La question

Education : les enseignants contractuels vont-ils rempiler ?

6 min

Gabriel Attal, nouveau ministre de l’Education nationale, répète à chacune de ses interventions qu’il y aura « un enseignant devant chaque élève », mais pour résoudre cette équation, l’embauche de contractuels perdure. 

Cécile fête sa deuxième rentrée scolaire. En juin 2022, la quadragénaire avait été embauchée comme professeure des écoles contractuelle par le rectorat de Versailles après s’être rendue à une journée job dating. « Ma première année a été un vrai tsunami », sourit celle qui a enseigné en CE2...

Cécile fête sa deuxième rentrée scolaire. En juin 2022, la quadragénaire avait été embauchée comme professeure des écoles contractuelle par le rectorat de Versailles après s’être rendue à une journée job dating. « Ma première année a été un vrai tsunami », sourit celle qui a enseigné en CE2.

« J’en retiens une charge de travail énorme et des moments de stress, mais aussi un grand soutien de mes collègues et de ma directrice. Ils m’ont beaucoup aidé pour préparer mes cours ou me donner des conseils pédagogiques. »

En septembre dernier, Cécile faisait partie des quelque 4 500 contractuels embauchés pour l’année scolaire par l’Education nationale, dans une rentrée marquée par les difficultés de recrutement. Ces enseignants en CDD représentent 1 % des effectifs du premier degré et 6 à 8 % dans le second degré.

Loin de se limiter à la rentrée 2022, la crise de recrutement que connaît le métier d’enseignant demeure structurelle en ce mois de septembre 2023 : à l’issue des concours de recrutement externes, plus de 2 700 postes n’étaient pas pourvus.

Gabriel Attal, nouveau ministre de l’Education nationale, répète à chacune de ses interventions qu’il y aura « un enseignant devant chaque élève ». Pour résoudre cette équation, l’embauche de contractuels perdure.

Beaucoup de contractuels renouvelés

Environ « 90 % des contractuels recrutés exerçaient déjà l’année précédente », affirme le locataire de la rue de Grenelle. Un taux similaire, quoiqu’un peu supérieur à ceux énoncés par ces prédécesseurs les années d’avant, qui tablaient autour de 80 %.

Comme beaucoup, Cécile a choisi de signer à nouveau un contrat avec le rectorat de Versailles.

« Même si c’est un métier dur, j’adore enseigner aux enfants et les voir progresser tout au long de l’année. C’est paradoxal, mais si j’angoisse un peu à l’idée de retrouver ma classe, j’ai aussi très hâte. »

Philippe, 53 ans, a également choisi de « rempiler » après une première année à enseigner l’économie-gestion dans un lycée de Lille.

« L’énergie des élèves vous porte, on s’attache à eux et à leur réussite, s’enthousiasme l’ancien cadre dans la vente. Je n’avais pas conscience de cela en postulant l’année dernière. »

S’ils ont prolongé leur contrat, les deux enseignants ont tout de même demandé davantage de formations pour leur deuxième année. « Je me suis beaucoup renseigné sur Eduscol, mais ce n’est pas suffisant pour un métier aussi complexe, on le sait bien », souligne Philippe. D’ailleurs, il a suivi une formation dix jours avant la rentrée.

Le rectorat de Lille précise avoir davantage anticipé le recrutement. « Nous avons fait le maximum pour les prévenir en amont de leur contrat, dès juillet voire juin, explique la rectrice Valérie Cabuil. Sur les 1 600 contractuels que nous avons embauchés, il y a plus de renouvellements qu’auparavant. »

Le rectorat de Créteil, une des académies les plus en déficit de candidats aux concours, a également anticipé sa rentrée en signant 500 nouveaux contractuels dès le mois de juin.

« L’intérêt est de fidéliser ces personnels. Ces futurs enseignants, s’ils savent qu’ils sont recrutés, pourront se projeter dans un trajet professionnel anticipé et dans le métier qu’ils vont exercer, expliquait l’institution. A notre niveau, cela nous permet d’augmenter le temps de formation préalable à la prise de fonction. »

Entre 5 % et 10 % de démissions à Versailles

Pour autant, cette anticipation ne permet pas une rentrée sereine, estime le Snes-FSU, syndicat majoritaire chez les professeurs du second degré.

