Pacte enseignant : le dispositif peine encore à séduire

Oriane Raffin Publié le
Pacte enseignant : le dispositif peine encore à séduire
Les professeurs en début de carrière sont visés par le Pacte enseignant. // ©  Stephane AUDRAS/REA
Le dispositif, mis en place pendant l'été par le ministère de l'Éducation nationale, permet aux enseignants de travailler davantage sur des missions complémentaires, contre rémunération. Mais les volontaires manquent à l'appel.

Travailler plus pour gagner plus. C'est la promesse du Pacte enseignant mis en place pendant l'été, à destination des enseignants du premier et du second degrés. Le principe : accepter des missions supplémentaires - de manière volontaire - en échange d'une rémunération s'ajoutant au salaire de base.

Les professeurs ont ainsi le choix entre différents modules, appelés "briques", qui correspondent à un certain nombre d'heures dans l'année ou à un engagement précis. Parmi ces missions : remplacement de courte durée dans sa matière (en cas de collègue absent), aide aux devoirs, interventions sur les métiers, appui à la prise en charge d'élèves à besoins particuliers, etc.

Des difficultés à trouver des volontaires

Mais du côté des enseignants, la mesure est loin de faire l'unanimité. Selon de premiers chiffres communiqués par le SNPDEN-UNSA, syndicat de chefs d'établissement, qui s'était prononcé contre le Pacte enseignant, les "briques" peinent à trouver preneurs.

Une enquête réalisée par le syndicat auprès de 2.750 principaux de collège et proviseurs de lycées révèle que seules 23% d'entre elles ont été prises par des enseignants des établissements sondés. Dans 30% de ces établissements, aucun Pacte n'a été signé.

Norman Gourrier, secrétaire général du Syndicat national des collèges et des lycées (SNCL), est encore moins optimiste. "Nous avons eu des remontées de zones rurales notamment où le Pacte reçoit encore moins d'adhésion", explique-t-il, citant des établissements connaissant des blocages volontaires, avec zéro Pacte signé.

Il souligne également que le maximum de trois briques n'est quasiment jamais atteint, les enseignants signataires se contentant généralement d'une seule mission.

Une rémunération qui ne convainc pas tous les profils

La rémunération pour ces missions complémentaires est fixe (1.250 euros annuels bruts par brique), quelle que soit l'ancienneté de l'enseignant. Elle est donc beaucoup plus intéressante pour des débutants que pour des professeurs agrégés en fin de carrière.

Ces derniers auraient davantage intérêt à continuer à pratiquer des heures supplémentaires - mieux rémunérées et surtout comptabilisées dans le calcul des retraites, contrairement aux modules du Pacte enseignant. "Sinon, ils perdent de l'argent", note Norman Gourrier.

Un pacte attractif pour les jeunes enseignants

Cible de premier choix du Pacte enseignant, donc, les professeurs en début de carrière, pour qui l'apport financier n'est pas négligeable.

Marie (le prénom a été modifié), professeure des écoles en maternelle, en région parisienne, est directe. "Très sincèrement, je le fais pour la rémunération. Nous sommes assez mal payés dans l'Education nationale, le Pacte enseignant représente un moyen de gagner un peu plus d'argent".

La jeune femme de 27 ans confie ses difficultés, notamment en termes de logement. Ses collègues, en début de carrière et sans enfant, sont nombreux à avoir fait le même calcul qu'elle.

Marie a signé pour trois blocs - le maximum possible dans l'enseignement général. La jeune femme intervient ainsi dans le collège de son secteur, pour faire de l'aide aux devoirs et de l'approfondissement en mathématiques et en français auprès d'élèves de 6e. Cela lui prend deux heures par semaine, le mercredi matin. Dernière brique choisie : le soutien pendant les vacances, qui n'a pas encore débuté.

Globalement, son bilan est plutôt positif. Elle trouve l'exercice intéressant mais déplore le manque d'organisation. "Nous sommes un peu propulsés là-dedans sans informations !", s'exclame-t-elle. Elle ignore également quand elle sera payée pour ces heures supplémentaires.

