d’autres moyens d’effectuer la transition écologique ?", s’interroge Javier Escartin. Un débat qui en rappelle un autre : celui sur les ressources fossiles, dont le nombre de lobbyistes actifs sur la scène internationale n’a jamais été aussi élevé, malgré le besoin impérieux de basculer vers l’énergie verte.

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