Décryptage

Stéréotypes racistes dans les médias : les écoles de journalisme doivent mieux former leurs étudiants

L'Association des journalistes antiracistes et racisé.e.s. rassemble 200 professionnels et étudiants et entend lutter contre les discriminations dans les rédactions.
L'Association des journalistes antiracistes et racisé.e.s. rassemble 200 professionnels et étudiants et entend lutter contre les discriminations dans les rédactions. © Adobe Stock/Richard Villalon
Par Clémentine Rigot, publié le 03 août 2023
5 min

Manque de diversité dans les écoles et les rédactions, déficit de sensibilisation aux sujets sociaux… Les cursus en journalisme ne forment pas assez leurs étudiants à lutter contre les biais discriminatoires et les stéréotypes racistes. Une association va intervenir dans les écoles pour former les étudiants.

"On a remarqué qu'à chaque fois qu’un crime ou un délit est commis par une personne non blanche, les médias vont systématiquement parler de son origine ethnique, créant une surreprésentation des personnes racisées et un déséquilibre par rapport à la réalité", analyse Sarah Bos, journaliste et membre de l’AJAR (Association des journalistes antiracistes et racisé.e.s).

Lancée au printemps après la publication d’une tribune dans Libération, l’Ajar a pour vocation de lutter contre les discriminations dans les rédactions, mais aussi de "faire reculer le racisme dans le traitement médiatique et la propagation des stéréotypes", précise la journaliste. Un travail qui passera par les rédactions, mais aussi par les écoles de journalisme. Plus de 200 professionnels et étudiants ont rejoint les rangs de cette nouvelle organisation.

Un manque de diversité dès l’école de journalisme

Amjad, étudiant au Cuej de Strasbourg (67), a adhéré à l’Ajar cette année. Alternant dans un titre de presse quotidienne régionale, il y est, "sur deux départements, le seul journaliste racisé". En 2022, alors qu’il participe à une journée-conférence autour des inégalités animée par son école, le jeune homme s’étonne qu'il ne soit pas fait mention des discriminations racistes. "Je trouvais ça effarant qu’en école de journalisme, on ne traite pas la question, alors même qu’on était en pleine campagne présidentielle, au contact des discours d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen", se souvient-il.

Intégrables le plus souvent à bac+3, les 14 écoles reconnues par la profession "ne ressemblent pas exactement à la société française", admet Soraya Morvan-Smith, journaliste enseignante à l’IUT de Lannion (22). "Les promotions sont très homogènes, avec des étudiants issus globalement des mêmes milieux sociaux-économiques", abonde Sarah Bos.

Pourtant, de plus en plus de formations prêtent une attention particulière à ces questions lors de l’examen des candidatures. "Tous les biais qui pourraient être discriminants font l’objet d'un effort de traitement pour ouvrir davantage le recrutement", précise Soraya Morvan-Smith, notamment en s’attachant davantage à la motivation de l’élève plutôt qu’au parcours et aux résultats scolaires.

Mais avant même la sélection se pose le problème du manque de candidats issus de minorités visibles. "Chaque année, je vois aussi le déficit de candidats", regrette l’enseignante. Et cela se répercute plus tard dans les promotions, où l’on recense souvent "autour de trois élèves racisés", déplore Sarah Bos. Un manque de diversité qui se ressentira de facto à l’intérieur des rédactions dans les années à venir.

Des formations encore peu tournées vers les questions liées au racisme

Concernant les équipes pédagogiques, les écoles de journalisme font aussi figure de mauvaises élèves. "En deux ans de formation, on n’a eu qu’une seule intervenante racisée", se souvient Amjad. Un chiffre étonnamment bas, qui n'empêche toutefois pas certaines écoles de revoir doucement leurs programmes.

À Lannion (22), la thématique infuse ainsi déjà le cursus des élèves : "Une grande partie des cours concerne la façon dont on prend du recul pour interroger la manière de traiter différents évènements", souligne Soraya Morvan-Smith. Sonder les sources, remettre en question les évidences, chercher la plus-value d’un sujet… Les bases du métier de journaliste doivent pousser les étudiants à repenser le traitement des personnes issus de minorités visibles dans leurs productions.

Interventions dans les écoles

"Tina Turner victime de misogynoir", les "propos anti-gitans diffusés par LCI", ou encore "le Parisien et les abayas" : sur ses réseaux sociaux, l’Ajar épingle les médias qui véhiculent, dans leur traitement de l’actualité, des biais et stéréotypes racistes. "France Bleu avait utilisé l’image d’un singe au volant pour illustrer un article sur les chauffeurs VTC", se souvient Sarah Bos. Pointée du doigt par l’association, la chaîne a finalement présenté ses excuses et corrigé l’illustration.

À partir de la rentrée, l’AJAR devrait intervenir en collèges, mais également dans une dizaine d’écoles de journalisme pour des modules sur ces thématiques. Un réel progrès, mais que la journaliste souhaiterait voir se pérenniser à travers "de vrais modules dans les emplois du temps".

L’association travaille également à l’élaboration d’un kit pour sensibiliser les rédactions, notamment autour des quartiers populaires, des violences policières ou des questions migratoires. Et si un long chemin restera encore à parcourir, Sarah Bos compte sur la formation et les étudiants pour se saisir de ces problématiques, en 'déconstruisant les clichés afin de ne plus en propager dans leur mission d’informer le public".

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