FRANCE 2 – MERCREDI 8 NOVEMBRE À 23 H 05 – DOCUMENTAIRE
Bruno, Pierre, dit « Pierrot64 », Annick, dite « Toupinette », et Valentin sont devenus chauffeurs routiers par passion – on ne choisit pas de passer sa vie au volant d’un 44 tonnes par hasard. Mais, avec le temps, avec le manque de reconnaissance et la dégradation des conditions de travail, chez certains, la passion a laissé place à la lassitude.
D’habitude solitaires et silencieux, ils ont accepté d’en parler, dans l’espoir d’être mieux connus du grand public, voire plus aimés. Pari tenu dans ce documentaire très humain, dont la portée dépasse largement le cadre d’une seule profession pour révéler, au fil des kilomètres de bitume avalés, les dérives de notre société de consommation.
Au nombre de 360 000, les routiers appartiennent ainsi à la France qui se lève tôt, « à 3 h 30 chaque lundi », précise Bruno, vingt-six ans de métier. Cela lui permet d’aller chercher la remorque « à la sortie du village » avant de prendre la route. Il rentrera cinq jours plus tard, après avoir parcouru de 3 000 à 3 500 kilomètres et livré des tonnes de marchandises.
Se sentir utile, c’est ce qui fait se lever chaque matin Valentin, six mois de volant avec la fierté d’être en « mission » pour la collectivité. D’autant, comme l’explique le jeune homme, que son père a tout fait pour l’en dissuader, allant jusqu’à lui faire passer, à 12 ans à peine, un jour entier en camion à côté d’un copain chauffeur, Pascal Besnier (dit « Buffalo » du temps de la cibi). Raté : le gamin adore ! Et Pascal Besnier est désormais son patron.
A intervalles réguliers, entre reportages et paysages magiques – mais jamais ensoleillés –, des données chiffrées apparaissent. « Il manque 50 000 routiers en France » ; « Depuis les années 1980, les deux tiers des restaurants routiers ont fermé »…
« Pression économique »
Les marqueurs propres à la profession sont présents, depuis les archives de l’émission mythique « Les routiers sont sympas », animée par Max Meynier (1938-2006) sur RTL de 1972 à 1983, aux 24 Heures du Mans camions, course annuelle qui va requinquer « Toupinette » et lui donner le courage de reprendre le volant deux ans après son burn-out. La peur et l’accident en font partie, provoqués par le stress, la fatigue.
« Pierrot64 », trente ans de route, est le premier à dénoncer « la pression économique » qui pèse sur les chauffeurs depuis la généralisation des « flux tendus ». La preuve ne tarde pas à arriver en image, au cours d’une séquence plutôt drôle, où l’on voit Bruno, les bras ballants sur une aire de chargement, dans l’attente d’une cargaison.
Aujourd’hui, ce temps perdu lui pèse, comme les embouteillages et les camping-cars mal garés. Il n’était pas comme ça avant. Avant que son patron ne le vire de son poste à l’international pour le remplacer par des chauffeurs des pays de l’Est, payés deux fois moins. C’était au début des années 2000. Depuis, cette concurrence déloyale nivelle les salaires par le bas.
« Pierrot64 » met chacun de nous face à ses responsabilités. Depuis que les plates-formes de vente en ligne promettent de livrer le lendemain de la commande, « c’est le consommateur qui dicte la vie du chauffeur routier », dit-il calmement, quitte à faire rouler le camion « à moitié chargé », ce qui est une aberration écologique. « Et quand on vous propose la livraison gratuite, cela veut dire que le travail d’un chauffeur routier n’a pas de valeur. » Le message est passé.
Routiers, les forçats du bitume, documentaire de Jean-Claude Raspiengeas, réalisé par Damien Vercaemer (Fr., 2023, 58 min). Diffusé dans le cadre de l’émission « Infrarouge », sur France 2.
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