Pierre Dubus, doyen de la faculté de médecine de Bordeaux : "Bientôt, nous aurons des facs de médecine privées"

Pauline Bluteau Publié le
Pierre Dubus, doyen de la faculté de médecine de Bordeaux : "Bientôt, nous aurons des facs de médecine privées"
Le campus des sciences de la santé de l'université de Bordeaux // ©  Gautier Dufau/Université de Bordeaux
Doyen de la faculté de médecine depuis 2014, Pierre Dubus quittera ses fonctions en décembre prochain. Durant ses deux mandats, il a vu défiler les différentes réformes des études de santé, de la réorganisation de l'internat à la mise en place de la réforme PASS-L.AS. Des évolutions nécessaires mais qui ont aussi bouleversé l'université.
Pierre  Dubus, doyen de l'université de Bordeaux, répond aux questions d'EducPros
Pierre Dubus, doyen de l'université de Bordeaux, répond aux questions d'EducPros © Photo fournie par le témoin

Trois ans après la mise en place des parcours PASS-L.AS, l'heure est au bilan pour les universités. Quel est votre constat à Bordeaux ?

C'est du grand n'importe quoi. Il n'y a aucune base précise sur cette réforme. Notre système est organisé différemment à Bordeaux : en L.AS 1, les étudiants ne suivent que la moitié des UE santé. Ils voient le reste du programme l'année suivante. Ce qui fait que peu d'étudiants en L.AS 1 se présentent pour accéder aux études de santé.

Pour autant, nos premiers chiffres montrent qu'il n'y a pas de différence de niveau entre les étudiants venant de PASS et ceux de L.AS en deuxième année. Les grands admis réussissent mieux que ceux qui vont à l'oral mais on le voit moins au fur et à mesure des études.

En revanche, l'écart est plus visible pour ceux qui sont admis lors de leur seconde chance. Les étudiants de PASS valident leur année, vont en L.AS 2 mais beaucoup ont choisi leur mineure de PASS (qui devient la majeure en L.AS) par défaut. Or, pour être reclassés, ils doivent être parmi les meilleurs de leur licence. En seconde chance, on a donc moins d'étudiants admis.

Beaucoup préfèrent partir en Espagne. Les départs à l'étranger ont été amplifiés avec la réforme.

La Conférence des doyens de médecine propose de supprimer certaines L.AS, notamment les moins scientifiques. Qu'en pensez-vous ?

Si on veut que cette réforme marche, il faudrait retirer les capacités d'accueil en PASS et en LAS. On a plein d'exemples où les étudiants ont pris ce qu'il restait.

S'il fallait supprimer quelque chose, ce serait les L.AS à l'université de Bordeaux, ne garder que le PASS. Avoir deux parcours, c'est idiot : les L.AS, c'est bien pour les annexes (l'université propose une L.AS Sciences de la vie et Physique chimie à l'université de Pau et des Pays de l'Adour par exemple, ndlr). Cela ne veut pas dire que l'un ou l'autre système est mieux mais que les deux se font concurrence. Je ne sais pas comment cela va évoluer…

L'un des objectifs de la réforme, en supprimant la PACES, était de mettre en difficulté les prépas privées. Est-ce le cas ?

Il y a plus de prépas qu'avant. Beaucoup plus. La réforme a eu un effet contre-productif sur l'ascenseur social, en introduisant l'oral notamment et en supprimant le redoublement. Il faut être bon, dès la première année donc les prépas s'en sont emparées, dès le lycée même.

Car là aussi, il y a une montée en puissance : le taux de réussite est lié au niveau scolaire. Tout se joue avant l'université. Donc aujourd'hui, tout le monde suit une prépa.

La réforme a eu un effet contre-productif sur l'ascenseur social, en introduisant l'oral notamment et en supprimant le redoublement.

Depuis la crise sanitaire, tous les enseignements ont également été mis en ligne, ce qui a facilité le travail des prépas d'un côté et favorisé l'isolement, de l'autre. Donc, il n'y a plus d'étudiants en cours. L'année dernière, nous avions 15 étudiants en cours sur 1.600. Même pour les ED (enseignements dirigés), il y avait peu de participants donc on a supprimé les cours.

Je ne sais pas qui sont les étudiants de première année, je ne les vois qu'à l'examen. Lors des réunions d'information en début d'année, on était plus d'enseignants que d'étudiants.

Il n'y a plus de vie sociale, de relation entre les étudiants. Le tutorat s'effrite car il y a de moins en moins d'esprit de corps, ce qui rend plus difficile de contre-carrer les prépas. Et elles ont raison, il y a un marché.

Les prépas privées ont donc pris la place de l'université ?

Le système est devenu tellement absurde que plus rien ne me gêne. On marche sur la tête. On perd tous nos enseignants… Mais, en même temps, pourquoi resteraient-ils dans le public ?

C'est une faillite de l'université. On va arriver à un système avec uniquement des établissements privés, des facs de médecine privées.

Pensez-vous réellement que cela pourrait arriver ?

On espère faire réagir. On a tout fait pour faire baisser le niveau avec cette réforme, on s'est mis en difficulté et on va le payer longtemps. On devrait encore pouvoir réagir grâce au tutorat. Et on les aide beaucoup mais tant qu'il n'y a plus cet esprit...

Aujourd'hui, l'université doit former plus d'étudiants avec moins de moyens… ça va exploser.

Pauline Bluteau | Publié le