Publicité

Cargos à voiles : les PME françaises face au défi de l'industrialisation

Voiles rigides, gonflables, ailes, rotors ou kites : les entreprises rivalisent d'imagination sur la propulsion vélique, tandis que les navires pionniers et les premières usines apparaissent. Cette dynamique reste toutefois à consolider.

Le « Canopée », qui transportera Ariane 6 vers la Guyane, symbolise la renaissance des cargos à voiles.
Le « Canopée », qui transportera Ariane 6 vers la Guyane, symbolise la renaissance des cargos à voiles. (DR)

Par Emmanuel Guimard

Publié le 30 sept. 2023 à 12:37Mis à jour le 17 oct. 2023 à 18:07

En déployant ses ailes, cet été, le cargo français « Canopée » a ouvert un nouveau chapitre dans le retour des grands voiliers de commerce. « Ce navire était très attendu. On va pouvoir sentir la réalité, disposer de retours d'expérience, présenter des chiffres », souligne Lise Detrimont, déléguée de Wind Ship, une association qui regroupe déjà 150 acteurs français de cette nouvelle filière.

Le « Canopée », qui transportera la fusée Ariane 6 vers la Guyane, symbolise la renaissance de ces cargos à voiles, mode propulsif maîtrisé par l'homme depuis sept millénaires, mais délaissé au début du XXe siècle au profit de la vapeur puis du fuel. Toutefois, le durcissement des réglementations sur les émissions, le coût des énergies fossiles et l'horizon encore lointain pour d'autres solutions, comme les e-carburants, suscitent un regain d'intérêt pour ces nouvelles technologies du vent, dont certaines fonctionnent déjà. « La propulsion vélique est une des rares technologies offrant potentiellement une part d'économie de carburant à deux chiffres dès aujourd'hui », confirme Camille Valero, chercheuse à l'Institut supérieur d'économie maritime.

Trente-trois mille voiliers en 2050

« Tous les armateurs ne pensent qu'à la décarbonation, et le vélique fait forcément partie du panel de solutions », résume Thibaut Tincelin, dirigeant de Stirling Design International, cabinet d'architecture navale qui a travaillé sur les paquebots à voiles des Chantiers de l'Atlantique ou ceux de la Compagnie du Ponant. « La voile est parfaitement adaptée aux navires de taille intermédiaire, poursuit-il. Là, 100 % des projets considèrent une solution vélique, même si cela ne va pas toujours jusqu'au bout. »

Publicité

Entre les ailes rigides, les rotors, les kites, les voiles rigides ou gonflables, les technologies foisonnent dans les PME françaises. Ces solutions promettent une réduction d'au moins 30 % de la facture énergétique sur les navires spécifiquement conçus pour le vent et jusqu'à 80 % pour une propulsion vélique principale. Wind Ship estime que ces technologies devraient équiper 1.600 navires en 2030, puis 33.000 en 2050. « Et les acteurs français pourraient prétendre à 30 % de ce marché », estime Lise Detrimont.

Navires pionniers

D'autres navires pionniers suivent le « Canopée ». Le nantais Neoline maintient pour mi-2025 la livraison de son premier navire de 136 mètres qui exportera vers les Etats-Unis des produits d'entreprises comme Manitou, Beneteau, Longchamp… Ce roulier sera propulsé par les voiles SolidSail des Chantiers de l'Atlantique, mais sa construction, pour 60 millions d'euros, a été confiée au chantier turc RMK Marine. « On travaille sur un deuxième bateau pour d'autres lignes », indique Jean Zanuttini, président de Neoline, qui espère « que les prochains navires ne mettront pas dix ans à se financer ».

Les investisseurs veulent encore être sûrs de ce qui fonctionne techniquement, mais aussi de l'aspect réglementaire et des enjeux économiques.

