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Jeu vidéo : une féminisation qui gagne dans un milieu qui peine

A quelques jours de l’ouverture de la Paris Games Week, le Syndicat national du jeu vidéo rend son baromètre annuel et pointe la féminisation en marche de la profession. En laissant de coté d’autres aspects posant problème.
Dans les bureaux d'Ubisoft à Milan en Octobre 2022. (Piero Cruciatti/AFP)
publié le 24 octobre 2023 à 18h49

En voilà une belle nouvelle pour le jeu vidéo français. Les femmes représentent près d’un salarié sur quatre (24 %), soit 10 points de mieux qu’il y a dix ans. «Une tendance forte qui se poursuit chaque année», note le Syndicat national du jeu vidéo (le Medef du jeu vidéo) dans son Baromètre annuel. Un poste de manager sur cinq serait même occupé par des femmes, soit deux fois mieux qu’il y a cinq ans. Une bien belle nouvelle – en vérité pas si nouvelle que ça, dans la mesure où la féminisation est une tendance lourde depuis dix ans – qui tombe à pic pour l’ouverture prochaine de la Paris Games Week, le grand salon célébrant le dynamisme des joueurs (y a plein de filles aussi), l’e-sport (bon, OK, là, on insiste pas trop sur la féminisation) et les acteurs de ce secteur moderne et innovant plein de premiers de cordée que le SNJV aimerait voir subventionner un peu plus – à votre bon cœur, monsieur le ministre.

Ça sera aussi l’occasion de rappeler que tous les Français jouent et que ce n’est pas sale. Là, on est plutôt dans la cour de l’autre syndicat de patrons, le Sell (Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs) qui livre tous les ans son petit PDF avec des bonshommes au sourire grand comme ça. «Le nombre de joueurs français atteint un record historique avec 39,1 millions de pratiquants âgés de 10 ans et plus, contre 37 millions en 2022.» Cette année ? Les femmes jouent de plus en plus, le joueur moyen a 40 ans (comprendre, c’est pas qu’un truc de gosse) et c’est «le média préféré des jeunes». Tout est trop super, donc. Un travail de légitimation de base qui ne semble destiné à personne d’autre qu’aux pouvoirs publics. On aurait bien envie de se moquer mais, de fait, ça serait peut-être mal venu alors qu’il y a quelques mois le président de la République, visiblement troublé, a mis ses concitoyens en garde contre «l’intoxication» du jeu vidéo suite aux émeutes urbaines… Avant de rétropédaler (bah oui, on va pas se fâcher avec une industrie d’avenir).

Une industrie qui dévore ses employés

Evidemment, c’est une bonne nouvelle de voir l’industrie du jeu vidéo se féminiser. Mais on aurait aimé également entendre le SNJV et le Sell au lendemain des affaires de harcèlement moral et sexuel à Ubisoft. Ou du scandale chez l’autre grand français, Quantic Dream, quelques années plus tôt… On aimerait les entendre tout court sur l’état du jeu vidéo aujourd’hui. On a dû manquer les communications sur la vague d’austérité qui s’abat actuellement sur le géant français du jeu vidéo qui serre les boulons, ferme des studios, et «se restructure» après des années noires. Comme tout le reste de l’industrie par ailleurs, les plans de licenciement plus ou moins massifs s’accumulant semaine après semaine depuis l’été chez EA, Epic, Embracer, CD Projekt, Team 17, Telltale… La liste semble infinie.

Toute lecture du baromètre du SNJV devrait en vérité s’accompagner de celle composée par le STJV, le Syndicat des travailleurs du jeu vidéo qui, il y a quelques semaines, a livré une étude portant non pas sur l’industrie du jeu vidéo mais sur ses employés. Ce qu’ils en disent, ce qu’ils en vivent. On constate par exemple que s’il y a effectivement davantage de femmes dans le secteur, les métiers du jeu vidéo restent réservés en grande partie aux enfants de CSP +. Les études sont longues, coûtent chers (25 000 euros en moyenne) et les écoles publiques sont rares. On apprend aussi qu’il s’agit d’une industrie qui dévore ses employés (un problème mondial, pointé par d’autres études), puisque sur le millier de répondants, seul un quart est en poste depuis plus de dix ans. Et il y a tout de même quelque chose d’inquiétant lorsqu’un secteur n’est pas capable de retenir ses travailleurs sur le long terme. On est en droit de se dire qu’il y a là une source de mal-être, peut-être même un problème lié aux conditions de travail, aux perspectives d’évolution de carrière ou à la stabilité du secteur tout entier (et pas résumé à ses seuls fleurons industriels)…

En plus de préciser de nombreux éléments qui ne figurent pas dans le baromètre du SNJV, l’étude du STJV contredit certains points avancés par le syndicat des patrons. Comment réconcilier par exemple le fait que 22,5 % des répondants disent avoir traversé au moins une période de crunch (période de travail intense) durant l’année et les déclarations du délégué général du SNJV, Julien Villedieu, qui, interrogé par Libé dans le cadre d’une enquête sur les formations de jeu vidéo, soutenait que le crunch n’existait plus en France. Mais ne parlons pas de souffrance alors que la Paris Games Week ouvre ses portes mercredi : le jeu vidéo est une fête.

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