« J’habitais et je dormais avec elle, pour pouvoir m’occuper d’elle, même pendant la nuit » : un étudiant sur six est aidant d’un proche malade

Ils étudient et s’occupent au quotidien de leur mère, leur frère, leur partenaire, atteint de handicap, de perte d’autonomie ou d’une maladie grave. Focus sur la double vie des étudiants « aidants », un statut extrêmement méconnu, même par les jeunes concernés.

La double-vie des étudiants peut être compliquée à gérer. (Illustration) Freepik
La double-vie des étudiants peut être compliquée à gérer. (Illustration) Freepik

    À 25 ans, Irène a ce visage calme et solide des jeunes personnes qui ont déjà vécu bien des épreuves. Ses longs cheveux bruns lui descendent en ruisseaux sur les épaules. Quand quelqu’un lui pose une question sur sa mère, décédée en novembre 2022, ses traits s’immobilisent et ses yeux se concentrent intensément sur son interlocuteur.

    Durant six ans, elle a mené en plus de ses exigeantes études de droit international public à la Sorbonne, une autre bataille : celle d’aidante, auprès de sa maman atteinte d’un cancer du sein. Un rôle dont, comme la grande majorité des aidants, elle n’était pourtant absolument pas consciente. À l’occasion de la journée nationale des aidants ce 6 octobre, mise en lumière du quotidien et des épreuves des jeunes qui, à peine adulte, prennent soin d’un autre.

    « Dans les pires moments, je passais mon temps à m’occuper d’elle à l’hôpital, à faire certains gestes à la place du personnel soignant, comme l’accompagner aux toilettes ou l’aider avec ses médicaments, parce qu’ils étaient trop lents et qu’elle avait trop mal, se souvient elle aujourd’hui. Dans les périodes ou ça allait, je révisais en gardant toujours un œil scotché sur mon téléphone, au cas où elle ait besoin que je la rejoigne ».

    Comme elle, un étudiant sur six est un aidant, selon l’association des jeunes aidants ensembles (Jade). Pourtant selon l’étude « Campus Care » menée par le laboratoire de psychopathologie de Paris-Cité auprès de 6700 étudiants entre 2019 et 2020, 80% des jeunes interrogés ne savent pas ce qu’est un aidant.

    C’est-à-dire, une personne qui vient en aide, de manière régulière et fréquente, pour accomplir tout ou partie des actes ou des activités de la vie quotidienne d’une personne en perte d’autonomie, du fait de l’âge, de la maladie ou d’un handicap. Un rôle extrêmement méconnu donc, qui recouvre de très nombreuses réalités.

    Pour Irène, les premières actions d’aidante se matérialisent en 2016, après une rechute importante de sa maman. « J’ai commencé par l’accompagner à ses rendez-vous d’oncologie, puis à prendre les décisions médicales avec elle. Je me débrouillais entre les cours, j’en ratais certains », raconte la jeune femme. Tout bascule à la fin du premier confinement.



    « Plus aucun traitement ne fonctionnaient, et les métastases osseuses la faisaient énormément souffrir. Pendant de longues périodes elle ne pouvait plus marcher », se remémore-t-elle la voix basse. S’habiller, manger, marcher… Tous les gestes du quotidien, Irène les effectue alors avec sa maman. « J’habitais et je dormais avec elle, pour pouvoir m’occuper d’elle même pendant la nuit. Tout ça c’était une charge mentale que personne ne pouvait comprendre. On vivait dans une grande solitude. Mais ma mère était aussi mon plus grand coach dans mes études et dans la vie », tient-elle à souligner, le visage subitement illuminé. « À la fin, on ne faisait plus qu’une », dit-elle aujourd’hui.

    « Je ne savais même pas que j’étais aidante »

    S’ensuivent deux ans de séjours répétés à l’hôpital pour sa maman. Des mois durant lesquels Irène, entrée en Master entre-temps, prépare ses partiels et écrit son mémoire depuis la chambre d’hôpital. Elle ne parle de rien à ses professeurs. Il existe pourtant depuis 2019 un décret – « très peu connu des universités elles-mêmes, selon Amarantha Bourgeois, présidente de Jade – permettant un aménagement des cours et emploi du temps pour les étudiants aidants.

    « Mais je ne savais même pas que j’étais aidante. J’ai côtoyé du personnel médical pendant des années, et personne ne m’en a jamais parlé. Et puis je ne voulais pas qu’on me traite différemment. Les études de droit c’est marche ou crève, il faut se montrer forte », résume Irène. Un secret qui éclate le jour où un professeur lui demande de reprendre une partie de son mémoire. « J’ai fondu en larmes et je lui ai montré la chambre d’hôpital en visio. Je lui ai dit que si je devais recommencer, j’allais abandonner », se souvient-elle.

