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Interview

Stanislas Guerini : « Je veux doubler le nombre d'apprentis dans la fonction publique d'ici à 2025 »

INTERVIEW // Ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Stanislas Guerini veut engager une révolution culturelle : récompenser le mérite et la performance, valoriser les expériences des candidats venant du privé, faciliter l'embauche des apprentis sans passer par le concours. Il détaille aux « Echos START » l'esprit du projet de loi qu'il prépare.

Stanislas Guerini (41 ans) a été nommé ministre de la Transformation et de la Fonction publiques le 20 mai 2022.
Stanislas Guerini (41 ans) a été nommé ministre de la Transformation et de la Fonction publiques le 20 mai 2022. (Photographe Bercy)

Par Florent Vairet

Publié le 25 sept. 2023 à 06:00Mis à jour le 28 sept. 2023 à 10:33

Vous voulez moderniser la fonction publique pour attirer davantage, mais qu'est-ce qui bloque aujourd'hui ?

Tout d'abord, je veux modifier nos modalités de recrutement. Il faut professionnaliser les concours, les recentrer sur les compétences recherchées, tout en conservant l'exigence d'excellence du service public. Dans le cadre du projet de réforme en préparation, nous avons mené un travail avec les employeurs territoriaux, hospitaliers et les ministères, pour voir comment remettre à plat ces concours. Et pour certains emplois, je pense qu'il faudra privilégier le recrutement sur titre, ce qui veut donc dire des entretiens et des critères de recrutement, et plus forcément un concours.

Plus globalement, je veux qu'on puisse entrer plus facilement dans la fonction publique, bouger plus facilement et parfois en sortir plus facilement. Mais aussi je veux remettre au centre la question du mérite et de la valorisation des résultats, au service des usagers, aussi bien individuellement que collectivement.

Comment comptez-vous concrètement vous y prendre pour valoriser le mérite et la performance ?

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Partons de la réalité. Il y a aujourd'hui des choses difficiles à expliquer. Par exemple, je ne sais pas expliquer qu'on ne puisse pas titulariser un jeune apprenti que l'administration aimerait recruter et qui a démontré toutes ses qualités pendant deux ans. Je ne sais pas expliquer non plus qu'on ne sache pas davantage récompenser une équipe qui a rempli une mission difficile. Un exemple très concret : il y a quelques mois, un plan de sobriété énergétique a été engagé avec des objectifs très précis, réduire de 10 % notre consommation énergétique. On pourrait imaginer que la transition écologique fasse partie des éléments sur lesquels on mesure la performance collective d'une administration. C'est cette notion de mérite que je souhaite développer.

Et j'aimerais qu'on ne caricature pas les notions de performance et de mérite, entendues trop souvent comme la mesure d'indicateurs financiers, comme si la fonction publique était une entreprise du privé. Ce n'est pas ma conception.

Mais des primes au mérite ou au résultat existent déjà. Qu'est-ce que vous voulez mettre en place ?

Il existe en effet des outils de variabilisation et de mesure de la performance. La RIFSEEP en est un. Mais ces outils représentent une part très faible de la rémunération des agents et sont très timidement utilisés, car évaluer et récompenser n'est pas suffisamment inscrit dans la culture managériale de la fonction publique.

Par ailleurs, ces outils sont parfois dévoyés ou utilisés comme des compléments de rémunération par les employeurs publics pour compenser les faibles marges de manoeuvre qu'ils ont en matière salariale. Je veux de vrais outils de mesure pour mieux récompenser le mérite, comme ce qui a été mis en place dans la haute fonction publique.

Reconnaître et récompenser le mérite, quand je dis cela, j'ai le sentiment de beaucoup mieux parler aux jeunes actifs qui se posent la question de rejoindre la fonction publique que quand je leur parle de corps, de grille et de catégorie.

Pour certains, récompenser le mérite revient à pousser à la productivité. Est-ce pour vous un tabou de dire que ça peut aussi être la mesure de la productivité ?

Non, ce n'est pas un tabou. Des agents publics qui rendent un service public en répondant plus rapidement à des demandes d'usagers, en réduisant les délais des délivrances des titres d'identité par exemple, c'est aussi une affaire de productivité. En réalité, on peut faire du gagnant-gagnant, qui consiste à la fois à améliorer les conditions de travail et la qualité du service rendu aux usagers, avec une stratégie claire : mettre les meilleurs outils, notamment numériques, au service des agents publics.

