C’est l’effervescence sur le port de Fos-sur-Mer, dans les Bouches-du-Rhône, en cette chaude journée de juillet. Après son assemblage, la première éolienne du parc Provence Grand Large, colossale avec son mât de 90 mètres de haut et ses pales de 75 mètres de long, vient d’être remorquée avec succès sur une barge, de l’autre côté du quai. Suffisant pour faire pousser un immense soupir de soulagement, et tirer quelques larmes, aux équipes d’EDF Renouvelables, cette filiale de l’énergéticien national qui développe, construit puis exploitera, sans doute dès cet hiver, le site. «C’est toujours émouvant de voir se concrétiser des années de travail», témoigne avec fierté Christine de Jouëtte, directrice du projet depuis six ans. «Le plus exaltant reste à venir, quand nous l’embarquerons à 17 kilomètres au large, et qu’elle sera rejointe par les deux autres éoliennes prévues», précise-t-elle. Ce chantier est d’autant plus crucial pour EDF qu’il ne s’agit pas d’une ferme offshore classique, mais d’un site pilote dédié à l’éolien flottant. Une technologie pleine de promesses, qui recourt à des turbines installées sur des flotteurs reliés par une ancre au fond des mers, ce qui rend possible la production d’électricité dans des eaux plus profondes, et à plus grande distance des côtes.

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L'éolienne du parc Provence Grand Large, un chantier stratégique

L’achèvement rapide de ce chantier permettrait à la filiale d’EDF de prendre une bonne longueur d’avance sur ses rivaux en Méditerranée, comme Engie (qui développe le parc pilote EFGL dans le golfe du Lion), ou TotalEnergies (allié à Qair au sein du projet Eolmed dans l’Aude). Et consacrerait un peu plus la réussite de l’énergéticien dans un domaine où on ne l’aurait pas spontanément donné gagnant.

De quoi mettre du baume au cœur du nouveau PDG Luc Rémont, qui, depuis son arrivée aux commandes en novembre 2022, a dû gérer la crise de sa branche nucléaire, qu’il s’agisse des arrêts pour maintenance de plusieurs centrales, des fissures surprises dans certains réacteurs, ou des retards supplémentaires dans la mise en service de l’EPR de Flamanville. Une série noire qui a valu au groupe des pertes historiques de 17,9 milliards d’euros en 2022, et dont il sort tout juste, avec un bénéfice de 5,8 milliards d’euros au premier semestre.

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Assemblage des éoliennes du projet éolien en mer flottant Provence Grand Large sur le port de Fos-sur-Mer, dans les Bouches-du-Rhône. EDF Renouvelables

Luc Rémont n’a d’ailleurs montré aucune volonté de revoir à la baisse les ambitions de cette branche de l’éolien en mer, à laquelle sont entièrement dédiées 600 personnes, sur les 4.500 que compte EDF Renouvelables. Certes, cette filière ne représente qu’une faible part des 2,16 milliards d’euros de chiffre d’affaires d’EDF Renouvelables, lui-même près de 70 fois inférieur à l’activité de tout le groupe! Et elle est, de plus, très loin d’être un leader mondial en termes de capacités installées, les Chinois faisant largement la course en tête, grâce à leur marché intérieur. Reste qu’EDF Renouvelables s’affiche dans le top 15 des acteurs ayant le plus de projets de ce type dans les cartons, selon un classement du cabinet de conseil Wood Mackenzie.

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Le cap sur l'éolien d'EDF date de l’an 2000, à une époque où peu de gens y croyaient

Rien qu’en France, la société peut s’enorgueillir de concentrer 5 des 8 parcs éoliens maritimes pour l’heure attribués (hors sites pilotes, tel celui de Fos-sur-Mer). Dont le seul en activité à ce jour, à Saint-Nazaire, mis en service en novembre 2022. Ce projet, commencé sous la présidence de Nicolas Sarkozy en 2011, a mis plus de dix ans à se concrétiser. Mais les habitants les plus récalcitrants du Croisic, de Pornichet et de La Baule s’habituent désormais à cet ensemble de 80 éoliennes qui brasse du vent à l’horizon, et affiche complet à chaque visite. Et ce n’est pas fini: l’entreprise publique branchera dès cet hiver le champ offshore de Fécamp, en Seine-Maritime, avant de connecter celui du Calvados, en 2025. L’ensemble, qui inclut aussi les parcs à venir de Dunkerque et Manche Normandie, aurait même dû en compter un sixième. La Commission de régulation de l’énergie (CRE), décisionnaire en la matière, avait en effet désigné EDF Renouvelables comme mieux-disant pour le projet de Saint-Brieuc, en 2012. Mais le ministre chargé de l’Energie à l’époque, Eric Besson, avait refusé de suivre cet avis, et sélectionné à la place Ailes marines, alors associé à Areva, plus prometteur en termes d’emplois et d’usines créés.

