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À l’image de la place qu’elle se fait peu à peu dans le monde professionnel, l’intelligence artificielle fait sa rentrée dans les écoles de communication qui, pour la nouvelle venue, adaptent leurs programmes, leurs méthodes et parfois même leurs règlements. Un article également disponible en version audio.

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Est-ce que les étudiants en communication doivent apprendre à utiliser des outils d’intelligence artificielle comme ChatGPT ? « Absolument », d’après le chatbot d’OpenAI qui plaide pour sa cause : « En apprenant à utiliser ces outils, les étudiants pourront acquérir des compétences précieuses en matière de communication digitale et de gestion des interactions en ligne. Cela leur permettra également de se familiariser avec les nouvelles technologies et de rester à jour dans un monde numérique en constante évolution. »

Capable de disserter sur n’importe quel sujet, le prolixe agent conversationnel, mis à disposition du grand public en novembre 2022, soulève, au sein du corps enseignant, la question de la triche et du plagiat. Sciences Po est le premier établissement français à avoir pris position en interdisant à ses étudiants l’usage de ChatGPT en janvier dernier. Depuis, l’Institut d’études politiques de Paris a clarifié sa position : l’école dit mener une réflexion tant sur le plan des évaluations que sur l’encadrement des usages de l’IA. ChatGPT semble ne plus être strictement proscrit mais son utilisation doit être mentionnée et faire l’objet d’un regard critique.

Une approche que privilégie également Sébastien Appiotti, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication au Celsa, école qui dépend de la Sorbonne. Il y dispense un cours sur le numérique et amène ses élèves à réfléchir au « solutionnisme technologique », s’appuyant sur les travaux du chercheur Evgeny Morozov, auteur de Pour tout résoudre cliquez ici (Fyp éditions). D’ailleurs, la plupart des directions des écoles disent avoir capté, avant 2022, les signaux faibles des progrès de l’IA. Le sujet était donc déjà évoqué en classe. Pour Sébastien Appiotti, il n’est pas question d’être « technophobe », mais de mettre en lumière que « ces outils ne sont pas neutres, ils sont le reflet de la vision du monde de leurs concepteurs ».

Montée en puissance

Durant l’année scolaire 2022-2023, dans les écoles du secteur, il y a eu une montée en puissance des outils d’IA générative, comme ChatGPT pour le texte, Dall-E ou Midjourney pour les images. « Depuis janvier, on a remarqué le besoin de rassurer les parents et les futurs élèves sur le remplacement des métiers de la com par l’IA », rapporte Vincent Montet, directeur des MBA digital marketing et business à l’Efap. « On a dû rapidement engager des actions : on a fait un atelier avec les profs, sondé les étudiants de façon informelle et j’ai sollicité mes homologues », relate pour sa part Tamim Elbasha, director learning and quality development d’Audencia.

« Il a fallu réagir vite », se souvient également Lydie Moyer, directrice pédagogique de l’ECS Paris [Groupe MediaSchool, propriétaire de Stratégies]. L’école a organisé en juin son « Innovation Day » autour de l’IA, tandis que les éditions précédentes avaient pour thèmes TikTok ou le podcast. Lors de cette journée, les étudiants ont dû imaginer un événement ou une campagne publicitaire à l’aide d’outils d’intelligence artificielle. Idem à l’Iscom où des étudiants de 5e année ont dû présenter une chaîne de restauration conceptualisée avec l’IA (nom de marque, positionnement, design…), à l’occasion de l’« Audacity Week » début juillet.

Ces expériences ont permis de mettre en avant que « l’IA est le copilote et surtout pas le pilote », intervient Jordan Dufour, enseignant en marketing à l’ECS (et responsable marketing à Stratégies). Car de l’avis de tous les professionnels, les futurs communicants doivent toucher les potentialités mais aussi les limites de ces technologies. « Nous devons donner les armes à nos élèves pour qu’ils sachent faire quelque chose de ces outils plutôt que de les subir », analyse Damien Douani, enseignant chez Narratiiv (ex-IICP), qui raisonne en termes d’employabilité. À l’Efap, « ChatGPT devient obligatoire, annonce même Vincent Montet. On évaluera le livrable et sa note méthodologique. » Même son de cloche à Audencia : « On autorise tous nos étudiants à utiliser l’IA, sauf interdiction émise par le prof », ajoute Tamim Elbasha, qui estime que les soft skills pourraient s’en trouver valorisées.

Exercices pratiques

Pour l’année scolaire qui vient de commencer, l’ensemble des écoles intègrent donc l’IA dans leurs programmes. « Les étudiants de master 1 auront un cours sur la "créativité augmentée avec l’intelligence artificielle", qui se présentera sous la forme d’exercices pratiques », poursuit Damien Douani chez Narratiiv. « Les étudiants de 3e et 4e années de l’Iscom pourront choisir un cours électif sur "l’IA et la direction artistique", détaille Olivier Creusy, directeur de l’innovation et du développement. Un workshop sur le sujet est également prévu pour les alternants de 5e année. » Plusieurs écoles disent même réfléchir à prendre des abonnements à certains outils, le plus cité étant le logiciel Adobe Firefly.

