Start-up | Ces jeunes pousses qui maîtrisent le nanomètre

Les progrès de la physique, mais aussi de la chimie, permettent de mettre au point des outils assurant une maîtrise croissante de la matière à l'échelle nanométrique. De nombreuses jeunes pousses s'emparent de ces nouvelles technologies pour proposer des solutions à des problèmes anciens, mais aussi nouveaux, voire imprévus. Les applications sont innombrables, notamment en électronique et optique, en médecine, ou dans le secteur de l'énergie.

SWEETCH ENERGY
DE L'EAU DE MER, DE L'EAU DOUCE ET UNE MEMBRANE

On l'appelle «l'énergie bleue». Elle consiste à tirer parti de la différence de salinité entre l'eau de mer et l'eau douce des fleuves ou des rivières. Elle fait appel à des membranes semi-perméables, que l'on place entre eau douce et eau salée. Les unes laissent passer l'eau vers le compartiment d'eau salée, les autres permettent aux ions sodium (Na+) et chlore (Cl-) de migrer vers l'eau douce, ce qui fait apparaître une différence de potentiel entre les deux compartiments. Sur le papier, il serait donc possible, en faisant appel à ce phénomène baptisé osmose, de produire de l'électricité renouvelable près de chaque estuaire de fleuve ou de rivière... À condition de trouver une membrane suffisamment efficace pour que cette énergie soit produite à un prix compétitif. La start-up Sweetch Energy a mis au point une telle technologie et s'apprête à la tester en grand.

«L'aventure commence à l'université Lyon-I, où j'ai été professeur jusqu'en 2015, explique le conseiller scientifique de la start-up, Lydéric Bocquet, aujourd'hui directeur de recherche CNRS, professeur à l'ENS Paris et professeur au Collège de France. Mon équipe faisait de la recherche sur la mécanique des fluides aux échelles micro et nano. Avec Alessandro Siria, nous nous intéressions aux nanotubes de "bore-azote" (nitrure de bore). Ils ont quasiment la même structure que les nanotubes de carbone et des propriétés très semblables. En plaçant un nanotube de bore-azote de quelques dizaines de nanomètres de diamètre à travers une membrane étanche séparant deux solutions de salinité différente, nous avons découvert que les ions y circulent comme sur une autoroute. Cela était dû à des propriétés de surface à l'intérieur du nanotube.» Conséquence : l'intensité de l'électricité engendrée est supérieure de deux ordres de grandeur à ce qui était observé habituellement.

Cette découverte est publiée dans Nature en 2013 (1), puis brevetée. «Malheureusement, une membrane osmotique réalisée dans ce matériau coûterait beaucoup trop cher, reprend le chercheur. Il fallait trouver un matériau plus économique.» C'est avec cet objectif que Sweetch Energy est fondée en 2015, près de Rennes. «Nous devions mieux comprendre ce phénomène de surface qui facilite la circulation des ions et retrouver cet effet nano-osmotique dans un matériau permettant le passage à l'échelle industrielle, explique Nicolas Heuzé, directeur général de la start-up. Il a fallu cinq ans de recherches, menées par Bruno Mottet, notre directeur scientifique, également cofondateur de Sweetch Energy, et deux autres chercheurs, en collaboration avec l'équipe de Lydéric Bocquet. Nous avons trouvé la solution en 2020. Il s'agit d'un matériau économique, biosourcé et recyclable, pour lequel il existe déjà une filière de production. Nous n'en dirons pas plus... Rapidement, nous avons réalisé une preuve de concept, avec une membrane d'environ cinq centimètres sur cinq.»

Depuis, l'équipe a élaboré un module de grande surface avec un empilement de cellules osmotiques permettant de réaliser des unités de production d'électricité osmotique de tailles diverses. Aujourd'hui fabriqués à la main, ces modules seront produits de manière semi-automatique dans quelques mois, et automatiquement en 2026. Début 2024, une centrale osmotique pilote doit commencer à produire quelques dizaines de kilowatts près de l'écluse de Barcarin, à Port-Saint-Louis-du-Rhône (Bouches-du-Rhône). «Du fait de son débit, le Rhône est la première source potentielle d'énergie osmotique en France, assure Nicolas Heuzé. Nous préparons, avec la Compagnie nationale du Rhône, un plan de déploiement global sur son embouchure. L'objectif est de produire des centaines de mégawatts.»