Pour ce qui est du détail des plans d'intéressement à déployer dans les administrations, cela relèvera du dialogue social.

Si les partenaires sociaux arguent que ces plans d'intéressement individuel ne sont pas compatibles avec la mission d'intérêt général que portent les agents, que leur répondrez-vous ?

A moi de démontrer que le statut de la fonction publique est compatible avec le mode projet et une action publique efficace.

Les missions d'intérêt général que portent les agents consistent à apporter le meilleur service, au plus près de l'attente des citoyens : c'est tout simplement cela, même si ce n'est pas associé à une valeur « marchande » qui peut être mesurée et donc valorisée. C'est déjà ce que font certains employeurs publics.

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En ce qui vous concerne, vous êtes diplômé de HEC et vous avez mené une carrière dans le privé. Qu'est-ce qui vous a amené à la chose politique ?

Je pense tout d'abord que la puissance publique n'a pas le monopole de l'intérêt général. On peut le servir dans beaucoup d'autres endroits. Je me suis d'ailleurs battu en tant que député pour faire émerger le statut de société à mission pour permettre aux entreprises d'aligner leurs intérêts avec ceux de la société. En revanche, si la fonction publique n'a pas le monopole de l'intérêt général, je connais peu d'endroits où on le sert aussi bien.

Pour ma part, j'ai fait le choix de rejoindre Emmanuel Macron parce qu'il portait une vision qui me redonnait foi en notre capacité à rendre la politique utile et efficace. Je suis d'ailleurs favorable au fait d'avoir des expériences dans le public et dans le privé, et je pense que beaucoup de gens raisonnent comme moi aujourd'hui. Je suis d'ailleurs effaré de voir à quel point le fait d'avoir servi dans la fonction publique puis d'être parti dans une entreprise pousse la société à vous pointer du doigt… avec cette expression de « pantouflage »… Comme si ces personnes étaient nécessairement toutes suspectes d'avoir « favorisé » irrégulièrement un acteur privé avant de le rejoindre. C'est un élément qui peut dissuader de rejoindre la fonction publique.

Fonction publique qui a déjà des difficultés à recruter. Vous avez par ailleurs lancé un plan de recrutement de compétences stratégiques pour l'Etat. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Je mène une politique de réinternalisation : c'est le cas pour les enjeux de conseil en stratégie où on est en train de réarmer l'Etat. C'est le cas aussi sur le numérique où on va dans les prochaines années réinternaliser 3.500 postes pour retrouver des moyens d'action et avoir par exemple plus de data scientists et des spécialistes de l'intelligence artificielle, des compétences structurantes pour demain. Dès 2024, je vous annonce donc que ça sera 500 premiers postes réinternalisés dans le numérique dans les différents ministères. Des recrutements de titulaires ou contractuels pour qui on rehausse les plafonds de rémunération afin d'être compétitif face au privé.

On procède de même pour la transition écologique. Pour atteindre les objectifs du plan de sobriété, nous avons créé des dizaines de postes d'« énergie managers » pour aider les administrations à mieux négocier les contrats avec les énergéticiens ou à régler les chaudières des bâtiments pour faire des économies d'énergie. Chaque préfet de région disposera l'année prochaine d'un expert de haut niveau en charge de la territorialisation de la planification écologique.

Si vous voulez attirer ces talents du privé, quels sont vos outils pour y parvenir ?

On doit mieux valoriser les années passées à l'extérieur de la fonction publique. Je ne peux pas accepter une situation où quelqu'un en reconversion qui veut devenir professeur après vingt ans d'expérience dans le privé, où il a développé des compétences, soit recruté comme s'il n'avait aucune année d'expérience professionnelle et qu'il commence en bas des grilles. Notre projet de loi visera à déverrouiller ce frein.

Après le blocage de sa nomination au conseil d'administration d'Atos par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, Cédric O, ancien secrétaire d'Etat au Numérique, a écrit : « Quelle personne venant du privé voudra désormais apporter son expérience et son savoir-faire à l'Etat si elle est à peu près sûre de ne jamais pouvoir revenir dans le secteur qu'elle connaît ? » Qu'est-ce que cet événement vous inspire ?

Je n'ai pas l'intention de remettre en question le fonctionnement de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. En revanche, sur le fond, je pense que c'est un bon débat que la société devrait avoir, pour trouver le bon équilibre entre le contrôle des risques et la mobilité des talents.

