Le cas du jeune Nicolas, ce lycéen de 15 ans qui s’est donné la mort le 5 septembre à Poissy (Yvelines), est devenu en l’espace d’un week-end le symbole des errements de l’institution scolaire face au harcèlement : le 16 septembre, BFM-TV a révélé le contenu d’une lettre, envoyée le 4 mai par le rectorat de Versailles aux parents de Nicolas, dans laquelle le service juridique de l’académie menaçait la famille de poursuites pour dénonciation calomnieuse. « Une honte », a immédiatement réagi le ministre de l’éducation nationale, Gabriel Attal.
Trois jours plus tard, l’opinion s’émeut de nouveau : un jeune élève de 14 ans, soupçonné de cyberharcèlement transphobe envers une lycéenne d’un an plus âgée, a été arrêté en plein cours, lundi 18 septembre, dans son collège d’Alfortville (Val-de-Marne). Le gouvernement défend fermement la méthode : « Il ne peut pas y avoir de sérénité sans autorité », assure alors Gabriel Attal.
La concomitance de ces deux événements, à quelques jours du dévoilement d’un grand plan interministériel de lutte contre le harcèlement scolaire, met au jour les paradoxes d’une école française qui peine encore à prévenir le phénomène, voire dénie son importance. A l’inverse, quand elle en prend la mesure, elle semble ne pas pouvoir s’empêcher d’ajouter de la maladresse à des situations déjà délicates.
« Blocages administratifs »
Comment en est-on arrivé là ? Dans la communauté éducative, on évoque d’abord la « culture » du ministère, qui a paradoxalement produit de réels efforts pour prendre le sujet à bras-le-corps. « Il y a une résistance de certains cadres administratifs », révèle Jean-Pierre Bellon. Cet universitaire est l’un des créateurs du programme Phare (programme de lutte contre le harcèlement à l’école), qui est désormais déployé dans l’ensemble des collèges et 60 % des écoles, et qui doit s’étendre aux lycées à partir de cette rentrée.
Encore jeune mais ambitieux, ce programme prévoit la constitution d’une équipe ressource de cinq personnes au sein de chaque établissement, la formation d’« élèves ambassadeurs », ainsi que dix heures par an consacrées à l’apprentissage des compétences psychosociales nécessaires pour tous les écoliers, collégiens et lycéens. « L’appropriation du programme s’avère encore très variable d’une académie à l’autre », regrette Jean-Pierre Bellon, pour qui la France a des décennies de retard dans la prise en compte du phénomène.
La résistance de l’institution est aussi le fruit du fonctionnement en silo de l’administration, où l’on peine à se saisir d’un enjeu qui implique la sensibilisation de tous les adultes. « Les blocages administratifs m’ont usé », reconnaît Eric Debarbieux, un spécialiste des violences scolaires qui a été délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire entre 2012 et 2015. « Au ministère, je n’avais pas le droit d’aller voir le service qui supervisait les infirmières scolaires, ni l’inspection générale, se souvient-il. Pourtant, il y aurait eu des choses à monter ensemble. Le harcèlement, on peut travailler dessus en cours de français ! Le Petit Chose, d’Alphonse Daudet [1868], par exemple, est un texte qui en parle. »
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