« On se retrouve dans une situation de bricolage, pointe sa secrétaire générale, Sophie Vénétitay. S’il y a bien un enseignant devant chaque élève, c’est à quel prix humain et pédagogique ? Avec des collègues contractuels qui démissionnent après quelques semaines de cours… »

Les syndicats déplorent le manque de chiffres sur les contractuels, et notamment les démissions. Interrogée sur le sujet au printemps dernier, la rectrice de Versailles d’alors Charline Avenel évoquait un taux de démission de 5 % à 10 % pour les contractuels embauchés à la rentrée 2022.

« Une collègue que j’avais rencontrée en formation m’a dit avoir démissionné après Noël, raconte l’enseignante Cécile. Elle a trouvé un poste mieux rémunéré dans le privé. »

Bertrand Delhomme, ancien doctorant en sociologie, a étudié les trajectoires de 4 000 enseignants contractuels de 2010 à 2019. Il en ressort qu’un sur deux n’était plus dans l’Education nationale cinq ans après son embauche, et parmi eux, un sur deux part dès la première année d’enseignement.

Pour autant, difficile de généraliser, pointe le directeur d’un collège à Montreuil.

« L’année dernière, un de nos contractuels a démissionné sans prévenir, du jour au lendemain, un peu avant les vacances de la Toussaint. Ça a été complexe de le remplacer au pied levé. Mais les trois autres enseignants sous contrat sont restés, et deux sont encore là pour cette rentrée. »

« En étant contractuel, je peux rester dans mon académie »

Pour celles et ceux qui restent, se pose la question du statut. Philippe admet réfléchir à passer le concours pour devenir titulaire. « Je serais plus serein quant à mon futur, notamment pour la progression de salaire », explique-t-il.

Si des grilles salariales prévoient des minima selon le niveau de diplôme, certains rectorats n’hésitent pas à aller au-delà pour attirer les candidats, « suivant la logique de l’offre et la demande », pointe Cécile Suez, du SE-Unsa.

« Les conditions de travail qui se dégradent, cela ne fait pas rêver » – Céline, professeure des écoles contractuelle

En 2018, la Cour des comptes notait dans un rapport que l’académie de Créteil, en déficit de candidats, payait ses contractuels 13 % de plus que la moyenne nationale, et 20 % de plus que dans des académies comme Bordeaux ou Grenoble.

S’ils peuvent donc parfois être mieux payés que leurs collègues néotitulaires, les contractuels se trouvent malgré tout pénalisés par la suite, car la progression salariale des enseignants est peu avantageuse par rapport au secteur privé.

Ce qui fait aussi hésiter Philippe, c’est le risque de mobilité contrainte.

« Le concours se fait au niveau national, donc je risque d’être envoyé dans un établissement loin de chez moi. En étant contractuel, je peux rester dans mon académie, c’est plus sûr. »

De son côté, Cécile a regardé le concours exceptionnel de son académie, ouvert pour les contractuels du premier degré justifiant de 18 mois d’expérience. « Une collègue, en contrat depuis trois ans, l’a passé. Elle ne voulait pas attendre six ans pour avoir un CDI, comme c’est la règle dans l’Education nationale », explique la professeure.

« Moi j’hésite car je ne suis pas sûre du tout de vouloir faire ce métier pour le reste de ma carrière. C’est un beau métier, mais je vois mes collègues essorés après même pas dix années d’expérience. Les conditions de travail qui se dégradent, cela ne fait pas rêver. »

D’ailleurs, ce concours exceptionnel est loin d’avoir fait le plein, souligne Cécile Suez de l’Unsa.

« Tout comme les autres concours externes. Pourquoi ce serait différent ? Le métier n’attire plus et c’est en premier lieu à cause des conditions de travail et de rémunération. Pour pallier cette crise d’attractivité, il faut des réponses. Et vite. »

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Commentaires (1)
Elegehesse 06/09/2023
Bizarre, les enseignants se découragent et le niveau moyen baisse ... Aucun coupable ? Quand des problèmes durent, c'est la solution qui est le problème.... En France, la solution problème est dans le centralisme et ses règles uniformes : qui osera pulvériser le mammouth? https://www.lisez.com/livre-grand-format/lecole-a-deux-vitesses/9782809848144 /// https://www.youtube.com/watch?v=WDLGLzKO1VQ&t=31s
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