On entend par exemple des professeurs des écoles qui se voient refuser des démissions… Comment percevez-vous ce message envoyé à des potentiels candidats à l'enseignement ?

Ce sont les signaux les plus nocifs que l'on peut envoyer. Si on veut accroître notre attractivité, il faut montrer qu'il y a de la liberté dans un parcours dans la fonction publique, tant pour la rejoindre que pour en partir, même temporairement.

Des choses ont été mises en place en 2019 pour faciliter les départs comme le recours aux ruptures conventionnelles, même si je reconnais que, dans les faits, la fonction publique n'a pas été la meilleure élève sur ce sujet. Dans le cadre de la réforme, nous allons faire le bilan de ce dispositif pour comprendre ce qui a du mal à fonctionner.

Vous voulez booster l'apprentissage, mais en 2022, on comptait 30.000 apprentis sur les 5,7 millions d'agents publics. Comment comptez-vous accélérer ?

Principalement, pour rendre ce contrat plus attractif, je souhaite qu'à la fin d'un contrat d'apprentissage, on puisse titulariser un apprenti s'il y a une volonté des deux parties.

Titulariser veut dire devenir fonctionnaire, ce serait une entorse au système de titularisation par concours…

Je l'assume : ce qui compte, c'est que la procédure de recrutement soit adaptée à notre besoin de nouvelles compétences, de sorte qu'elle permette aux apprentis de valoriser l'expérience professionnelle qu'ils ont acquise.

Je rappelle que nous avons opéré une véritable révolution culturelle dans la fonction publique, car il n'y avait quasiment aucun apprenti au début du premier quinquennat d'Emmanuel Macron.

Quel objectif vous fixez-vous ?

J'ai l'ambition de doubler le nombre d'apprentis d'ici à 2025.

La réforme de la haute fonction publique a créé le corps unique des administrateurs d'Etat. Les hauts fonctionnaires déjà en poste sont invités à quitter leur corps d'origine pour le rejoindre. Quel est le succès de ce corps unique auprès d'eux ?

Fort et massif. La quasi-totalité des préfets (85 %) et des sous-préfets (95 %) a rejoint ce corps. Deux tiers des diplomates du Quai d'Orsay. Une raison à cela, nous avons décloisonné les parcours pour offrir plus de possibilités.

Dans les corps considérés comme les plus prestigieux, telle que l'Inspection générale des finances, combien de hauts fonctionnaires ont rejoint ce corps unique ?

Je ne vais pas donner les chiffres corps par corps, mais globalement, les hauts fonctionnaires qui ont la possibilité d'opter pour le corps des administrateurs de l'Etat sont, très majoritairement, en train de le faire. Je note que les services d'inspection et de contrôle qui ont déjà procédé à des recrutements selon les nouvelles modalités prévues par la réforme ont pu diversifier leurs profils et renforcer leurs compétences.

En mai dernier, vous avez organisé un grand salon pour l'emploi public à Station F, le plus grand incubateur français de start-up. Pourquoi avoir choisi ce lieu ? N'avez-vous pas peur de crisper ceux qui sont allergiques à la « start-up nation » ?

Nous avons accueilli 4.000 personnes, soit le plus gros succès pour un salon de l'emploi public depuis une décennie. J'ai voulu montrer que la fonction publique se transforme plus fortement que ce que le débat public ne donne à voir, montrer que les meilleurs outils, les transitions les plus en pointe ne sont pas réservés aux salariés du privé. Mais je vois bien le procès en start-up nation qu'on nous fait, et je l'assume parfaitement. Et le faire dans un lieu qui traduit à sa manière cette modernité me paraît adapté.

Stanislas Guerini en 7 dates

- 1982 : naissance à Paris.

- 2006 : diplômé de HEC. La même année, il fait campagne dans l'équipe de Dominique Strauss-Kahn pour les primaires socialistes.

- 2007 : création de l'entreprise Watt & Home, société de vente et d'installation de panneaux solaires.

- 2015 : il rejoint l'entourage d'Emmanuel Macron et fait partie de ceux qui lancent En marche.

- 2017 : élu député de Paris.

- 2018 : élu délégué général de LREM.

- 2022 : réélu député et nommé ministre de la Transformation et de la Fonction publiques.

Florent Vairet

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