Pour sa première rentrée à la tête du ministère, le nouveau ministre de l’éducation nationale, Gabriel Attal, a promis de rehausser le niveau à l’école. À l’appui de cet engagement, brandi comme un étendard, il a avancé ce constat : « Le niveau d’un élève de quatrième aujourd’hui correspond au niveau d’un élève de cinquième en 1995 », illustrant la dégringolade à l’œuvre depuis trente ans. Afin d’y remédier, Gabriel Attal promet un « choc des savoirs » centré sur les mathématiques et la lecture. Bref, un retour aux fondamentaux.

Aura-t-il plus de succès que ses prédécesseurs ? Mission première de l’école, la lecture a toujours été au centre de l’attention des ministres depuis vingt ans. De François Bayrou à Pap Ndiaye en passant par Xavier Darcos ou Najat Vallaud-Belkacem, les ministres de l’éducation successifs l’ont érigée en priorité.

Pourtant, le bilan est moyen : l’école ne parvient pas à apprendre à lire à tous les élèves. En 2022, 750 000 jeunes participants à la Journée défense et citoyenneté âgés de 16 à 25 ans ont été soumis à des tests. Le résultat est sans appel : si 78,9 % sont des « lecteurs efficaces », 11,2 % connaissent de réelles difficultés.

Un niveau bas selon les études

Le niveau décevant des élèves est aussi mis en lumière par différentes études internationales, dont l’enquête Pirls de 2021, qui permet de situer la France par rapport aux pays comparables. « Entre 2001 et 2021, le niveau de la France reste bas, analyse Nadir Altinok, professeur d’économie à l’université de Lorraine. Elle ne se situe qu’entre le 17e et le 18e rang sur les 25 pays les plus riches, alors même qu’elle dépense 6 % de son PIB pour l’éducation », poursuit-il.

Autre facteur inquiétant, le nombre d’enfants très bons lecteurs est trop faible : seuls 5 % des élèves français de CM1 sont considérés par la même étude comme avancés, contre 14 % en Finlande ou en Pologne, par exemple. « De quoi augurer de futures difficultés à former des étudiants brillants, capables d’innover », estime le chercheur.

Des difficultés très françaises

Comment en est-on arrivé là ? « Il n’y a pas d’explication unique, avance Nadir Altinok. De très nombreux facteurs peuvent se conjuguer, qui relèvent, entre autres, de l’investissement parental précoce ou du système scolaire. » Seule certitude selon lui, les réponses ne sont pas à chercher dans la quantité d’apprentissage : les élèves français ont en moyenne plus de temps de lecture que les autres jeunes Européens, soulignent diverses études.

« Attention à comparer des enfants réellement comparables, alerte de son côté Manon Garrouste, maîtresse de conférences à l’université de Lille. Aujourd’hui, les petits sont exposés au numérique, par exemple, ou, pour certains, à d’autres langues que le français à la maison, beaucoup plus fréquemment qu’il y a vingt ans. »

Rentrée scolaire 2023 : lecture à l’école, des lacunes bien françaises

Pour le sociologue Pierre Merle, la contre-performance française ne serait jamais que la résultante de difficultés, très françaises elles aussi : « Des classes surchargées, des pratiques pédagogiques parfois inadaptées et la faible mixité sociale et scolaire qui prive les enfants d’apprentissage entre pairs. »

Le dédoublement des classes a produit des résultats décevants

Le dédoublement des classes de grande section, CP et CE1 dans les zones sensibles, mesure phare du premier mandat d’Emmanuel Macron qui va se poursuivre cette année, a produit des résultats décevants car il se heurte à deux écueils. « En se limitant aux REP (réseaux d’éducation prioritaire, NDLR), on se trompe un peu de cible : tous les enfants scolarisés dans ces quartiers ne sont pas en difficulté scolaire, tandis que d’autres, qui auraient besoin d’un soutien, en sont privés à défaut d’être en REP. Le dédoublement ne s’applique en fait qu’à 15 % des élèves en difficulté », indique le sociologue.

Autre obstacle : la pédagogie. Schématiquement, après des années de guerre entre les tenants de la méthode globale et de la méthode syllabique, d’autres clivages apparaissent. « Une partie des professeurs restent attachés à des théories constructivistes de l’éducation », précise Pierre Merle. Elles laissent l’élève progresser à son rythme, par l’exploration et les interactions, mais sont moins efficaces que les méthodes dites « explicites », qui reposent sur la répétition et l’alternance leçon-exercices. « On sait maintenant qu’il faut faire répéter l’enfant en début de CP pour favoriser la mémorisation. La méthode explicite s’y prête d’avantage. Elle est pourtant moins utilisée en REP qu’ailleurs », car elle y est moins prisée des enseignants.

L’absence d’attention à la pédagogie inquiète

Dans ce contexte, Gabriel Attal va-t-il parvenir à changer la donne ? Si, dans le champ politique, les annonces du ministre ont été plutôt bien reçues (lire les repères), certains s’inquiètent de l’absence d’annonces fortes sur la formation. Caroline Viriot-Goeldel, professeure de sciences de l’éducation à l’Institut de formation (Inspé) de Créteil, aurait ainsi souhaité entendre le ministre évoquer davantage la question ainsi que celle de l’aide aux élèves en difficulté, clés, selon elle, de l’apprentissage de la lecture.

« La France ne progressera jamais dans les classements tant que des professeurs laisseront des élèves sur le bord du chemin. Cela arrive pourtant quand ils ne savent pas comment faire. Or ils sont peu formés : la lecture ne représente que quelques heures sur les deux ans de leur formation, ce qui est insuffisant pour aborder les cas particuliers, les pédagogies innovantes. Difficulté supplémentaire : les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased), qui permettaient à des professeurs spécialisés et des psychologues d’intervenir en renfort dans les classes, sont de plus en plus rares », estime-t-elle.

« On sait ce qui marche »

De fait, la formation est au cœur, par exemple, des bons résultats de l’académie de Paris. Ces dernières années, les enfants y lisent mieux. « Depuis les travaux du conseil scientifique de l’éducation nationale mis en place par Jean-Michel Blanquer, on sait quelles pédagogies marchent. Les ressources sont à disposition. Il suffit de permettre aux enseignants de se former, avance Isabelle Goubier, inspectrice d’académie. C’est chose faite pour tous nos professeurs de CP et CE1 dans le cadre de la formation continue. »

Depuis un an, tous les enseignants de maternelle ont aussi été sensibilisés. « Ils apprennent, par exemple, que c’est en maîtrisant l’oral qu’un petit peut maîtriser l’écrit, illustre encore l’inspectrice, et que, dès lors, leur premier objectif doit être de beaucoup parler avec chacun des enfants. » Autant de conseils pas toujours intuitifs, mais déterminants, car ils permettent d’éviter que certains élèves, dès le premier âge, restent sur le bord du chemin.

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Ce que prévoit le ministre pour la lecture

Assurer deux heures par jour d’activités autour de la lecture en CP.

Limiter les classes à 24 élèves en grande section, CP et CE1.

En CM1, tous les élèves qui n’arrivent pas à lire avec fluidité bénéficieront d’une « pratique quotidienne renforcée ». Chaque semaine deux textes longs, de 1 000 mots au moins, devront être lus par les élèves.

Achever le dédoublement des classes de grande section en REP.

Un plan lecture sera généralisé partout en France.