Dans un an à la même époque, les jeunes porteront-ils tous un uniforme à l’école, au collège ou au lycée ? Si un tel projet n’a jamais vu le jour en France et fait figure de serpent de mer de la vie politique, il a pris une autre dimension ces derniers mois.

Ainsi, en janvier, à l’occasion d’un projet de loi porté par le Rassemblement national, une partie de la majorité présidentielle est apparue ouverte à cette idée. La question a encore pris de la vigueur après les émeutes de juillet : face à l’embrasement d’une partie de la jeunesse, le chef de l’État a annoncé vouloir réarmer l’école. L’une des façons d’y parvenir ? Y expérimenter l’uniforme dans les mois qui viennent, ont répondu Emmanuel Macron et le ministre de l’éducation nationale, Gabriel Attal.

Ces débats, qui divisent les adultes, passionnent-ils les jeunes eux-mêmes ? Leurs instances de représentation, comme les élus aux conseils municipaux de la jeunesse, par exemple, ne se sont jamais prononcées. « L’uniforme n’est pas dans la culture française, qui est très individualiste, décrypte le sociologue Jean-François Amadieu. Il ne pose, à l’inverse, aucun problème au Japon ou en Corée du Sud, par exemple, car la culture y est très collective. S’effacer devant son institution y est naturel. Pas sûr que les jeunes Français se retrouvent dans cet état d’esprit, même si l’effet de mode autour de la Corée pourrait les y aider. »

Certains portent déjà l’uniforme

Pourtant, certains le portent déjà, dans certains établissements privés. Lilie, élève de sixième à l’institut d’Alzon au Grau-du-Roi (Gard), arbore ainsi fièrement un polo vert depuis la rentrée. « Il me plaît beaucoup, avance-t-elle. J’ai l’impression d’être dans une série télé. » De quoi lui faire oublier ses crop tops. Meyla, 8 ans, est scolarisée à l’école Jules-Verne au Mans (Sarthe), un établissement du réseau « espérance banlieues » où les élèves portent « un tee-shirt avec une montgolfière » et procèdent au lever des couleurs chaque matin. La fillette est ravie : « Comme ça, on sait comment s’habiller le matin, et il n’y a pas de jalousie. »

L’uniforme est aussi porté dans les départements d’outre-mer. En Guadeloupe, il ne fait d’ailleurs pas débat. La tenue souvent imposée est simple : un jean malgré la chaleur et un tee-shirt coloré, marqué du logo de l’établissement. « C’est bien, l’uniforme, seules les chaussures nous différencient », note Owen, 12 ans, scolarisé dans un collège privé catholique de l’archipel. Ses camarades acquiescent, mais certains nuancent. « Ce serait mieux si on avait tous le même haut car, avec la couleur, on sait direct de quel collège tu viens », souligne Luna, 13 ans. Pour eux tous, « au collège c’est OK, mais au lycée, ça devient trop ». Surtout, concluent-ils, l’uniforme n’est après tout « pas très utile ».

Selon certains spécialistes, il ne faudrait en effet pas trop en attendre : la tenue unique ne permet pas de régler la question du climat scolaire et du harcèlement, selon la thérapeute Emmanuelle Piquet, spécialiste de la souffrance scolaire. Un adolescent n’est jamais vilipendé, pris à partie, moqué seulement pour ses vêtements, mais « pour ce qu’il y a dessous », résume-t-elle, c’est-à-dire sa posture. Celle-ci envoie toujours un message implicite : « Je suis bien dans ma peau ou pas. Or les adolescents entre eux ont un radar capable de détecter la vulnérabilité qui transpercerait même une cotte de mailles. Ce n’est pas l’habit qui va les protéger. »

Téléphones, chaussures, autres objets de comparaison

En cette matinée ensoleillée devant le collège Maurice-Genevoix de Montrouge (Hauts-de-Seine), beaucoup d’élèves n’y croient d’ailleurs pas vraiment. Rose, elle, est « pour et contre ». Élève de troisième, elle porte un sweat-shirt siglé « Harvard » et s’interroge. « On se compare surtout sur nos téléphones, nos chaussures et nos montres », fait-elle valoir. Quelle sera donc la portée réelle de l’uniforme ? Surtout, à quoi ressemblera cette fameuse tenue ? « En fait, réfléchit Rose, tout l’enjeu est là. » Elle se voit par exemple porter une cravate « à l’anglaise », mais pas une jupe.

