"Le garde-champêtre, un acteur plein et entier du continuum de sécurité"

Le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) organise ce 10 octobre, à Nancy, ses premières "Rencontres nationales des gardes-champêtres", en partenariat avec la Fédération nationale des gardes-champêtres. L’occasion pour Christian Comin, président de cette dernière, de présenter l’actualité de cette profession méconnue et en recul, mais qui pourrait retrouver de nouvelles couleurs, y compris en ville, avec la préoccupation grandissante de la protection de l’environnement ou l’essor des incivilités.

Localtis - Quel est l’objectif de ces premières rencontres ?

Christian Comin - Nous avons sollicité le CNFPT afin qu’il puisse, au-delà des formations qu’il assure déjà pour la profession, nous accompagner pour exercer au mieux les plus de 150 domaines d’attribution qui sont les nôtres. Et ce, en partageant des retours d’expériences, en échangeant avec différents partenaires sur les différents aspects de notre métier et leurs évolutions… Au cours de cette journée, nous aborderons naturellement notre mission de protection de l’environnement, qui constitue pour nous un important champ d’action, où notre valeur ajoutée est particulièrement grande. Les récentes évolutions législatives ont conforté ce rôle, et il faut avouer que nous sommes souvent seuls sur le terrain pour faire appliquer les règles. Pour autant, nous restons aussi un généraliste de la sécurité publique, dimension qui sera également traitée. Rappelons qu’historiquement le garde-champêtre était le seul fonctionnaire de police sur le territoire, et donc nécessairement polyvalent, à l’image du médecin de campagne. C’est souvent toujours le cas. Et cela le restera même avec la création de nouvelles brigades de gendarmerie récemment annoncée (voir notre article du 2 octobre). D’une part, parce que certaines brigades resteront éloignées des territoires. D’autre part et surtout, parce que les gendarmes sont mobilisés sur d’autres niveaux d’intervention que les nôtres. Nous sommes ainsi un acteur plein et entier du continuum de sécurité, aux côtés des gendarmes ou des policiers nationaux, mais aussi des policiers municipaux, des agents de l’OFB [Office français de la biodiversité, NDLR] ou encore des gardes particuliers.

Les relations avec la police municipale ne sont pas toujours un long fleuve tranquille, en témoignent les escarmouches sur la non-présentation de l’arrêté "uniformes" (voir notre article du 28 août) devant la commission consultative des polices municipales (CCPM - voir notre article du 7 février). N’avez-vous pas vocation à vous rejoindre ?

Tout d’abord, mes relations avec la police municipale, que ce soit sur le terrain ou avec la plupart de ses représentants, sont excellentes et je ne suis nullement dans une logique de conflit. 
S’agissant du projet d’arrêté que vous évoquez, il n’est effectivement pas passé devant la CCPM. Mais la CCPM parle très peu des gardes-champêtres. Avouons en outre que la police municipale ne souhaitait sûrement pas que notre qualité de policier ressorte. Rappelons qu’il a fallu plus de 30 ans pour voir accoucher ce texte, dans la douleur. Pas tant l’arrêté, qui répond à nos attentes, que sa base législative, qu’il fut très difficile d’obtenir. L’Administration nous a objecté pendant des années qu’elle ne pouvait rien faire sans, mais avouons qu’elle ne s’est guère mobilisée pour que la disposition législative voit le jour. Sans les parlementaires, et en particulier Jean-Michel Fauvergue, rapporteur de la loi Sécurité globale à l’Assemblée (voir notre article du 26 mai 2021), nous n’aurions pas eu gain de cause. 
Et puisque vous l’évoquez, on ne peut nier que la volonté de fusion est forte chez certains membres de la police municipale, et sans doute aussi au sein du ministère de l’Intérieur. Mais ce serait nier que le garde-champêtre est taillé sur mesure pour la campagne, notamment avec nos compétences en matière de police de l’eau, de police de la chasse, alors que les polices municipales ne disposent pas des mêmes attributions et interviennent essentiellement en ville. Nos deux missions sont bien distinctes. Les policiers municipaux sont désormais plus de 25.000. Qu’ils se rassurent : ils n’ont rien à craindre des gardes-champêtres.

Le programme des rencontres fait pourtant état du fait que le métier séduit de plus en plus les territoires urbains. Le garde-champêtre, comme son nom l’indique, par essence lié à la campagne, ne risque-t-il pas d’y perdre sa spécificité et son âme ?

Le garde-champêtre est effectivement taillé sur mesure pour la campagne. Pour autant, nous pouvons également apporter une réponse à certains défis criants que connaissent les villes. Je pense par exemple aux dépôts sauvages, fléau qui n’est malheureusement pas l’apanage des campagnes, et de l’enjeu plus large de la salubrité publique – les déjections canines, les encombrants sur les trottoirs, la police des marchés… –, un domaine qui est très peu travaillé. Je pense encore au traitement des incivilités. Autant de missions pour lesquelles policiers nationaux et gendarmes ont peu de temps à consacrer, accaparés par d’autres missions, comme beaucoup de policiers municipaux d’ailleurs. Comme simple observateur, je constate que le champ d’action de ces derniers se rapproche de plus en plus de celui des forces de sécurité (voir notre article du 15 septembre 2023). Nos missions sont donc très complémentaires. C’est ce qu’ont bien compris les villes de La Rochelle, qui a mis en place un service de quatre gardes-champêtres aux côtés de sa police municipale, de Tarascon, avec un service de six gardes-champêtres, ou encore de Boulogne-sur-Mer, qui vient de valider en conseil municipal la création de dix gardes-champêtres, avec deux chefs de service.

Les effectifs pourraient-ils repartir ainsi à la hausse, après des années de baisse ? Au passage, comment expliquez-vous cette dernière ?

Je suis incapable de savoir si ces recrutements compenseront les départs à la retraite, sur lesquels on a beaucoup de mal à avoir de la visibilité. De manière générale, il est difficile de connaître le nombre exact d’agents. Beaucoup de mairies ne répondent pas au recensement des préfets et tous les agents ne sont donc pas comptabilisés. Pour autant, la chute des effectifs ces dernières années est indéniable, avec une division par deux en moins de dix ans – 1.240 agents en 2012, 701 en 2020, selon le ministère de l’Intérieur. Cette baisse tient selon moi en grande partie à une méconnaissance de la profession. Certains centres de gestion sont ainsi convaincus qu’elle n’existe plus ! Un seul, celui du Haut-Rhin, organise encore des concours. Cela tient à l’absence de liens entre les centres et les élus, ces derniers ne faisant pas remonter aux premiers leurs besoins en recrutement. Mais cette méconnaissance est malheureusement grande également chez les élus. Depuis la loi Chevènement de 1999, les polices municipales sont sur le devant de la scène et notre profession peine à s’y faire une place. L’appellation, un peu désuète, n'aide pas. Mais je suis persuadé que le mouvement peut s’inverser. Ce n’est pas le travail qui manque !