Dans le nord-ouest de Lyon, les journées de chaleur risquent d’être longues pour les habitants du quartier de Vaise : « en cas de besoin », la piscine municipale, l’une des rares sources de fraîcheur, ferme ses portes pendant tout le mois d’août. La raison ? « Il manque une dizaine de maîtres-nageurs dans toute la ville », déplore Lionel Douzet, responsable du pôle des piscines à la direction des sports de la Ville.

Cet été, les sites de baignade rhônalpins, comme partout en France, peinent à recruter des professionnels pour surveiller les activités aquatiques et sont contraints de réduire leurs horaires d’ouverture – jusqu’à fermer temporairement – dans de grandes agglomérations comme Grenoble (Isère) ou des villes moyennes comme Cluses (Haute-Savoie).

Des conditions de travail pointées du doigt

Les professionnels pointent du doigt un manque d’attractivité. « Il y a d’abord l’inadéquation entre la rémunération et la responsabilité : un débutant gagne en moyenne 1 400 € quand ses obligations lui font risquer une série de sanctions pénales, civiles, administratives, hiérarchiques… dont une peine de cinq ans de prison et 75 000 € d’amende », déplore Axel Lamotte, porte-parole de la Fédération française des maîtres-nageurs sauveteurs (FFMNS).

Au bord de l’eau, surtout l’été, leur mission relève de la surveillance – plutôt que de l’enseignement ou de l’encadrement –, à l’occasion de laquelle ils font régulièrement l’objet d’agressions verbales et physiques. Juliette, une étudiante de 22 ans qui passe ses vacances à exercer sur différents sites haut-savoyards, observe que ces conditions de travail ont poussé nombre de ses collègues à se tourner vers des établissements privés, comme les centres d’aquafitness, ou à proposer des cours chez les particuliers. « Et ça, c’est sans compter les problèmes de logement ou de coût de la vie, pour les saisonniers, au moment où la demande est la plus forte. »

5 000 postes vacants

La situation s’étend et s’aggrave, selon la FFMNS qui estime qu’en 2023, 5 000 postes sont en permanence vacants, ou « remplacés de façon inadaptée, ce qui tend à dévaloriser le métier ». Dans le cadre de sorties scolaires, par exemple, les professionnels sont progressivement relayés par des professeurs d’EPS, voire des parents bénévoles.

En parallèle, les voies d’accès à la mission du MNS – initialement via des formations impliquant un certain coût ou une certaine durée – s’élargissent. Depuis le 3 juin 2023, par exemple, un décret du gouvernement autorise les détenteurs du BNSSA – un diplôme de secouriste bénévole – à « assurer en autonomie la surveillance des baignades d’accès payant ».

Cette dérégulation de la profession permet de recourir à une main-d’œuvre plus nombreuse et moins chère pour faire face à la pénurie. Mais elle diminue les exigences de niveau de formation. Résultat : le niveau de nage général – celui des encadrants comme celui des baigneurs – est en baisse.

L’augmentation des noyades corrélée à la montée des températures

Fabien Camporelli, sociologue rattaché au laboratoire Clersé et enseignant à l’université de Lille, s’est intéressé aux conséquences de la situation. Dans les régions éloignées des littoraux, une partie de la population – notamment celle qui ne part pas en vacances ou celle prise dans le « retour en vogue des eaux vives » – pourraient se tourner, en cas de pics de température, vers des sites dangereux parce qu’ils ne sont pas surveillés ou qu’ils présentent des risques bactériologiques.

Cette préoccupation s’amplifie avec la perspective du réchauffement climatique « puisqu’on sait déjà que l’augmentation des accidents et noyades est corrélée à la montée des températures », relève Fabien Camporelli. Pour faire face, les professionnels réclament aux pouvoirs publics un plan d’urgence pour la formation, « parce que apprendre à sauver son prochain, c’est un processus long et complexe », tient-on à rappeler à la FFMNS.

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Un métier qui date de 1951

Le maître-nageur sauveteur (MNS) est l’un des plus vieux métiers de l’encadrement sportif. Le statut est officiellement créé en 1951, après que l’État a pris conscience de l’ampleur des noyades et rendu obligatoire la surveillance des baignades d’accès payant par du personnel spécialisé.

Dans l’après-guerre, la baignade comme loisir se développe, en même temps que la politique de prévention. Le métier devient alors particulièrement porteur : on compte 5 000 nouveaux diplômés par an.

Près de 20 000 MNS exercent actuellement leur métier en France, après une baisse d’effectifs continue depuis plusieurs années.