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Grandes Ecoles

Frais de scolarité : "Les écoles de commerce profitent du manque d’alternative"

INTERVIEW - Alors que la rentrée 2023 est marquée par une nouvelle flambée des frais d'inscription dans les écoles de commerce, Julien Jacqmin, professeur associé en économie à Neoma, spécialiste de l'enseignement supérieur, revient pour Challenges sur l'absence de transparence et de régulation des informations délivrées aux familles qu'il s'agisse des droits de scolarité ou des salaires de sortie.

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Campus d'HEC à Jouy-en-Josas en 2003

Campus d'HEC à Jouy-en-Josas (photo d'illustration)

PIERRE-FRANCK COLOMBIER / AFP

Challenges - Les frais de scolarité affichés par les grandes écoles de commerce françaises explosent ces dernières années. A quoi attribuez-vous cette hausse?

Julien Jacqmin - Plusieurs facteurs l’expliquent. L’augmentation des frais d’inscription sert souvent à amortir des investissements massifs dans la recherche via le recrutement de professeurs-chercheurs de qualité, mais aussi dans les campus ou encore des dispositifs d’accompagnement aux étudiants. Notons qu’en France, la grande majorité des grandes écoles sont sous statut privé non marchand et doivent réinvestir leurs profits éventuels. Pour financer leurs investissements, elles n’ont donc pas beaucoup d’autres ficelles à tirer que d’augmenter leurs droits d’inscription.

Le problème est qu’on a aujourd’hui assez peu d’information publique sur les structures de coûts de ces établissements. Aux Etats-Unis par exemple, beaucoup de chercheurs ont eu accès aux comptes des universités pour étudier la corrélation entre la hausse des frais d’inscription et les investissements réalisés.

Les prix augmentent, pourtant il n’y a jamais eu autant d’étudiants dans ces écoles. Comment expliquez-vous ce paradoxe?

L’augmentation des frais ne va effectivement pas diminuer le nombre de candidats. Dans un contexte d’essor démographique du nombre d’étudiants, le commerce et la gestion sont des disciplines qui intéressent un grand nombre de jeunes alors qu’il y a assez peu d’alternatives. A l’université, les IAE (Instituts d'administration des entreprises) sont remplis. Il y a par ailleurs un coût financier et psychologique à partir à l’étranger, alors même que dans certains pays, les études dans ce domaine sont moins chères comme aux Pays-Bas où une école de commerce coûte autour de 2000 euros par an. En Belgique, c'est même 800 euros. Les écoles françaises profitent d’une certaine manière de ce manque d’alternative. HEC pourrait doubler ses frais d’inscription, elle remplirait quand même ses places.

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Rejoindre une grande école de commerce est-il toujours rentable?

En France, on est dans un système napoléonien où pour faire partie de la caste dirigeante, il faut avoir fait une grande école. D’un point de vue individuel, investir dans des écoles comme HEC présente certes un rendement très élevé sur le long terme. Maintenant, si l’on s’intéresse au retour sur investissement financier, et donc à la rémunération, il est difficilement quantifiable. Car, ni les frais de scolarité réellement payés, ni les salaires d’embauche à la sortie ne sont vérifiés et contrôlés par une autorité indépendante comme c’est le cas par exemple aux Etats-Unis.

Expliquez-nous ce qui est pratiqué aux Etats-Unis sur ce point.

Les Américains ont mis au point le "College scorecard" qui délivre aux étudiants des informations clés sur l’université qu’ils veulent rejoindre, comme les droits de scolarité moyens effectivement payés, le salaire de sortie moyen des alumni, le taux d’insertion, la durée moyenne de l’obtention du diplôme, le taux de réussite… En rejoignant une université, l’étudiant est obligé de lire cette fiche de renseignement et de valider qu’il en a bien pris connaissance. Ce sont des données administratives qui sont donc beaucoup plus robustes que celles dont nous disposons car en France, ces informations sont diffusées par les écoles, puis les médias et les classements, sur la base d’enquêtes déclaratives réalisées auprès de leurs alumni selon une méthodologie finalement assez peu fiable. Cela manque de régulation.

Justement, qu’il s’agisse des frais de scolarité, du salaire de sortie ou encore du taux d’insertion des grandes écoles, il y a urgence selon vous à mieux réguler l’information diffusée aux familles. Pourquoi?

Oui, car ces informations sont déterminantes dans les choix d’orientation. Si le secteur de l’enseignement supérieur est très contrôlé, il existe en réalité très peu de régulation sur les informations diffusées aux familles avant d’y accéder. Prenez l’exemple des frais de scolarité: on connaît le prix affiché mais pas le prix réellement payé par les étudiants en moyenne. Quel est le différentiel? Quelle est la part des étudiants qui vont réellement payer plus de 60.000 euros à HEC? Combien d’étudiants bénéficient de dispositifs de bourses internes? On est incapable de le dire de manière scientifique et indépendante. C’est un problème.

En l’absence de régulation, ce flou profite aux officines privées les moins scrupuleuses qui arrivent à recruter en masse sur le marché ces dernières années à grand renfort de marketing avec des conséquences désastreuses pour une génération d’étudiants perdus qui se retrouvent parfois sans diplôme à l'issue de leurs cursus.

Que préconisez-vous?

Vu l'essor de l'apprentissage dans ces filières on pourrait réfléchir à conditionner l'accès aux aides publiques à la transmission de ces données essentielles pour les familles.

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