Doctorante en sociologie du Laboratoire de changement social et politique de l’université Paris-VII, corattachée au Centre d’étude et de recherche travail de l’université Jean-Jaurès à Toulouse, Margaux Trarieux s’apprête soutenir sa thèse « Faire sa “grande école”. La construction sociale de la grandeur par les étudiantes et étudiants en école de commerce ».
Dans votre thèse sur les conditions de réussite en école de commerce, vous consacrez plusieurs chapitres aux associations étudiantes. Pourquoi ?
Ce n’était pas prévu au départ, mais en interrogeant les premiers étudiants j’ai vite compris que les associations occupaient une place centrale dans la socialisation au sein de ces établissements. Intégrer une association, c’est presque comme passer un deuxième concours après celui d’entrée. C’est rejoindre un groupe distinctif où se tissent des réseaux puissants, qui permettront de faire la différence sur le marché de l’emploi. J’ai voulu comprendre comment les étudiants sont sélectionnés, et transformés par l’expérience associative.
Chaque école a ses associations les plus influentes. Il s’agit souvent du BDE [le bureau des étudiants], et du BDS [le bureau des sports]. Mais tout dépend de l’historique des écoles. A l’EM Lyon par exemple, le Ski club est réputé pour être particulièrement sélectif. Autour de ces associations prestigieuses gravitent des dizaines d’autres associations, qui ont une durée de vie plus ou moins longue, chacune ayant ses propres rituels de recrutement, parfois calqués sur ceux des associations les plus populaires.
Comment analysez-vous le discours tenu par les étudiants sur les associations ?
Entre 2018 et 2019, au début de mon enquête, les étudiants parlaient de bizutage, tout en sachant que la pratique était illégale. A partir de 2020, plus personne n’utilise ce terme. C’est pareil avec les termes de « bode » – qui désigne un étudiant populaire – et « nobode » ou « ghost », qui signifient l’inverse. Ces jeunes ne les emploient plus ouvertement, mais tout le monde connaît leur signification. Les étudiants sont bien plus sensibilisés à la question du harcèlement aujourd’hui. Mais ils sont davantage méfiants aussi. Ils ne veulent pas mettre en péril l’image d’établissements dans lesquels ils ont investi du temps et de l’argent, ni ternir la réputation d’un collectif censé les aider dans leur trajectoire professionnelle.
On assiste à une évolution ambivalente de l’espace associatif. De nouvelles associations centrées sur les enjeux écologiques, ou encore la lutte contre les violences sexuelles et les discriminations voient le jour. Les rituels d’intégration sont clairement moins violents, mais ils continuent de véhiculer une culture de l’excès. Ces jeunes consomment beaucoup d’alcool, dorment peu, se soumettent à des épreuves absurdes afin de prouver leur motivation. Les critères de sélection ne sont pas officiels, mais s’avèrent socialement ancrés, ce qui produit une hiérarchie en fonction de l’origine sociale et du genre à l’intérieur de l’école. Pour rejoindre le BDS par exemple, mieux vaut parler fort et aimer les chants potaches.
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