Les lycéens qui passent à proximité du collège, en route pour le centre commercial voisin, estiment, eux, que l’uniforme, c’est bien, mais pour les autres, « pour les collégiens, parce qu’ils se moquent de ceux qui n’ont pas de marques. Mais nous, on a l’âge de savoir s’habiller », se récrient Aurore et Diane. Elles citent les interdits du règlement de leur lycée qu’elles respectent déjà, pêle-mêle : les jeans troués, les crop tops et « tout ce qui est trop court ». « C’est normal, jugent-elles. On ne pourra pas non plus s’habiller comme ça quand on travaillera. »

« Un bon moyen d’être fier de notre établissement ? »

Lamis et Lindsay, lycéennes elles aussi, sont partagées. L’une est contre, l’autre est pour, « s’il est le même pour toutes les écoles, sinon, c’est sûr que les écoles privées en auront des mieux ». Elles sont néanmoins d’accord sur un point : ce serait peut-être un bon moyen de s’identifier à son lycée. « En France, on n’a pas vraiment de moyen de montrer notre appartenance, et c’est dommage. Il n’y a pas de tournois de sport, par exemple. Peut-être que l’uniforme serait un bon moyen d’être fier de notre établissement ? »

L’apparence compte beaucoup pour Fidela et Trissia, elles aussi en troisième. Elles le disent tout net : tout dépend de ce à quoi il ressemblera. Nattes longues, piercing, ongles longs… Elles veulent surtout pouvoir se faire belles avec leur uniforme. « Choisir de beaux vêtements, ça me motive pour aller au collège », glisse l’une qui voit dans la façon de s’habiller une forme d’expression de sa personnalité. « Tellement !, approuve l’autre. Parfois, je fais exprès d’arriver un peu en retard pour que tout le monde voie ma belle tenue. »

Le vêtement comme moyen d’expression

Et les garçons ? La plupart exhibent des maillots de leur équipe de foot préférée. Déjà une sorte d’uniforme ? Loin de là, réfute Ianis, un élève de première, qui l’assimile à un signe de ralliement à une tribu : « Pour moi, c’est une façon d’exprimer qui je suis. » Selon le lycéen, d’ailleurs, « le gouvernement ne devrait pas se permettre d’imposer de nouveaux vêtements alors qu’ils ont déjà interdit les abayas, parce que ça porte atteinte à la liberté de chacun. On est dans un pays où on est censé s’habiller librement. » Pour autant, il peut imaginer porter un jour un uniforme, sur la base du volontariat : « Si c’est un choix, pourquoi pas. »

Finalement, les plus remontés contre l’idée de porter l’uniforme sont les plus jeunes, les élèves de sixième pour qui cela revient à renoncer à un droit qui leur est cher, celui de choisir ses vêtements, qui marque la fin de l’enfance. « L’uniforme, c’est moche », tranche Sevan, 11 ans, en bermuda bleu et tee-shirt assorti : « Le jour de la rentrée, c’est maman qui m’a dit comment m’habiller, mais les autres jours, c’est moi qui décide », explique celui qui vient de faire sa rentrée en sixième. « Avec l’uniforme, on perd le pouvoir de choisir », résume Agathe, élève de troisième.

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Une obligation rarement mise en œuvre

►Les lycées napoléoniens

Les lycées publics créés par Napoléon Bonaparte en 1802 sont les seuls établissements à instaurer un uniforme à l’échelle nationale, jusqu’en 1914. Au cœur du dispositif napoléonien, ces institutions réservées aux garçons visaient à former l’élite politique de l’empire.

► La blouse

Tenue scolaire par excellence, très répandue à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la blouse bleue ne peut pas être considérée comme un uniforme scolaire. Chacun reste libre de s’habiller comme il l’entend. Instaurée surtout pour protéger les vêtements des taches d’encre, la blouse a disparu vers 1968 des écoles françaises.

► La tradition de la « tenue commune » en outre-mer

En Guadeloupe, Martinique et Guyane, la tenue scolaire uniforme n’est pas une obligation mais reste une tradition bien ancrée et largement respectée.

► Un uniforme dans les lycées militaires

Sept lycées militaires français instaurent dans leur règlement intérieur une tenue scolaire similaire pour tous les élèves. Ils disposent également d’une tenue d’apparat pour les cérémonies.

►Les maisons d’éducation de la Légion d’honneur et l’internat d’excellence de Sourdun (Seine-et-Marne) imposent une tenue sobre, floquée du blason de ces institutions.