    Après le décès de sa maman, Irène tombe sur une vidéo de Romane, une jeune femme qui raconte son quotidien d’aidante. Elle met enfin un mot sur le rôle qu’elle l’a rempli pendant des années. « J’ai complètement craqué. J’ai compris qu’il y avait des milliers de jeunes qui font ce que j’ai fait. C’est comme si j’avais gardé un secret que plein de gens partageaient ! », explique-t-elle, le soulagement dans la voix. Grâce à l’association Jade, Irène rencontre alors Romane, étudiante-aidante de sa maman atteinte d’un cancer de stade 4, mais aussi Léa, Eva et d’autres étudiantes, toutes des jeunes femmes. « J’étais sous le choc. Elles et moi, on parlait le même langage ! », conclut-elle.

    Romane, 24 ans, était étudiante en licence à l’ENS de Lyon lorsque la maladie de sa mère s’est déclarée, il y a deux ans. « Je ratais la moitié des cours, j’accueillais ma maman dans mon petit appartement étudiant de Lyon pour qu’elle soit plus près de ses traitements… C’était tellement dur que j’ai failli arrêter les études », avoue-t-elle. Son entourage l’encourage à continuer. « C’est la meilleure décision que j’ai prise », juge-t-elle un an après. À la fin de sa licence, elle refuse un départ en stage de six mois en Australie, qu’elle remplace par un stage en neuro-immunologie à l’institut Pasteur à Paris. « Le pire ça n’était pas les allers-retours en train à six heures du matin entre Paris et Lyon qui me coûtent un bras. C’était la charge mentale de me dire : je suis nulle dans les deux, pas complètement présente pour ma mère et pas performante dans mon stage », explique Romane.



    Pour d’autres jeunes aidants, malgré la cadence stressante de cette double-vie, les études constituent un refuge nécessaire. Léa, 21 ans, s’occupe de son petit-ami Jules avec qui elle habite à Aix-Marseille, atteint de trouble du déficit de l’attention (TDAH), de troubles du comportement alimentaire (TCA) et de difficultés à maîtriser la motricité fine, qui le handicape au quotidien. Son rôle d’aidante consiste principalement à un soutien moral et émotionnel, et à la gestion de toute la logistique de la vie quotidienne, et de la charge mentale qui y est associée. « C’est très précieux pour moi d’être étudiante et d’aller à la fac, d’avoir cette autre identité que celle d’aidante. Ça m’offre un espace rien qu’à moi, ou j’ai d’autres relations sociales », explique-t-elle.

    Statut invisible et droits insuffisants

    Aujourd’hui en deuxième Master à l’ESCP, Romane a créé grâce à un prix de son école la branche étudiante de l’association Jade, qui réunit toutes ces jeunes femmes. « Le plus important c’est d’informer les jeunes qu’ils ne sont pas tout seuls, et qu’ils ont un statut duquel découlent des aides notamment financières indispensables », affirme-t-elle. Depuis la rentrée 2023, les jeunes aidants d’un membre de leur famille proche (parent ou frère et soeur) ou d’un partenaire (sur présentation d’un PACS ou mariage) peuvent effectivement bénéficier de quatre points supplémentaires dans le système d’attribution des bourses. Ce qui permet notamment à certains d’ »être éligible à la bourse s’ils dépassaient les plafonds de ressources auparavant », note le ministère. Une ressource précieuse « puisqu’il est quasiment impossible de cumuler un boulot étudiant quand on est déjà étudiant et aidant », note Irène.

    Une mesure nécessaire « pour que le système soit plus juste et cohérent dans son ensemble », jugeait lors de sa conférence de rentrée la ministre de l’Enseignement supérieur, Sylvie Retailleau. Mais aussi largement lacunaire. « Elle ne concerne que les aidants de personnes qui bénéficient de l’APA (allocation perte d’autonomie) ou de la PCH (prestation compensation handicap), c’est-à-dire pas ceux des personnes atteintes de maladies graves » maugréé Amarantha Bourgeois. Irène ou Romane, par exemple, n’auraient pas pu en bénéficier. Après avoir participé à une réunion récente avec le ministère sur la question, Amarantha veut espérer une évolution « de cet énorme manque », dès cette année. Du côté du ministère, on indique pourtant qu’ « aucune mesure n’est en cours d’adoption dans ce sens ».

    Il faudra encore lever de nombreux freins pour donner une visibilité à ce statut, en particulier chez les jeunes. « On a énormément de mal à leur faire connaître leurs droits et leur faire comprendre qu’ils ne sont pas tout seuls », explique Amarantha Bourgeois, elle même aidante. « On sait pourtant grâce à des études récentes que les aidants sont plus propice à tomber dans les addictions, et présentent 15% de risque supplémentaire d’être victime de maladie psychique ou mentale », rappelle la présidente. « Il est temps de prendre soin d’eux aussi ».

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