Céline Seguenot fait sa rentrée, ce lundi 4 septembre, dans une école de Belleville à Paris, classée en réseau d’éducation prioritaire. Elle sait déjà que tous ses élèves de CM1 ne liront pas bien. Elle sait aussi qu’elle pourra les aider : d’ici à deux semaines, elle lancera ses ateliers Roll, du nom d’une méthode d’apprentissage de la compréhension mise au point par le linguiste Alain Bentolila, qu’elle pratique depuis dix ans.

Selon ce dernier, on se trompe souvent de problème en voulant aider les mauvais lecteurs. « Les enseignants ont longtemps cru que savoir lire, c’était savoir déchiffrer les lettres vite et sans faute. C’est en partie vrai, mais ce n’est pas suffisant. Lire, c’est aussi comprendre ce qui est écrit, rester fidèle à l’intention de l’auteur. »

Cette aptitude ne découle pas automatiquement du déchiffrage et est peu enseignée à l’école, estime Alain Bentolila. Ainsi, les 95 000 élèves qui quittent le système scolaire chaque année sans savoir bien lire peuvent en fait reconnaître les mots. Tout le problème est qu’ils ne parviennent pas à comprendre le sens des phrases.

Le programme Roll, un atelier en quatre étapes

Le programme Roll, déployé dans six académies, les aide à y parvenir. « Selon des évaluations partielles, il permet d’augmenter les capacités en lecture de 7 points, ce qui est beaucoup », avance son auteur. Il prend la forme d’ateliers de compréhension, par petits groupes. Céline Seguenot travaillera ainsi avec « sept ou huit élèves aux profils variés, pas forcément tous en difficulté », anticipe l’enseignante, rodée à la méthode depuis dix ans.

Les séances, de quarante-cinq minutes, se déroulent en quatre étapes. D’abord, lire un texte. Ensuite, chaque élève participant raconte ce qu’il en a compris. « Je me contente d’écrire toutes les propositions au tableau, même les plus loufoques, sans rien dire. Je les répartis en trois colonnes : celles qui mettent tout le monde d’accord, celles qui ne font pas l’unanimité, celles pour lesquelles on ne sait pas trop », énumère l’enseignante. Ensuite, le petit groupe reprend le texte ligne à ligne pour vérifier les diverses propositions. Enfin, deux ou trois élèves raconteront l’histoire à nouveau, avec leurs propres mots.

L’intérêt est de dénouer les pièges de la langue, savoir jouer avec le sens figuré, l’implicite… « Par exemple, un enfant doit comprendre que, quand il lit la phrase “La femme danse sur le sable”, il a le droit d’imaginer que le sable est blanc ou rouge, car il ne trahit pas l’intention de l’auteur, mais il ne doit pas confondre “sable” et “table” », illustre Alain Bentolila. « Même un texte très simple est plein de non-dits, renchérit Céline Seguenot. Par exemple, quand je lis “Milo met ses bottes et son ciré”, nulle part il n’est écrit qu’il pleut ; c’est l’enfant qui le déduit. C’est ce genre de facultés que nous entraînons. »

Apprendre à lire, même les mathématiques

L’enjeu serait immense. La lecture se retrouve jusque dans les intitulés de mathématiques, « où certains élèves se laissent porter par des détails et oublient les chiffres clés », illustre encore le linguiste. Aussi, les ateliers Roll s’adressent à tous les âges, du CP à la cinquième, afin d’apprendre à lire des textes de différents registres (narratifs, explicatifs, scientifiques), à repérer l’information essentielle ou encore à décrypter les tableaux à double entrée, qu’un tiers des élèves de cm2 ne savent pas lire, selon les études. Autant de compétences pourtant indispensables à la scolarité.

Céline Seguenot n’a pas encore choisi le premier texte étudié cette année, même s’il devrait porter sur l’école d’autrefois, « parce que c’est sympa au moment de la rentrée », envisage-t-elle. Elle choisira une histoire simple, puis veillera à ce que chacun ait bien compris qui sont les personnages en fonction des pronoms, des groupes nominaux. Un premier pas vers l’autonomie.