En école de commerce, mieux vaut soigner son entrée. Les premiers pas dans cet univers codifié représentent un moment crucial. On célèbre, lors du week-end d’intégration, la réussite au concours, après plusieurs années d’abnégation studieuse en classe préparatoire. On forge son esprit de corps, à coups de jeux et de défis sportifs. On tente d’intégrer une association étudiante, découvrant la puissance du réseau. Ses dérives toxiques aussi. Le premier semestre en grande école est une « red zone » : cette notion, élaborée par des chercheurs américains, pointe la prégnance de violences sexistes et sexuelles lors des premiers mois de rentrée. Elle se confirme en France.
Pendant sa scolarité à Audencia, Margot Tramontana raconte avoir été harcelée par le journal télévisé du G-Eyes, une association officielle financée par l’école. Lorsqu’elle intègre l’établissement nantais en 2012, l’étudiante a une relation avec un membre d’une association de l’école, ce qui engendre une rumeur dégradante à son égard. « Face caméra, trois membres du JT – des hommes – sont venus me poser des questions sur mes pratiques sexuelles. Trois autres étudiants, toujours des hommes, assistent à la scène et m’insultent. Le JT a ensuite été diffusé devant 400 personnes, avec cinq longues minutes d’images destinées à m’humilier. » Après la diffusion de l’émission, l’étudiante décide de ne plus fréquenter les soirées et finit par quitter l’école en 2014, avant même d’être diplômée.
Ces JT, eux, continuent d’être diffusés devant des amphithéâtres bondés, plusieurs fois par an. Le Monde a visionné celui de décembre 2022. Au menu : vidéos de soirées, élection des « plus gros chopeurs » et des « plus gros suceurs des assos », ciblage de certaines étudiantes, attaquées sur leur vie privée : « T’as bien dormi ? On pense que oui en étant doublement bien accompagnée. Deux zizis en une soirée, ça se passe comment la double sentence ? » Ce n’est qu’en mai 2023, après une enquête menée par Médiacités, qu’Audencia met un terme aux journaux télévisés de l’association. En septembre, Margot Tramontana, aujourd’hui comédienne et metteuse en scène, envoie une lettre à l’école, signée par trente anciens élèves de l’établissement : « On nous répète sans cesse que les “grandes écoles” forment “les élites de demain”. Il est grand temps qu’elles s’interrogent sur la garantie d’un climat scolaire serein pour assurer la bonne formation des futurs patrons. »
Alexandre Pourchet, directeur du programme grande école d’Audencia, reconnaît que l’école a « manifestement manqué de vigilance dans le contrôle de cette association ». Il précise néanmoins que les derniers JT « n’avaient donné lieu à aucune remontée d’étudiants avec le processus d’alerte », et rappelle que les responsables de ce JT avaient, comme tous les présidents d’association depuis septembre 2022, suivi les quatre formations de trois heures consacrées aux violences sexistes et sexuelles (VSS). Le dispositif a été élargi en 2023 à tous les membres des associations, en partenariat avec le groupe Egaé, cofondé par Caroline De Haas. Chaque association compte par ailleurs désormais un référent VSS.
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