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Pour expliquer cette indéniable domination, il faut se replonger vingt-trois ans en arrière. Grâce à l’intuition de son PDG d’alors, François Roussely, EDF prend dès l’an 2000 des parts minoritaires au sein de la Société internationale d’investissements financiers - Energies (Siif), fondée par le pionnier du renouvelable Pâris Mouratoglou, rapidement rejoint par le financier David Corchia. Lancée dans l’éolien terrestre à une époque où peu de gens y croyaient, la société se diversifie rapidement dans le photovoltaïque, et s’étend à l'international. Un premier chantier d’éolien en mer est même gagné en Belgique, dès 2009. En 2011, l’énergéticien finit par reprendre en totalité la société, non sans l’avoir rebaptisée EDF Energies nouvelles. La filiale va enregistrer une série de succès à l’étranger, que ce soit en Angleterre, en Irlande, en Ecosse, au Danemark, aux Etats-Unis, à Taïwan ou même en Chine (elle y est d’ailleurs le seul investisseur international présent, avec deux parcs en exploitation).

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Cette expansion hors des frontières a été déterminante. «L’expérience du groupe EDF dans sa globalité, et en particulier dans l’éolien en mer à l’étranger, a été décisive pour remporter les projets en France», confirme Cédric Le Bousse, directeur énergies marines renouvelables France au sein d'EDF Renouvelables. Cela a permis à la branche de gagner progressivement en maturité. «Ces retours d’expérience, alliés à une très bonne connaissance du territoire, nous ont permis de proposer une offre compétitive face à une concurrence sérieuse», fait observer le responsable. La méthode est bien rodée: «Nous identifions en amont les acteurs locaux existants, pour les mettre en relation avec nos fournisseurs de rang 1, et multiplier de la sorte les retombées locales.» L’approche a séduit la ministre de la Transition énergétique au moment de désigner le lauréat du dernier appel d'offres en date pour le parc Manche Normandie, au mois de mars dernier. Agnès Pannier-Runacher avait alors insisté sur «le contenu local et l’engagement social» du dossier porté par EDF Renouvelables. «Une première dans la réalisation d’un projet de cette nature», avait-elle déclaré dans «La Presse de la Manche». Le partenariat noué très tôt avec la chambre de commerce et d’industrie locale, la promesse de confier des prestations à des PME du coin, ainsi que des heures travaillées à des personnes éloignées de l’emploi ou en apprentissage, ont fait mouche.

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Le coût d’un projet d’éolien en mer est de l’ordre de 2 milliards d’euros

Autre point fort d’EDF sur ces projets: la stabilité du partenaire avec lequel il candidate. Comme chaque chantier d’éolien en mer coûte en moyenne 2 milliards d’euros, financés sur fonds propres et via la dette bancaire, les appels d’offres imposent par prudence que ce soit un consortium d’investisseurs qui y réponde. Et, après avoir testé le danois Dong Energy, EDF n’a plus postulé depuis 2016 qu’avec Maple Power, une coentreprise canadienne constituée par l’énergéticien Enbridge et les fonds du régime de pensions du Canada (CPP Investment Board). «EDFR se distingue par son savoir-faire dans la mise en œuvre de projets éoliens offshore. Leur expertise technique et leur approche axée sur le respect de l’engagement des parties prenantes nous ont particulièrement marqués», souligne George Walley, Directeur général France de Maple Power.

Si Maple Power apporte la moitié des financements, en plus de son expertise commerciale, technique, ou en matière de ressources humaines, le Français conserve toute la responsabilité sur le terrain, en tant qu’opérateur principal. Mais aucun des deux associés ne construit de turbines: ses fournisseurs, aux usines installées en France, changent au gré des contrats, qu’il s’agisse du germano-espagnol Siemens Gamesa ou, dans une moindre mesure, de l’américain General Electric (ex-Alstom).

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Une offre basse à 45 euros le mégawattheure

Il y a toutefois un dernier ingrédient du succès, que les concurrents d’EDF ne manquent jamais de rappeler: le prix auquel l’énergéticien s’engage à vendre l’électricité produite par ses éoliennes marines, soupçonné d’être abusivement bas. C’est ainsi que, pour le dernier appel d’offres remporté, le groupe a promis un tarif de 44,9 euros le mégawattheure, quand les prix moyens, il y a dix ans, étaient encore quatre fois supérieurs, et avoisinaient les 200 euros. Une bonne affaire pour l’Etat, qui s’engage, par un contrat de complément de revenu, à payer quoi qu’il arrive ce tarif à EDF, durant les vingt années qui suivront la mise en production. Mais, à ce jeu d’enchères inversées, le groupe prend bien sûr le risque que ses coûts de production excèdent au final les recettes prévues… D’ailleurs, de l’aveu même du PDG d’EDF Renouvelables Bruno Bensasson, auditionné en janvier dernier par des députés, «la rentabilité de l’éolien maritime est beaucoup plus longue que celle de l’éolien terrestre et du solaire». Notamment parce que le développement des parcs prend, en moyenne, dix ans. «A ce jour, c’est l’offre la plus basse qui a toujours gagné le marché», pointe de son côté Pierre Peysson, directeur offshore de RWE Renouvelables France, et concurrent débouté. «Cette course en avant est de nature à pénaliser toute la chaîne de fournisseurs en Europe, alors même qu’ils doivent énormément investir dans les prochaines années», poursuit-il.

