Martin Zuber (journaliste) : "Avec mon handicap, beaucoup m'ont dit 'tu ne vas pas pouvoir faire de longues études'"

Martin Zuber (journaliste) : "Avec mon handicap, beaucoup m'ont dit 'tu ne vas pas pouvoir faire de longues études'" ENTRETIEN. Le Figaro Étudiant part à la rencontre de professionnels qui n'étaient pas forcément destinés à réussir dans leurs études afin de recueillir leurs conseils. Premier épisode avec Martin Zuber, journaliste malvoyant.

Martin Zuber a 27 ans. Il est journaliste. Malvoyant, il est originaire de Paris et vient d'une famille modeste (père en inactivité et mère employée de commerce). Diplômé d'un master 1 en histoire en 2018, il réussit à décrocher des stages à L'Humanité et à Society durant son cursus universitaire. Il entre ensuite dans la prépa La Chance, pour la diversité dans les médias, qui prépare des étudiants boursiers aux concours des écoles de journalisme. À l'issue de cette dernière, il entre au CFJ (Centre de Formation de Journalistes). Il effectue un stage d'été au Parisien puis se spécialise en radio et travaille un mois au service des sports de RFI, puis à RTL. Après son diplôme, il devient reporter pigiste et alterne entre Radio Classique, Radio Chrétienne Francophone (RCF) et le journal hebdomadaire La Vie, pour lequel il a couvert l'élection présidentielle de 2022.

LE FIGARO ETUDIANT. Pourquoi avez-vous souhaité devenir journaliste ?

Martin ZUBER. Quand j'étais petit, je regardais beaucoup Infosport+. Je n'ai jamais trop regardé de dessins animés. Donc je demandais tout le temps à mes parents : "Ils font quoi comme métier les gens qui sont sur le plateau et qui sont dans les stades ?". Et ils me répondaient : "Ils sont journalistes !". Quant au journalisme radio, c'est venu un peu avec la Coupe du monde 2006. J'écoutais beaucoup Jano Rességuié commenter les matchs de l'équipe de France sur RMC.

Votre projet n'a jamais changé en cours de route ?

"A la prépa La Chance, j'ai appris que je pouvais traiter de tout"
Martin Zuber (journaliste)

Non car grâce à La Chance, j'ai appris que je pouvais écrire sur d'autres sujets que le sport. Or, avant d'entrer dans la prépa, je me disais que j'étais incompétent pour tout sauf le sport. Et en fait, à La Chance, j'ai appris que je pouvais traiter de tout. C'est quelque chose qui s'est renforcé au CFJ. Grâce à ces expériences, j'ai pris confiance en moi alors qu'avant, j'avais un peu le syndrome de l'imposteur. Même si je l'ai toujours un peu aujourd'hui.

Vous êtes-vous déjà dit que vous n'y arriveriez pas ?

Oui. Déjà parce qu'avec mon handicap, il y a beaucoup de gens qui ont dit : "Tu ne vas pas pouvoir faire beaucoup d'études parce qu'il faut lire". Parce qu'avec un handicap visuel, on a besoin d'agrandir les textes. Donc je ne pouvais pas lire les livres qu'il y avait en cours. J'étais obligé d'intercepter les conversations aux pauses pour avoir un résumé du livre en question, au lycée ou à la fac.

Quels étaient les a priori que vous aviez sur les études ?

"Ma mère m'a tanné pour aller à Sciences Po, mais je me sentais illégitime. Je me disais que ce n'était pas pour moi"
Martin Zuber (journaliste)

J'en avais peut-être moins que d'autres parce que j'ai un grand frère qui avait fait des études, même si dans ma famille on n'a pas fait énormément d'études. Pour les grandes écoles, je ne pensais pas que c'était fait pour moi. Ma mère connaissait Sciences Po de nom. Quand j'ai passé les concours et que j'ai été pris à Sciences Po et au CFJ, ma mère m'a tanné pour aller à Sciences Po, mais je me sentais illégitime. Je me disais que ce n'était pas pour moi.

D'où venaient ces a priori selon vous ?

Peut-être parce du fait que personne n'a fait de grande école dans ma famille. Je n'avais pas de modèle. Je me disais que ce n'était pas forcément faisable. Mon grand frère est allé à Tolbiac. Il a fait un mois d'études et il n'a plus jamais remis les pieds à la fac, car il n'aimait pas ça. Je me souviens de ma première séance à "La Chance", en 2018. Un étudiant qui était à l'école de journalisme de Sciences Po nous avait sorti le poncif classique : "Si vous ne croyez pas en vous, personne ne va croire pour vous". Toute l'année, je me disais : "Si même toi tu n'y crois pas, bah arrête-toi là quoi". Et donc je me suis dit : "Vas-y, défonce-toi, on verra à la fin".