Contrairement à d'autres formes d'énergie renouvelable, l'électricité osmotique ne nécessite pas de grandes surfaces. «Une installation permettant d'alimenter une ville de 20 000 habitants tiendrait dans un cube de quinze mètres de côté», affirme Lydéric Bocquet. Une centrale électrique reposant sur ce principe doit juste être proche d'une embouchure, sur la terre ferme ou sur une barge flottante. Des pompes et des canalisations doivent l'alimenter en eau douce et de mer et permettre de rejeter l'eau saumâtre résultante. «Grâce à notre technologie, on devrait pouvoir produire rapidement des mégawatt-heures d'électricité à un prix compétitif, prévoit Nicolas Heuzé. On estime le potentiel mondial exploitable d'électricité d'origine osmotique entre 300 et 1 000 gigawatts.»

https://www.sweetch.energy/

(1) A. Siria et al., Nature, 494, 455, 2013.

Image d'ouverture : Prototype de membrane de nouvelle génération permettant d'exploiter plus efficacement l'énergie osmotique (crédit : Sweetch Energy).

 

SUPERBRANCHE
DIAGNOSTIQUER ET SOIGNER AVEC LES MÊMES NANOPARTICULES

Delphine Felder-Flesch est directrice de recherche CNRS à l'Institut de physique et chimie des matériaux de Strasbourg, au sein d'une équipe qui travaille sur des nanoparticules à visée médicale. Mais, depuis 2019, elle est «mise à disposition» pour présider la jeune pousse Superbranche qui valorise ses travaux. «Nous avons mis au point un procédé de synthèse et d'enrobage qui nous permet de contrôler la taille, la forme et la biocompatibilité de nos nanoparticules», explique-t-elle. Mesurant quelques dizaines de nanomètres, celles-ci comportent un cœur magnétique en oxyde de fer enrobé d'une forêt de «dendrons» (molécules en forme d'arbre). «Nous savons attacher sur ces branches toutes sortes de molécules d'intérêt», précise la chercheuse. Par exemple, un agent de ciblage visant un certain récepteur surexprimé par des cellules cancéreuses. Le cœur métallique est un excellent agent de contraste sous IRM et surtout en MPI, une nouvelle technologie d'imagerie. Il permet aussi de tuer les cellules malades par une technique de traitement du cancer appelée «hyperthermie magnétique focalisée». Prometteuses en oncologie, elles devraient également faciliter le suivi des thérapies cellulaires.

Superbranche se prépare à produire de manière industrielle ses nanoparticules «de grade clinique» en 2025. Mais le plus long sera de procéder aux études réglementaires et cliniques qui pourraient déboucher sur un premier marquage CE en 2028.

superbranche.com

 

EN BREF

Le plus petit stylo du monde. Issue du laboratoire de physique de l'ENS, Hummink développe depuis 2020 une technologie de fabrication additive à l'échelle nanométrique. Sa première nano-imprimante 3D, destinée au prototypage, est dotée d'une nano-pipette vibrante qui dépose par capillarité d'infimes gouttelettes de toutes sortes de matériaux, avec une résolution revendiquée de 50 nanomètres. Une seconde imprimante est à l'étude.

hummink.com

Nanostructures imprimées.

À Marseille, Solnil s'appuie sur des travaux de l'Institut matériaux microélectronique et nanosciences de Provence pour imprimer économiquement des nanostructures d'oxydes métalliques (oxyde de silicium et oxyde de titane) sur de grandes surfaces, par un procédé « sol-gel » (solution-gélification). Applications visées : optiques pour lasers, imagerie médicale, réalité augmentée...

solnil.com

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