La révolution culturelle inachevée des entreprises adaptées

Alors qu’un dispositif d’évaluation est prévu fin 2023, la Cour des comptes publie un rapport sur les entreprises adaptées qui sont confrontées depuis la mise en œuvre de la loi du 5 décembre 2018 à une véritable "révolution culturelle".

La loi du 5 décembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a "bouleversé le cadre d’action des entreprises adaptées", estime la Cour des comptes dans un rapport récent. Car en affichant des ambitions élevées en termes d’emploi des personnes handicapées dans les entreprises classiques, elle a incidemment entraîné les entreprises adaptées à contribuer fortement à cet objectif. On dénombre actuellement 782 entreprises adaptées (EA) en France pour environ 25.000 équivalents temps plein, soit des entreprises "du milieu ordinaire de travail" qui se caractérisent par un fort taux d’emploi de travailleurs en situation de handicap. Des entreprises qui perçoivent en retour des aides financées par le ministère du Travail. Et si les chiffres semblent modestes, les magistrats de la Cour des comptes relèvent que ces entreprises jouent malgré tout un rôle "charnière" dans le dispositif d’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap, à l’interface du pôle médico-social et des Esat (établissements et services d'aide par le travail), d’une part, et des entreprises classiques, d’autre part. Deux secteurs qui concentrent l’essentiel des travailleurs en situation de handicap.

Trop tôt pour tirer de véritables enseignements ?

La mise en œuvre de la loi de 2018, explique la Cour des comptes, était accompagnée d’objectifs qualitatifs jugés "extrêmement ambitieux" à la fois en termes d’augmentation du nombre de postes que de sorties en emploi durable, ce que le rapport qualifie de "révolution culturelle pour les entreprises adaptées". Cinq ans plus tard, la Cour juge qu’il est encore trop tôt pour tirer de véritables enseignements en partie à cause de l’impact de la crise sanitaire et peut-être plus encore en raison des caractéristiques des salariés de ces entreprises "qui ne favorisent pas les changements rapides", estiment les magistrats de la Cour des comptes.
Le rapport souligne néanmoins une gestion sérieuse des dispositifs, même si les résultats de leur mise en œuvre sont jugés décevants. La Cour salue le développement des CDD tremplin ainsi que celui des entreprises adaptées de travail temporaire (EATT), une innovation de la loi de 2018 qui contribue à la "professionnalisation du secteur". Mais au final, en 2022, on dénombrait seulement 1.321 ETP pour ces dispositifs et des taux de sortie variant entre 2 et 6%. La Cour rappelant en parallèle que le taux de chômage des personnes en situation de handicap se situe à 18% et que la part de ces personnes dans les entreprises classiques s’établit à 3,5%.

Un secteur très protecteur trop peu orienté vers l’insertion

Les freins au changement sont multiples, depuis les effets de la crise sanitaire jusqu’à la difficulté de mettre en œuvre des dispositifs de formation, en passant par l’inertie d’une "culture professionnelle" spécifique dans un secteur très protecteur "mais très peu orienté vers l’insertion". Les entreprises adaptées, souligne le rapport, sont également très dépendantes des aides publiques (à hauteur de 26%), leurs salariés sont en moyenne âgés et peu formés et leur couverture territoriale et sectorielle est pour le moins "hétérogène". En résumé, "la transition vers le secteur classique reste pour elles secondaire" et les dispositifs renforcés par la loi de 2018 ont majoritairement pour effet de maintenir l’activité des entreprises plutôt que d’accompagner les salariés vers des entreprises classiques. Cependant, note le rapport, la loi a permis l’éclosion d’un troisième modèle : l’entreprise "insérante" dont la mission consiste à accompagner les salariés en situation de handicap dans l’emploi ainsi que dans la mobilité vers les entreprises classiques.
Enfin, la Cour des comptes estime que les entreprises adaptées ont un rôle à jouer en matière d’insertion dans les entreprises classiques. Un objectif qui pourrait passer par une réorientation des financements qui permettrait d’éviter la confusion entre le financement des EA et le soutien aux démarches engagées pour l’emploi direct en entreprise classique. Les CDD tremplin, par exemple, "gagneraient à être recentrés sur les projets d’entreprise portant spécifiquement sur l’inclusion".
À noter parmi la dizaine de recommandations faites par la Cour, la piste d’une modification du pilotage territorial des EA pour permettre un suivi économique et social plus efficace. Le rapport privilégie à ce titre un pilotage régional.

 

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