Reportage en Dordogne
Camille Rayet, céréalière, travaille avec la LPO pour préserver la biodiversité

Camille Rayet agricultrice
Avec une dizaine d’autres agriculteurs du plateau de Faux-Issigeac, Camille Rayet participe à un programme de la LPO dédié à la biodiversité. Elle tient ici un nichoir pour rougequeue à front blanc. (©Yoann Frontout)

« J’ai fait d’autres activités, eu d’autres aspirations, mais avec le recul je me suis rendu compte que c’était ma vocation » explique Camille Rayet en évoquant son métier d’agricultrice. Il y a un peu plus de cinq ans, elle a repris la ferme familiale située à Naussannes (24), non sans opérer une conversion en bio. La démarche sonnait comme une évidence : « Quand on s’installe en agriculture biologique, on le fait par conviction, celle de vouloir choyer le vivant », estime-t-elle. Une conviction qui l’a également amenée à proscrire le labour.

Ces choix, exigeants, ont en partie dicté ses assolements. Elle a opté pour une rotation optimisée pour la gestion des adventices : une culture principale, plutôt d’hiver (blé, parfois avoine ou orge), une secondaire d’été puis une de printemps. « Et tous les trois-quatre ans, je sème du trèfle durant trois ans » précise-t-elle.

En dehors de 7 ha de noyers bio, ses 150 ha de SAU accueillent cette année un quart de blé tendre, comprenant des variétés modernes et anciennes, un quart de tournesol et un quart de trèfle. Sur le reste, l’agricultrice cultive du pois chiche, du sarrasin et différentes céréales en essai, tel le millet. Pour s’y retrouver financièrement, elle a fait le choix – gagnant – de valoriser une partie de sa production en vente directe. L’acquisition d’un moulin de seconde main lui permet en particulier de fournir en farine deux boulangeries de sa commune.

Sarrasin
Le sarrasin était déjà bien en graines au mois d’août. L’agricultrice n’attendra pas fin septembre pour le moissonner. (© Yoann Frontout)

Création de haies spontanées

Dès son installation, Camille Rayet a commencé à travailler avec la LPO en participant à un programme de sauvegarde de variétés anciennes de tournesol. L’objectif est double, puisqu’une partie des graines est vendue aux particuliers pour alimenter les mangeoires à oiseaux en hiver. Cette première expérience l’a conduite à prendre part à un projet mené plus spécifiquement par la LPO Aquitaine et visant à aider les agriculteurs à mieux prendre en compte la biodiversité. La démarche est incitative : pas de jugements, ni d’injonctions mais des réflexions sur les aménagements possibles pour la faune.

« La LPO m’a par exemple suggéré de planter des haies, mais je suis plutôt partisane de laisser faire la nature… » confie-t-elle. Qu’à cela ne tienne : l’association a donc délimité, avec l’agricultrice, des transects sur lesquels laisser des arbustes se développer. Une façon pour Camille Rayet de peaufiner un travail qu’elle avait déjà commencé puisqu’elle a toujours planté, chaque année, quelques arbres. Si certains avaient vocation à rester isolés, d’autres devaient l’inciter « à ne plus intervenir sur des bandes de 2 m de large, souvent en bord de parcelle, pour laisser des haies se former , explique-t-elle.

Jachère
Une petite parcelle, humide et peu exploitable, laissée en jachère. (© Yoann Frontout)

Des aménagements plus ou moins adaptés

Si les haies peuvent apporter logis et garde mangers à une faune variée, elles ne sont pas les seules. Les mares, par exemple, sont des oasis de biodiversité. « Tristement, les cultures céréalières se prêtent moins à leur mise en place que l’élevage » constate l’agricultrice. Si l’idée d’en implanter a été abordée par la LPO, l’agricultrice y voit trop de freins, tels les drains installés dans les années 80 sur une grande part de ses parcelles.

Elle s’est en revanche engagée avec l’association à conserver une bande non fauchée dans une grande parcelle de luzerne. La communauté d’insectes s’y installant sera étudiée. Un petit manque à gagner, puisqu’elle valorise sa luzerne via une usine locale qui en fait des granulés pour l’élevage. Mais un manque qu’elle accepte volontiers : « L’humain prend trop de place, il faut bien qu’il en rende un peu » glisse-t-elle. De la place, pourtant, elle en laisse déjà si l’on en juge les 6 ha de jachères ou la prairie mellifère semée cette année ! Mais elle a cette envie d’en faire toujours plus, dans des limites de temps et de coûts raisonnées. « Il faudrait, par exemple, que je fauche et non que je broie les jachères, admet-elle, mais ce n’est pas le même travail ! En revanche, je peux jouer sur la temporalité : l’année dernière, j’avais broyé fin juillet et je me suis promis de le faire plus tardivement au vu des papillons impactés. »

Bande non fauchée
Une bande non fauchée au centre et, en bout de parcelle, une future haie en devenir. (© Yoann Frontout)

La ferme, lieu de vie et de découverte

Dans le cadre du programme, plusieurs nichoirs ont également été réalisés par les élèves du lycée du Cluzeau et de l’école primaire de Faux. Certains sont destinés aux Mésanges, d’autres aux Huppes fasciées ou encore aux Bergeronnettes grises. Tous ont pris place parmi les noyers. « La LPO m’avait également proposé d’installer un nichoir à Chouette Effraie dans mon hangar, mais avec les problèmes de pigeons que je rencontre, j’ai décliné la proposition » précise l’agricultrice. Les rapaces nocturnes dans son secteur ne manquent d’ailleurs pas, et elle a ainsi accueilli, avec l’association, des visiteurs venus écouter la « Dame blanche » (l’Effraie des clochers) ou encore le Petit-duc. Une façon de faire découvrir ces oiseaux, mais aussi de montrer le rôle clef de l’agriculture pour un vaste cortège d’espèces. 

Nid de freulon dans un nichoir
Ce n’est parfois pas les hôtes attendus qui s’installent… Ici un nid de Frelon européen dans un nichoir à Huppe fasciée. (© Yoann Frontout)

Bien que l’agricultrice n’étale pas ses connaissances sur l’avifaune, elle ne manque pas de s’y intéresser. Elle évoque ainsi l’arrivée il y a quelques années de l’Elanion blanc, la présence régulière du Busard cendré et du Busard Saint-Martin, les nombreuses Huppes fasciées qu’elle peut observer… Sans oublier ces couples d’Œdicnèmes criards qui nidifient, depuis sa plus tendre enfance, sur l’exploitation. Curieux oiseaux aux yeux et pattes disproportionnés, ils font l’objet depuis 2020 d’un plan national de suivi par la LPO. Emblématiques des plaines calcaires et caillouteuses, ils ont longtemps accompagné viticulteurs et céréaliers avant de voir leurs populations décliner. Camille Rayet participe aux actions de conservation menées sur le plateau de Faux Issigeac. L’oiseau nichant au sol, des ornithologues viennent baliser les couvées et, lors des passages du tracteur, elle veille à les contourner.

Argus bleu
L’Argus bleu, un petit papillon encore très commun mais néanmoins en déclin à l’échelle européenne. (© Yoann Frontout)

Si ce n’est un Pic épeiche sur l’étiquette de ses produits, rien ne laisserait deviner la considération que porte l’agricultrice pour la biodiversité. En faire un argument marketing n’est pas pour autant dans ses plans futurs, et ce bien qu’elle souhaite développer la vente directe. Cela va de soi, tout simplement, et l’agricultrice a de toute façon bien d’autres projets en tête — tel investir dans une trieuse, pour que le tri des pois chiches soit moins chronophage !

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