A 21 ans, Loeva Girardin n’est pas encore maman et a déjà mis au monde une trentaine de bébés. Elle vient de terminer sa 4e année d’école de sages-femmes et a déjà conscience que son métier est « le plus beau du monde, mais aussi parfois le pire ». Parce qu’elle côtoie de près la vie, mais également la mort. Tout comme sa mère, Mathilde Girardin, et sa grand-mère, Elisabeth Gaud, avant elle, Loeva accompagne le choix des femmes d’être ou de ne pas être mère et la manière dont elles souhaitent mettre au monde leur enfant.
Dans cette lignée de sages-femmes, il est question de sensibilité, de réappropriation par les femmes de leur corps et d’engagements féministes. Des constantes transmises par Elisabeth, 74 ans, et ancrées en chacune d’elles. D’abord chez sa fille de 47 ans, Mathilde, installée depuis neuf ans en tant que sage-femme libérale à Montaigu (Vendée), après avoir exercé dix-neuf ans à l’hôpital. Et maintenant chez sa petite-fille, étudiante à Nantes.
Réunies à La Montagne (Loire-Atlantique) vendredi 26 mai, elles feuillettent les manuels de révision de Loeva, et constatent que, si le métier reste le même, certaines approches ont changé. Leurs avis divergent, parfois, sur les innovations apportées à la profession. Le fruit de leurs parcours professionnels, mais aussi de leur vie de femme dans une société qui a connu en cinquante ans des changements marquants. Mais toutes trois s’écoutent avec bienveillance.
Le parcours d’Elisabeth est empreint de la longue lutte des femmes à disposer de leur corps. Au début des années 1970, elle démarre ses études de sage-femme contre l’avis de ses parents, qui estimaient que ce secteur n’était pas valorisant. Son désir d’enfant – qu’elle a « toujours eu envers et contre tout » – l’oblige à interrompre son cursus. Enceinte de son premier enfant à 21 ans, elle enchaîne trois grossesses en trois ans et ne reprendra jamais sa formation.
« Une petite graine dans mon cerveau »
Un jour, alors qu’elle élève ses enfants à Roubaix (Nord), une jeune femme sonne à sa porte. Elle cherche à rencontrer son époux, interne en médecine, pour le sensibiliser aux difficultés rencontrées par les femmes pour avorter. « Ça m’a fait tilt. » Elle s’engage alors pour la contraception et l’avortement, et les droits des femmes. « J’ai participé immédiatement au groupe des femmes qui pratiquait la méthode de Karman – ces avortements par aspiration à l’aide d’une grosse seringue, qui n’abîmaient pas le col [de l’utérus] », relate-t-elle. Les mines de charbon du Nord ne se portaient plus si bien. Dans les corons de Roubaix, les familles n’avaient pas toujours les moyens de nourrir plusieurs enfants.
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