Avenue Pablo-Picasso, à Nanterre, les stigmates des émeutes de l’été perdurent. Si la rentrée scolaire s’est passée en douceur, l’asphalte garde les cicatrices des voitures qui ont brûlé. Sur le chemin de l’école élémentaire, à l’ombre des tours Nuages (tours Aillaud), les élèves peuvent lire sur les murs : « La solution, c’est la sédition », « Assassin de la police » ou encore « Justice pour Nahel » (Nahel. M, 17 ans, tué le 27 juin lors d’un contrôle routier à Nanterre après un refus d’obtempérer). Les quartiers sont toujours incandescents, peuplés d’une jeunesse paupérisée qui trouve peu sa place dans le système scolaire.
Raphaël (le prénom a été changé), 16 ans, est en bac pro maintenance des véhicules au lycée Claude-Chappe. C’est la semaine de la rentrée, il est presque 8 heures. Il tire une dernière bouffée sur un joint qui circule. Le grand jeune homme à capuche ne nous dira pas s’il a participé à l’embrasement de sa ville. Il esquisse simplement un sourire. La sonnerie retentit, il file en cours de français. Dans sa classe, ils sont une quinzaine, majoritairement des garçons. Jean-François Yippé, professeur de lettres, d’histoire et de géographie, commence par quelques exercices élémentaires. Il demande à Raphaël de se déplacer au tableau pour une correction. L’échalas tente de refuser, puis cède à la requête. Celui qui semblait si sûr de lui hors du lycée se vrille les doigts, regarde ses Nike, et lâche : « J’ai pas le niveau ! »
« Ils sont abîmés »
« J’ai pas le niveau… » Raphaël répète sa sentence, quand on le croise dans la cour de récréation. Dès le CP, le jeune homme a pris du retard dans l’apprentissage du français. Puis les années de primaire et de collège se sont succédé avec, bulletin après bulletin, le même leitmotiv pendant dix années : « Pas au niveau attendu. »
Dans un rapport intitulé « La force du destin : poids des héritages et parcours scolaires », publié en septembre, France Stratégie (institution de prospective attachée à Matignon) dresse un état des lieux qui colle à la vie des jeunes Nanterriens : « De la petite enfance à la sortie du système éducatif, avec ou sans diplôme, l’origine sociale, le genre et l’ascendance migratoire des élèves exercent sur leurs performances et leur parcours une influence majeure. » Puis « c’est l’origine sociale qui, en France, pèse le plus sur leurs trajectoires ».
Retour au lycée Claude-Chappe. Son cours de français terminé, M. Yippé dresse le bilan de ses années d’enseignement : « Quand ces gamins arrivent chez nous, ils sont abîmés. » Un constat partagé par tous les acteurs de terrain : « C’est le grand échec de l’éducation nationale de ne pas donner plus de moyens, d’attention à ceux qui en ont le plus besoin, sur un territoire sans mixité sociale », estime Joëlle Vasnier, présidente de l’association de soutien scolaire Les 4 Chemins et directrice d’école, désormais retraitée, à Nanterre.
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