Trois jours après l’attentat terroriste qui a causé la mort du professeur de lettres Dominique Bernard et fait trois blessés, vendredi 13 octobre, Sophie Dumont, enseignante en histoire-géographie au lycée Gambetta d’Arras, croisée aux abords de l’établissement où elle travaille depuis trente ans, se dit « toujours en état de choc ». En cette matinée du lundi 16 octobre, elle se rend à une réunion avec les autres professeurs pour évoquer la reprise des cours. « Trois ans après l’assassinat de Samuel Paty, on se dit qu’on est encore des cibles », déplore-t-elle.
Partout en France, comme à Arras, la journée a été douloureuse pour le personnel de l’éducation nationale. Il ne s’agit plus seulement de commémorer, comme prévu, la mort de Samuel Paty, ce professeur d’histoire-géographie assassiné par un terroriste, en 2020, à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), mais aussi de rendre hommage au professeur de lettres qui vient de perdre la vie. Un double recueillement lourd à porter.
Contrairement à ce qui s’est passé en 2020, les enseignants des collèges et des lycées ont eu un temps de concertation, de 8 à 10 heures, pour converser avant la reprise des cours. Même si certains l’ont jugé trop court, ce temps s’est révélé « cathartique » pour nombre de professeurs, comme l’a constaté Aline (les personnes citées par leur prénom souhaitent rester anonymes), enseignante d’espagnol dans la Vienne. « On aurait pu s’empailler sur le conflit entre Israël et la Palestine ou sur la définition de la laïcité, dure ou molle, à la française ou pas à la française, mais pas du tout », raconte-t-elle.
Isabelle, professeure dans un collège de l’est de Marseille, est arrivée lundi matin pour ce temps d’échange avec une certaine irritation et de l’inquiétude. Durant le week-end, peu d’amis lui ont envoyé des messages, contrairement à il y a trois ans. « J’ai très peur d’une banalisation. Cela fait des années qu’on dénigre le métier d’enseignant », dit-elle. La discussion lui a également « fait du bien ».
Beaucoup d’enseignants estiment que ces deux heures ont permis de partager des émotions, sans vraiment construire la suite. Les professeurs ont constaté que des valeurs simples étaient remises en question, que parler du blasphème et de Voltaire pouvait devenir un sujet abrasif. Dès lors, comment s’adresser aux élèves abreuvés par les réseaux sociaux ? En rompant la solitude, en assurant des interventions à plusieurs… Les idées ne manquent pas dans les établissements. Mais la lassitude guette. « Nous avons aussi éprouvé de l’exaspération. Encore réunis pour un drame ! », remarque Etienne Corbin, professeur à Oullins (Rhône).
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