Des employés de Soitec à Bernin, près de Grenoble, le 23 septembre 2021.

Des employés de Soitec à Bernin, près de Grenoble, le 23 septembre 2021.

JEFF PACHOUD / AFP

Les deux éléments qui ont le plus soutenu le développement économique ces cinquante dernières années sont la standardisation du transport maritime - grâce au container qui a ouvert au monde des bassins d’emploi autrefois fermés - ainsi que la miniaturisation des transistors et leur concentration dans un circuit intégré. On ignore souvent à quel point cette miniaturisation a irrigué tous les secteurs de l’économie. L’augmentation de la puissance de calcul pour des coûts toujours plus bas représenterait la moitié de la hausse de productivité pour l’exploration pétrolière dans le secteur de l’énergie et 94 % de l’amélioration de la vitesse de décodage des protéines produites par nos gènes dans le secteur des biotechnologies à la source de nouveaux médicaments et thérapies.

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Cela signifie que l’impact des vitesses de calcul ne se limite pas à des smartphones toujours plus puissants, mais que la majorité de la croissance économique des cinquante dernières années était un effet de second ordre entraîné par la loi de Moore. Or cette croissance exponentielle ne sera bientôt plus tenable. C’est en tout cas ce dont plusieurs experts du secteur avertissent. En 1965, Gordon Moore a prédit que le nombre de transistors dans un circuit intégré dense doublerait tous les dix-huit mois, chiffre qu’il a ensuite révisé à deux ans. En 1968, il a cofondé Intel, et son observation est devenue l’obsession de la société, entraînant avec elle le reste de l’industrie du semi-conducteur.

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Validée par les faits, elle a atteint le statut de loi. Pour arriver à leurs fins, les fondeurs ont joué sur deux principaux facteurs : la taille de la galette sur laquelle sont placés les transistors et la finesse de gravure du groupe de composants qui représentera une puce. D’ailleurs, on rattache généralement la capacité d’innovation de ces acteurs à la finesse de la gravure qu’ils peuvent réaliser.

La mort de la loi de Moore

Les puces 3 nanomètres constituent le nouvel horizon du secteur. Le sud-coréen Samsung a dégainé le premier l’été dernier, rapidement suivi par le leader mondial, le taïwanais TSMC, qui y a consacré près de 55 milliards d’euros. Il est difficile de saisir l’échelle d’aussi petits transistors : 1 nanomètre équivaut à 1 milliardième de mètre ; à titre de comparaison, un cheveu humain mesure environ 50 000 nanomètres d’épaisseur.

Les géants adorent se projeter dans le futur. Alors même que le procédé de 3 nanomètres vient à peine d’entamer sa phase d’industrialisation pour Apple, déjà TSMC évoque des puces de 2 nanomètres pour 2026. Ces nouvelles puces miniatures sont indispensables pour accélérer la mutation de l’industrie automobile vers le véhicule autonome. Pour donner un ordre d’idée, la méga-usine à Dresde en Allemagne pour laquelle TSMC est en discussion devrait produire des puces matures pour les fabricants automobiles de 22 et 28 nanomètres, ce que sont capables de fournir les ténors européens du secteur Infineon, NXP et STMicroelectronics. La Commission européenne pousse pour que ce futur site soit aussi capable de descendre vers les échelles inférieures.

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Mais cette course à la miniaturisation se fracasse sur les lois de la thermodynamique, qui imposent des limites strictes à l’efficacité de certains processus. La limite de Landauer correspond à l’infime quantité de chaleur dissipée lors de chaque opération de calcul. Ajoutez à celle-ci les fuites de courant, et les transistors, trop proches les uns des autres, chauffent trop pour fonctionner.

En décembre 2022, le PDG de Nvidia, Jensen Huang, est même monté sur scène pour déclarer la mort de la loi de Moore. Pour essayer de maintenir sa trajectoire de croissance exponentielle, l’industrie des puces va passer à des architectures en trois dimensions, comme elle le fait déjà pour les mémoires vives, mais cela ne résout pas le problème de la dissipation thermique. Il faudrait consacrer toujours plus d’énergie pour refroidir ces puces, alors même que l’énergie restera contrainte du fait de la transition environnementale. Si l’informatique quantique est parfois présentée comme la solution de rebond, son caractère expérimental invite à être prudent sur l’horizon de son développement à une échelle industrielle. Un mur semble se profiler dans les années 2030. L’amélioration des performances ne disparaîtra pas immédiatement, mais il va falloir s’habituer à un monde où la principale source de la baisse des prix se tarit.

* Robin Rivaton est directeur général de Stonal et membre du conseil scientifique de la Fondapol

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