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La santé des turbiniers est notamment en question, alors que Siemens Gamesa et General Electric, confrontés à la hausse des matières premières, perdent de l’argent sur cette activité. «Il faut des marges suffisantes pour faire vivre tout le monde», renchérit Sergio Val, directeur d’Engie Renewables Europe. Alertée par ces tarifs très bas, la CRE ainsi décidé de réexaminer les plus compétitifs des appels d’offres précédemment passés. Pour constater, en définitive, une prise de risque plus importante dans leur construction financière.

Bruno Bensasson, PDG de la filiale EDF Renouvelables (à gauche) et Luc Rémont, PDG d’EDF depuis novembre 2022. ©Iannis Giakoumopoulo/REA/SP EDF, PIERRE-OLIVIER / Capa Pictures / EDF Renouvelables
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L' enjeu de compétitivité de l'éolien face aux énergies fossiles

EDF a toutefois quelques arguments à faire valoir sur son positionnement. Selon lui, lors du dernier round de projets, tous les candidats se sont retrouvés dans un même mouchoir de poche tarifaire. Par ailleurs, l’élément prix pèse 70% des critères de sélection de chaque appel d’offres. Un ratio impossible à diminuer, car voulu par Bruxelles, qui considère que de tels contrats au long cours représentent une forme d’aide publique. Cette pression à la baisse des prix était d’ailleurs voulue. «L’Etat a fait le choix stratégique de subventionner l’éolien en mer pour amorcer la pompe et permettre que des usines se construisent, rappelle Charles Abbey, responsable du secteur énergies renouvelables chez KPMG France. La contrepartie, c’était que la filière finisse par faire baisser ses coûts de production, l’enjeu étant de devenir compétitif face aux énergies fossiles et que l’éolien en mer devienne viable à terme sans aides publiques.»

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Face à cette fronde des concurrents, une chose est sûre: à l’avenir, EDF Renouvelables aura la partie moins facile. La CRE s’est ainsi alarmée que le groupe concentre les deux tiers du parc, une situation considérée comme «très insatisfaisante». Le message semble toutefois avoir été entendu. «La meilleure manière de faire évoluer le paysage et d’avoir plus de diversification, c’est qu’il y ait davantage de projets. Il n’y en a eu que deux ces sept dernières années», indique ainsi Cédric Le Bousse. Le mouvement semble en tout cas parti pour s’accélérer: alors que les capacités installées d’éolien en mer ne devraient atteindre que 8 gigawatts en 2028, la France vise un seuil d’au moins 40 gigawatts en 2050, pour tenir ses objectifs de neutralité carbone. Rien qu’en 2024, cinq parcs devraient être attribués.

A l’international, le champ de développement est tout aussi vaste, 130 gigawatts de capacités supplémentaires devant être mis en service d’ici 2027, selon les prévisions du Global Wind Energy Council. Nul doute donc que le pavillon franco-canadien devrait continuer à se planter dans nos eaux, mais aussi au large du Japon, de la Corée du Sud, de la Norvège ou de la Pologne.

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Les futures éoliennes en mer ne devraient plus faire beaucoup de vagues

Pêcheurs, riverains ou associations environnementales : à son lancement, en 2011, le premier parc éolien en mer, prévu au large de Saint-Nazaire (44), avait suscité une vague de protestations. Les prochains chantiers devraient toutefois être mieux acceptés. Le gouvernement a en effet prévu de recourir, dès cet automne, à une nouvelle méthode de concertation. Des débats publics seront ainsi organisés de façon simultanée dans les quatre façades maritimes, pour identifier les zones prioritaires de développement et mieux planifier les projets.

Par ailleurs, la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (Asap) de fin 2020 a restreint les possibilités de recours, en prévoyant que le Conseil d’Etat soit la seule instance compétente pour les trancher. «Cela a tari les procédures, puisqu’il rend une décision qui ne peut ensuite être contestée», indique Jean-Nicolas Clément, avocat spécialisé en droit de l’environnement industriel. Et si les plaignants peuvent tout de même réclamer que le projet soit modifié, pour protéger des espèces d’oiseaux ou de poissons qui seraient menacées, il leur est impossible de remettre en cause son existence.