La réforme de la fonction publique de 2019 n'a pas tenu toutes ses promesses

Dans un rapport qu'elle doit publier ce 9 novembre, la Cour des comptes dresse le bilan de la mise en œuvre de la principale réforme sur la fonction publique du premier quinquennat d'Emmanuel Macron, la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. La Rue Cambon passe en revue l'ensemble des grandes mesures - à l’exception de celles qui concernent la promotion du dialogue social et l’égalité professionnelle. Le bilan est le plus souvent mitigé. Qu'il s'agisse par exemple de temps de travail ou de recours aux contractuels.

Dans son rapport, la Cour se penche particulièrement sur l'application de l'harmonisation de la durée du temps de travail dans la fonction publique. L'article 47 de la loi a prévu de mettre fin aux dérogations à la durée de travail de 1.607 heures par an - au 1er janvier 2022 pour les communes et leurs groupements et au 1er janvier 2023 pour les départements et les régions. Dans les faits, la mise en œuvre de la nouvelle règle est "amorcée", mais elle est "loin d'être générale dans la fonction publique territoriale". Selon une enquête de la direction générale des collectivités locales (DGCL) réalisée en avril dernier auprès de 14.500 entités du bloc communal (communes et intercommunalités) et citée par la Cour, 83% des structures répondantes avaient défini par délibération les règles applicables en matière de temps de travail. Près de 91% des délibérations transmises n'appelaient aucune observation.

"Certaines collectivités se sont saisies de l'obligation de fixer la durée du travail à 1.607 heures annuelles "pour revoir leur processus de gestion des RH, préalable indispensable à la refonte de leurs régimes de travail", constatent les magistrats. Ainsi, telle collectivité a adopté un nouveau règlement intérieur portant sur le temps de travail, telle autre a déployé un nouvel outil informatique pour "accompagner les cadres et les agents dans la gestion et le suivi de leur temps de travail".

"Des îlots de résistance"

Mais la mise en œuvre des nouvelles règles a buté sur pas mal de limites. Ainsi, pour apaiser les "tensions" qui sont nées dans les collectivités au sujet du temps de travail, des collectivités ont octroyé des "contreparties" (notamment par la création de régimes dérogatoires à la durée normale et la création de nouveaux jours de congés). En outre, les employeurs territoriaux se révèlent parfois assez généreux sur l'attribution des autorisations spéciales d'absence (ASA) liées à la parentalité et à certains événements familiaux (avec des modalités parfois plus favorables que dans la fonction publique d'État, alors que la parité devrait être la règle). Ce qui automatiquement a pour conséquence d'abaisser la durée légale du travail. La Cour des comptes presse donc le gouvernement de publier un décret qui doit harmoniser les pratiques dans ce domaine. Un texte qui fait partie des cinq décrets (sur 140 au total) prévus par la loi de transformation de la fonction publique et non encore parus.

La Rue Cambon observe aussi que subsistent des "îlots de résistance" sur cette question de la durée du temps de travail des agents. Elle remarque notamment que certaines collectivités ont effectivement pris une délibération relevant à 1.607 heures la durée de travail de leurs agents, mais qu'elles ne l'appliquent tout simplement pas. "Les différences de situation qui perdurent produisent en conséquence des inégalités de traitement des agents territoriaux assurant des misions équivalentes", conclut-elle.

L'alignement sur la durée légale de travail doit être opérée dans un contexte qui évolue, observe toutefois la Cour des comptes. En effet, avec les difficultés de recrutement que connaissent les collectivités, la flexibilité du temps de travail, le développement du travail nomade, la conciliation de la vie professionnelle et de la vie personnelle des agents concourent à l'attractivité des employeurs publics.

Contractuels : pas de vague massive de recrutements supplémentaires

L'élargissement des modes de recrutement des agents contractuels était un autre grand volet de la loi. Il s'avère qu'à ce stade, les employeurs publics se sont peu saisis des nouvelles facultés dans ce domaine. En particulier, l'appropriation par les employeurs publics du contrat de projet (contrat d'une durée d'un à six ans ayant pour but de mener à bien un projet ou une opération identifiée) "demeure très mesurée". Donnant lieu principalement au recrutement d'agents de catégorie A, ce nouveau type de contrat fait "l'objet de pratiques diffuses et disparates", qui ne correspondent pas toujours aux usages prévus par la loi. La communauté de communes Éguzon-Argenton Vallée de la Creuse a par exemple recouru à "un seul contrat de projet pour l’accompagnement de trois projets distincts ne présentant aucun caractère exceptionnel pour une durée d’un an ne coïncidant pas avec la durée du principal projet". La Cour pointe donc la nécessité d'"une consolidation des modalités de recours à cet instrument par les collectivités territoriales".

"Une grande partie" des employeurs publics "éprouve toujours des difficultés à se doter d’une politique des ressources humaines" concernant les agents contractuels, critique par ailleurs la Cour. Qui juge indispensable "l’acquisition de nouveaux savoir-faire au sein des directions des ressources humaines, plus tournées vers le conseil que la gestion opérationnelle".

Indemnité de précarité

Pour sanctionner le recours trop systématique aux contrats courts dans la fonction publique, la loi a mis en place une "indemnité de précarité" destinée aux contractuels de droit public recrutés pour une courte durée, à compter du 1er janvier 2021, avec une rémunération brute inférieure ou égale à deux fois le montant du Smic. La Cour des comptes estime que l'indemnité a un coût annuel de près de 93 millions d'euros pour les employeurs territoriaux. En 2022, près de 127.000 agents territoriaux auraient obtenu cette indemnité d'un montant moyen de 731 euros. Pour les trois versants publics, la Cour évalue le coût de l'indemnité à un peu plus de 203 millions d'euros, soit deux fois moins que le "coût maximal" qui avait été avancé par le gouvernement lors des débats sur la loi.

Selon la Cour, "un mouvement de rapprochement" des conditions de travail "entre fonctionnaires et agents contractuels se dessine, en étendant aux seconds certaines garanties dont les premiers bénéficient". Elle prône pour les agents contractuels la mise en place par les employeurs publics de "cadres de gestion proches des conventions collectives".

Avec la loi, les parcours professionnels devaient être plus "fluides". Mais quatre ans après, les progrès dans ce domaine sont "timides". Les dispositifs prévus par la loi "se déploient lentement". La Cour regrette notamment la persistance d'un entretien oral avec le jury pour le recrutement, via les concours sur titres, de personnels médicaux dans la fonction publique territoriale. Des agents d'autres filières (culturelle, technique et sportive) devraient pouvoir être recrutés sur simple présentation de leur diplôme ou de leur qualification professionnelle, plaide-t-elle.

"Application partielle des lignes directrices de gestion"

Conçues pour être un instrument stratégique de pilotage des ressources humaines, les lignes directrices de gestion font l’objet d’une "application partielle" et ne sont pas toujours suffisamment précises, critiquent les magistrats.

"Contrairement à ce qui était attendu", l’assouplissement des processus et le recentrage des attributions des commissions administratives paritaires - des instances de dialogue social - n'ont "pas permis de développer une offre de services et un suivi personnalisé plus performants" par les directions des ressources humaines, regrettent-ils par ailleurs.

Ce bilan en demi-teinte paraît au moment où le ministre chargé de la Fonction publique, Stanislas Guerini, prépare un projet de loi. Annoncée pour la fin de l'année, la réforme vise notamment à "mieux récompenser le mérite des agents", "fluidifier" les carrières des agents publics et "donner plus de marges de manoeuvre aux employeurs publics" (voir nos articles du 1er septembre et du 2 novembre).