La centrale nucléaire de Bugey, le 25 janvier 2022 à Saint-Vulbas, dans l'Ain

La centrale nucléaire de Bugey, le 25 janvier 2022 à Saint-Vulbas, dans l'Ain

afp.com/JEAN-PHILIPPE KSIAZEK

Les six nouveaux réacteurs nucléaires français ont désormais leur site d’atterrissage. Après Gravelines dans le Nord et Penly en Normandie, c’est à Bugey, dans l’Ain, que devrait se construire la nouvelle paire de réacteurs de type EPR2, l’acronyme désignant les "réacteurs pressurisés européens", de troisième génération. Cette décision qui ouvre un nouveau calendrier pour la mise en place du nouveau parc nucléaire français voulu par Emmanuel Macron a été annoncée à l’issue d’un conseil de politique nucléaire le 19 juillet.

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Pourquoi ce site plutôt qu’un autre ? Parmi les options d’implantation, EDF avait également proposé le site de la centrale du Tricastin, dans la Drôme, mais le gouvernement a fait le choix du pragmatisme, afin d’accélérer la mise en route d’un programme très chargé. "Le site du Bugey était davantage prêt que celui du Tricastin, donc c’est un choix rationnel pour tenir les calendriers dans les meilleurs délais", a indiqué le cabinet de la ministre Agnès Pannier-Runacher, en évoquant des "enjeux techniques".

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Gravelines, Penly, Bugey ou Tricastin… Au-delà des aspects techniques, difficile de connaître les raisons précises des décisions d’implantation de ces futurs réacteurs tant les critères sont multiples et… politiques. Car en réalité le choix final appartient au gouvernement, après proposition des sites par EDF. Le dossier de l’énergéticien pour l’implantation d’une paire d’EPR2 sur le site de la centrale de Penly souligne ainsi 3 conditions principales sur les 10 qui dictent le choix de ce site : les nouveaux réacteurs doivent être installés sur des sites nucléaires existants, ou à proximité immédiate, le site doit bénéficier d’un soutien important du territoire concerné, et l’évaluation technique du site ne doit pas faire ressortir de facteurs rédhibitoires comme des risques naturels ou la trop grande proximité de zones urbaines ou de réseaux à très haute tension. A cela s’ajoute la disponibilité foncière, un domaine sur lequel EDF travaille de longue date, notamment en rachetant des terres autour des sites des centrales existantes. "En somme, c’est un mélange de conditions sociopolitiques, industrielles et techniques", résume Michaël Mangeon, chercheur associé au laboratoire Environnement, ville et société (EVS).

"Pas de sites exclus"

Pour les sites des huit EPR2 supplémentaires demandés par Emmanuel Macron, les lieux d’implantation n’ont pas encore été sélectionnés, fait savoir EDF. Mais, depuis les premiers choix de sites d’implantation des centrales nucléaires du plan Messmer proposés par EDF dans les années 1970, un critère majeur s’est invité : celui du changement climatique. Avec des centrales situées en bord de mer, où la montée des eaux peut engendrer des risques de submersion, ou situées aux abords de fleuves soumis à des températures et des sécheresses plus intenses, les risques environnementaux devraient augmenter dans le futur. D’autant que les dernières paires d’EPR2 décidées devraient être mises en service à l’horizon 2043, pour une durée de vie minimale de cinquante ans… Autant dire dans l’inconnu climatique.

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Le choix des futurs sites dépendra donc aussi de l’évaluation des risques environnementaux, qui sont étudiés en se fondant sur les pires scénarios d’évolution climatique établis par les scientifiques du Giec. Les futurs réacteurs devront ainsi résister à un aléa qui peut subvenir théoriquement une fois tous les 10 000 ans. "Une température qui peut intervenir tous les 10 000 ans est calculée en 2100, en tenant compte du changement climatique", expliquait ainsi lors d’une réunion Hervé Cordier, chef de groupe à la direction de l’ingénierie et des projets nouveaux nucléaires d’EDF. Un ensemble de contraintes qui ne semble pas aujourd’hui poser de problèmes pour la sécurité des futurs réacteurs, selon EDF. "A l’heure actuelle, il n’y a pas de sites exclus, auxquels on ne pourrait s’adapter", assurait ce spécialiste.

Consensus politique

Localement, les choix d’implantation s’appuient également sur le tissu industriel du territoire. Disposer d’installations nucléaires existantes ainsi que d’un réseau d’entreprises travaillant dans ce secteur est un critère essentiel pour retenir un site. Ainsi, en Normandie, la filière nucléaire représente plus de 22 000 emplois directs et indirects sur le territoire, et un poids économique supérieur à 1 milliard d’euros, détaille EDF dans son dossier pour le site de Penly. Localement, c’est également une bataille pour trouver un consensus politique fort qui se déroule. Car "la mobilisation des territoires reste, à nos yeux, fondamentale", expliquait l’année dernière ­Antoine ­Ménager, le directeur du débat public de l’entreprise. "Il y aura des réacteurs sur les territoires qui en expriment l’envie, et cette envie doit être une union sacrée, transpartisane et à toutes les mailles", défendait-il alors.

Un message bien reçu dans la Drôme, où les discussions politiques avaient été fructueuses malgré la candidature malheureuse de la centrale du Tricastin pour les nouveaux EPR. "On avait porté une candidature de territoire qui regroupe quatre départements et deux régions, la mobilisation avait été très forte, avec un large consensus, avec des acteurs économiques très motivés", souligne Marie-Pierre Mouton, la présidente du conseil départemental de la Drôme. Si les élus se montrent si motivés, c’est que les revenus fiscaux issus des centrales peuvent rapporter gros. A Bugey, la communauté de communes de la Plaine de l’Ain (dont le territoire inclut la centrale) peut compter sur 15 millions d’euros.

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