Philippe Renaudin Directeur de Mer Invest

Sur des navires plus petits, des compagnies comme Grain de Sail ont déjà ouvert la voie. Cette PME de Morlaix attend pour le début de 2024 son second voilier de 56 mètres, construit par le finistérien Piriou. Elle envisage une flotte de cinq navires vers 2026. Le même Piriou vient de livrer l'« Anemos », premier cargo à voiles de la compagnie havraise Towt, placée - comme Grain de Sail - sur les marchandises à haute valeur ajoutée. Ce navire déploiera ses 3.000 m2 de voile en 2024, et Towt se projette déjà sur 10 à 15 navires-jumeaux.

Longtemps attentistes, armateurs et investisseurs sortent de leur torpeur, comme en témoigne la deuxième levée de fonds de 19 millions d'euros conclue par Ayro, le fournisseur des ailes du « Canopée ». La start-up espagnole Bound4blue, qui développe des ailes aspiratrices, a levé 22,4 millions cet été, notamment auprès de l'industriel français GTT. En avril, c'est la finlandaise Norsepower qui levait 28 millions pour ses rotors. Là encore, le tour de table est mené par un français, le fonds à impact Mirova.

Kite et voile gonflable

Tandis qu'Ayro s'est déjà doté d'une usine à Caen, le francilien CWS, concepteur d'ailes asymétriques et pliables, passe lui aussi à l'échelle industrielle à Saint-Nazaire, où il investit 10 millions d'euros avec la promesse de 200 emplois. CWS doit produire ses six premières ailes en 2025 pour le projet « Mervent 2025 » associant le lorientais Zéphyr & Borée et GTT pour fabriquer un porte-conteneurs propulsé par ces ailes. Une dizaine d'autres pourrait suivre.

D'autres PME sont au seuil de l'industrialisation. Airseas, à Nantes, développe le Seawing, un kite géant en cours d'essais sur un cargo de Louis Dreyfus Armateurs, de nouveaux tests étant prévus sur un navire du japonais K Line, qui devrait être son premier gros client.

A Vannes, Wisamo, spin-off de Michelin, a démarré la fabrication d'un prototype de voile gonflable de 800 m2, contre 100 m2 pour le premier démonstrateur installé sur un roulier armé par Brittany Ferries. L'horizon commercial est envisagé pour 2026 ou 2027.

« Démarrage »

Publicité

Car les armateurs sous-pèsent toutes les solutions disponibles. Cargill teste les ailes de l'anglais Bar Technologies ; le norvégien Odfjell, celles de Bound4blue ; le brésilien Vale a installé des rotors Norsepower sur un vraquier ; et le français Marfret s'intéresse à ceux du nantais Farwind Energy… « On est vraiment au démarrage », estime Philippe Renaudin, directeur de Mer Invest, filiale de la Banque Populaire Grand Ouest ayant investi dans plusieurs projets.

« Les investisseurs veulent encore être sûrs de ce qui fonctionne techniquement, mais aussi de l'aspect réglementaire et des enjeux économiques, sachant qu'une solution vélique représente un surcoût de 20 % à 30 % », analyse cet expert, conscient que l'énergie du vent « n'est pas une solution universelle ».

« Dans dix ans, tous les porteurs de technologies ne seront pas là », prédit un industriel de la filière. Certaines surpasseront les autres, même si la diversité des navires permet à des propulsions différentes de cohabiter. Autre bémol, et pas des moindres : l'Asie prédomine dans la construction de cargos et ne va pas rester l'arme au pied.

Emmanuel Guimard (Correspondant à Nantes)

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres

Nos Vidéos

xx0urmq-O.jpg

SNCF : la concurrence peut-elle faire baisser les prix des billets de train ?

xqk50pr-O.jpg

Crise de l’immobilier, climat : la maison individuelle a-t-elle encore un avenir ?

x0xfrvz-O.jpg

Autoroutes : pourquoi le prix des péages augmente ? (et ce n’est pas près de s’arrêter)

Publicité