L’IA est d’ailleurs une invitée de premier plan des conférences de rentrée. « Du côté de Lyon, nous débutons avec une conférence sur l’intelligence artificielle, animée par Jean-Sébastien Klein, pour tous les étudiants de Digital Campus », informe Lucie Baudouin, directrice du campus de l'ESG Rennes. Et les écoles ont toutes recruté des intervenants spécialistes ou passionnés. À l’ECS Paris, on cite Maxime Vidal et Denys Malengreau, qui se chargeront d’éclairer les élèves. À l’Efap Paris, c’est Flavien Chervet, auteur du livre Hypercréation, qui animera cinq ateliers.

Saturation médiatique

Pour sûr, l’IA sera le fil rouge de l’année scolaire 2023-2024. Au Digital Campus de Lyon, une journée de conférences est déjà prévue le 9 novembre prochain. Au Celsa, les étudiants de M1 devront réaliser à plusieurs un TRE (travail d’études et de recherches) sur la communication et l’intelligence artificielle. Pour Sébastien Appiotti, il y a eu « un tel effet de saturation médiatique sur l’IA que c’est l’année ou jamais pour les étudiants de faire des recherches théoriques, documentaires et de terrain sur le sujet ». Ce mémoire d’une quarantaine de pages sera soutenu en janvier.

La question mobilise aussi en interne. Au sein de MediaSchool (propriétaire de Stratégies), Stéphanie Chapelle, directrice de l’ECS et Sup de Web à Angoulême, et Barbara Claeys, directrice l’ECS et Sup de Web à Bruxelles, ont travaillé avec quatre autres directeurs d’établissement du groupe sur des recommandations, cela afin d’harmoniser les réponses apportées par les écoles et de guider les formateurs. « Tous les directeurs ont eu une présentation avec un spécialiste de l’IA, David Grunewald, en mars 2023 », informe Barbara Claeys.

Toujours au sein de l’ECS, une charte sur la bonne utilisation de l’IA a également vu le jour. Disponible dans l’intranet des étudiants, elle est affichée depuis cette rentrée dans les locaux. Parmi les règles énoncées : respecter les impératifs de cybersécurité et la protection des données, créditer l’IA, indiquer les prompts utilisés ou encore enrichir les résultats générés. Les deux directrices voient aussi dans l’avenir de l’IA une possible aide pour leurs équipes pédagogiques « enlisées dans les tâches de reporting ».

Trois questions à Olivier de Lagarde, président du Collège de Paris et co-auteur de L’IA éducative - L’intelligence artificielle dans l’enseignement supérieur, paru aux éditions Bréal.

Est-ce que l’IA va transformer l’enseignement supérieur ?

C’est déjà le cas. Selon une étude récente du centre de recherche d’Ascencia Business School [membre de Collège de Paris], un étudiant sur deux utilise ChatGPT ou une autre IA générative dans ses travaux. Le signe le plus marquant de cette émergence d’une véritable IA éducative, c’est la multiplication des outils dont voici quelques exemples : Good Grades pour l’automatisation des évaluations, Polymnia pour la formation à la prise de parole en public, GoodLegal pour les étudiants en droit ou encore Deepbrain AI pour la génération de vidéos pédagogiques.

En quoi les écoles de communication ont-elles intérêt à se pencher dès à présent sur la question de l’IA ?

Au sein des écoles de communication, soulignons l’explosion des générateurs d’images, type Midjourney ou AI Art Generator, qui transforment la formation et le futur métier des étudiants en graphisme. La réponse appropriée, en tout cas celle que nous nous efforçons de promouvoir au sein des écoles du Collège de Paris, consiste à former et à accompagner les élèves à l’utilisation de l’IA.

Justement, comment accompagner les élèves à cette utilisation et comment mettre en place un système de notation qui détermine la valeur ajoutée de l’élève par rapport à l’IA ?

Pour bien accompagner les étudiants, il convient d’abord de former les formateurs à l’IA. C’est l’objet du certificat « Formateur à l’ère de l’intelligence artificielle », lancé par mes confrères Xavier Bonduelle et Thierry Cuirot cette année. Ensuite, il convient d’adapter les systèmes d’évaluation en surpondérant les présentations orales, les enquêtes de terrain ou les retours d’expérience individuels. Et si l’on veut, à juste titre, évaluer la capacité d’un élève à produire un écrit structuré de manière autonome, il faut revenir aux fondamentaux : une salle d’examen, un papier et un crayon.