Est-ce que vous ressentez justement une grosse différence entre votre milieu d'origine et celui dans lequel vous avez évolué par la suite ?

"Pour moi, ça a toujours été des gens qui avaient un certain capital qui pouvaient parler à la radio et s'exprimer"
Martin Zuber (journaliste)

Bien sûr. Ce n'était pas tellement une question de connaissances, car on les a tous un peu. C'était plus au niveau du savoir-vivre et du savoir-être. Que ce soit dans une rédaction ou même dans une école. Je n'ai jamais parlé en public par exemple, j'ai toujours été très mal à l'aise. C'est pour cela que c'était très bizarre de faire de la radio puisque, pour moi, ça a toujours été des gens qui avaient un certain capital qui pouvaient parler à la radio et s'exprimer.

Quelles sont les plus grosses difficultés que vous ayez rencontrées ?

Les plus grosses difficultés concernaient surtout le handicap, en fait. Par exemple, en CM2, j'avais un instituteur qui n'arrêtait pas de me dire "Toi, tu ne vois rien, t'es nul. Et puis c'est quoi ce problème de vue ? On ne le connaît même pas, il faut que tu mettes des lunettes triple foyer". C'était très violent, surtout que j'ai toujours été très taiseux.

A la fac, il y avait des gens que je trouvais bizarres. Des étudiants qui venaient en costume ou parlaient d'une manière étrange, avec des sortes d'intonations de classe par exemple. À l'EHESS (École des hautes études en sciences sociales, NDLR), j'ai arrêté de suivre un séminaire parce que je ne me sentais vraiment pas à ma place. Je voyais des étudiants poser des questions pendant 5 minutes et les étudiants faire des références que je ne connaissais pas. Même des mots que je ne connaissais pas ! Ça me mettait très mal à l'aise alors que le cours était très intéressant en soi.

Comment avez-vous surmonté ces difficultés ?

"Il y a encore plein de fois où je n'arrive pas trop à m'insérer dans les rédactions"
Martin Zuber (journaliste)

Je ne sais pas trop. Je me suis toujours dit : "Fais ton truc et on s'en fiche des autres". Je me suis toujours un peu persuadé que j'allais y arriver. Mais j'ai encore des doutes et il y a encore plein de fois où je n'arrive pas trop à m'insérer dans les rédactions. Déjà à cause de ma classe sociale, je n'arrive pas trop bien à nager dans la rédac'. Et avec le handicap, c'est encore plus compliqué. Il y a des personnes qui passent tout le temps derrière ton ordi et qui parfois te sortent : "Ah mais ce n'est pas assez gros hein !". Parfois, aussi, on ne t'adapte pas ton poste de travail. Je ne pense pas être incroyablement fort ou bon, mais j'aimerais au moins avoir les mêmes cartes que les autres. Ça me paraît être la base.

Quels sont les conseils que vous auriez aimé qu'on vous donne avant de commencer vos études supérieures ?

Je n'ai pas envie de parler pour tout le monde. Je sais que ça fait cliché, mais ce serait de ne pas avoir honte d'être là. Tu es à ta place, et il ne faut pas en démordre. Même si, à un moment, tu n'y crois plus trop parce que c'est dur, c'est vrai. Malheureusement, il faut en faire plus que les autres. Il faut se donner plus que les autres pour avoir quelque chose. Par exemple, pour trouver un stage, j'ai postulé, postulé et postulé. J'ai fait ça pendant 3 ans avant d'obtenir un stage à L'Humanité puis à Society.

Et pour la partie handicap, mon conseil serait de dire le plus concrètement possible ce dont on a besoin. En plus, je trouve qu'il y a un gros souci avec le handicap, qui est sous-traité dans les médias et les rédactions. Je ne croise pas de gens en situation de handicap dans les rédactions, alors qu'il y a pourtant un objectif de 6% à atteindre pour toutes les entreprises. Elles paient souvent des amendes parce qu'elles ne veulent pas de travailleurs handicapés. Lorsque tu demandes un équipement, c'est souvent des RH qui sont peu formées et qui comprennent mal les besoins liées aux questions de handicap qui se chargent de toi. Donc il faut continuer de se battre, même seul contre une rédaction.

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