Manque de temps et menace sur la qualité des enseignements

À l'inverse, dans le collège de Béatrice (le prénom a été changé), professeure en Seine-St-Denis, une seule personne a signé le Pacte enseignant, s'engageant pour des remplacements de courte durée.

L'enseignante, mère de deux enfants, s'oppose au Pacte tant pour des raisons idéologiques que pragmatiques. "Ce n'est pas une revalorisation, alors que les profs français sont parmi les moins bien payés ! ", assène-t-elle. Elle estime, en outre, ne pas disposer d'assez de temps pour travailler correctement, elle qui, en tant que professeure principale, encadre cinq enfants avec des accompagnements spécifiques.

Et craint pour la qualité des remplacements de courte durée. "Remplacer au pied levé, avec des élèves que l'on ne connaît pas, devoir préparer un cours en dernière minute pour des niveaux auxquels nous n'enseignons pas forcément… Cela n'a pas de sens et nuit à la qualité de notre travail. Au risque de décrédibiliser et de déprofessionaliser le métier d'enseignant", ajoute-t-elle. Une inquiétude partagée par les syndicats.

Un certain flou persiste pour certaines missions du pacte

Norman Gourrier, du SNCL, reconnaît un intérêt pour les jeunes collègues du premier degré, en proie à des difficultés de pouvoir d'achat ou pour ceux qui voient enfin certaines de leurs missions, jusque-là bénévoles, être rémunérées. Il refuse donc de rejeter d'un bloc tout le Pacte enseignant, mais se dit préoccupé.

"Les textes d'applications ont été publiés pendant l'été, avant le décret. Ce dernier contient des éléments différents de ce qui avait été conclu avec les syndicats. Nous avons repéré des chevaux de Troie", dénonce-t-il.

"Concernant les remplacements de courte durée, par exemple : si un professeur ayant cette mission ne peut pas être présent physiquement devant les élèves, il pourra donner un support pédagogique, qui sera mis en pratique par un autre adulte de l'établissement, y compris les assistants d'éducation… Ils réinventent la permanence ! Il n'y a pas de professeur, mais statistiquement, cela va compter comme tel pour le ministère."

Autre critique des syndicats : les modalités sont fixées par les établissements eux-mêmes, notamment pour les remplacements de courte durée : combien de temps à l'avance l'enseignant doit être averti, créneau bloqué dans l'emploi du temps ou non, etc. Avec un risque de népotisme de la part de certains chefs d'établissement.

Sans oublier que certaines missions de "coordination" ou de "bilan" sont très complexes à évaluer ou à chiffrer. "Ceux qui prennent ces missions à cœur et s'y investissent ne s'y retrouveront pas", estime Norman Gourrier.

Inquiétude dans les lycées professionnels

Du côté des lycées professionnels, le Pacte enseignant a encore plus de mal à passer. Dans ces établissements, le personnel peut accepter jusqu'à six briques du Pacte, pour une rémunération supplémentaire allant jusqu'à 7.500 euros annuels brut.

Sigrid Gérardin, co-secrétaire générale du Snuep-FSU, estime que le Pacte "ne sert qu'à déployer la réforme du lycée professionnel, fortement critiquée par la profession", craignant la déscolarisation des élèves les plus fragiles.

Elle dénonce également des titres de missions qui tentent "d'instrumentaliser la forte conscience professionnelle des enseignants en lycée professionnel". Elle cite ainsi la brique consacrée à la lutte contre le décrochage scolaire.

"Évidemment que tous les professeurs veulent agir contre ! Mais rien dans le Pacte n'est mis en place dans l'intérêt des jeunes. L'action proposée vise davantage à les extraire des lycées pros pour les basculer dans des structures d’insertion professionnelle."

Et s'inquiète, sur le terrain, de la pression mise aux enseignants. "Nous avons des remontées d'établissements où des proviseurs menacent ou minimisent le travail nécessaire, pour engager les collègues dans le Pacte", déplore-t-elle.

Elle s'inquiète tout particulièrement pour les non-titulaires, qui pour certains, pourraient voir le renouvellement de leur contrat à la rentrée prochaine conditionné par la signature du Pacte.

Oriane Raffin | Publié le