« Ils ont encore tous 18 ans, ils ne sont que 15. C'est notre première promotion mais ne croyez pas qu'on les chouchoute. On reste militaires avant tout », prévient mi-rieuse mi-sérieuse le maître principal Anaïs. Bienvenue à bord de l'école « Ato » de Cherbourg-en-Cotentin. L'École des applications militaires de l'énergie atomique (EAMEA) a lancé à la rentrée 2023 sa nouvelle formation, un BTS « Maintenance des systèmes de production» en partenariat avec le lycée Alexis de Tocqueville. Objectif : former ses futurs atomiciens de propulsion navale. Ces spécialistes de la propulsion nucléaire navale exerceront à bord d'un des dix sous-marins nucléaires ou du porte-avions Charles de Gaulle. Gros avantage, les élèves sont payés durant leur formation (400 euros par mois) en échange d’un engagement pour l’État de 10 ans (formation incluse).

Lever des couleurs à 7h30 au petit jour

L'emploi du temps des élèves officiers mariniers est dense et minuté ce mardi de novembre : réveil à 6h00, petit-déjeuner, corvées de nettoyage des chambres et salles de classe, lever des couleurs à 7h30 au petit jour...La journée est déjà bien entamée quand débute à 9h00 le cours de géopolitique. À 11h00, fusil-mitrailleur astiqué sur la poitrine, place à la répétition de la chorégraphie pour les cérémonies du 11 novembre. Après le déjeuner, cours de sûreté nucléaire suivi d'une séance très physique de TIOR, comprenez « Technique d'intervention opérationnelle rapprochée » : indispensable pour savoir se défendre en cas de combat au corps à corps. De 17h30 à 18h30 pas de temps libre aujourd'hui mais une conférence sur le thème du porte-avions pour enrichir sa culture générale en matière militaire. « La formation couvre à la fois les savoirs académiques, militaires, scientifiques et techniques », explique le commandant Thibaut, en charge des formations initiales nucléaires.

À bord d'un sous-marin, comme dans l'ISS -la station spatiale internationale- vous devez savoir tout faire 

Officier marinier Nathan

« Plus tard, la majorité d'entre nous préférerait travailler sur un sous-marin », confie l'officier marinier Louane qui a découvert la formation via les réseaux sociaux de la Marine nationale. Le sous-marin conserve son attrait mythique et mystérieux auprès des jeunes recrues. « Ce n'est pas un bâtiment de surface, le mode de vie est à part. C'est un plus petit équipage que sur le porte-avions et ses 2.000 personnels ». Formation rémunérée et job assuré n'est pas la principale motivation. Vivre une aventure exceptionnelle les anime avant tout : participer à la force océanique stratégique -la FOST. « Et sous l'eau, comme dans l'espace, vous êtes confrontés à un environnement hostile », ajoute l'officier marinier Nathan. À bord d'un sous-marin, comme dans l'ISS -la station spatiale internationale- vous devez savoir tout faire. Chacun d'entre nous est une sorte de couteau suisse ».

Les élèves obtiennent un BTS reconnu par l’Éducation nationale.Corentin CHARLES

Une première sélection sur Parcoursup

La sélection des candidats est réalisée conjointement par le lycée, l'école militaire et le service de recrutement de la Marine. De janvier à mars, les lycéens de Terminale doivent donc mener deux candidatures en parallèle : une académique sur Parcoursup et une militaire auprès du Cirfa, le centre d'information et de recrutement des armées le plus proche du domicile. « La sélection militaire durait trois jours. Cela m'a un peu fait peur », se souvient Louane. Course à pied, squats, tractions pour les garçons, tirage de poulies pour les filles...il s'agit d'obtenir le maximum de points pour être retenu. Il s'agit aussi de réussir les tests psychotechniques. Un entretien psychologique vérifie si le candidat a bien compris à quoi il s'engage en signant son contrat : « Devenir militaire c'est avoir conscience qu'on va servir son pays, qu'on peut être appelé à aller au combat et -in fine- peut-être à devoir donner sa vie », prévient le commandant Thibault. « En entretien ils cherchent à repérer les personnes motivées », confie Nathan. « Il y a un petit bonus pour ceux qui ont fait une préparation militaire (PM) ou se sont déjà engagés dans la réserve citoyenne. De fait la majorité d'entre nous avons fait une PM ».

Un sous-marin ou un navire n'utilisent pas la même électricité qu'à terre, il faut donc adapter les cours 

Commandant Thibault


Pour dispenser la formation, civils et militaires se sont bien répartis les rôles. L'enseignement académique et technologique commun à tous les BTS MSP est assuré par le lycée Alexis de Tocqueville. L'enseignement militaire, maritime et métier est dispensé par l'école « Ato ». « Nous apportons aux élèves les compléments de formation pour ce qui touche au métier et au nucléaire », observe le commandant Thibault. Un sous-marin ou un navire n'utilisent pas la même électricité qu'à terre, il faut donc adapter les cours. De même nos systèmes de climatisation à bord demandent un niveau de formation qui n'est pas dispensé en BTS ». Louane, Nathan et leurs camarades deviendront aussi des experts en moteurs diesel qu'ils devront être capables démonter et remonter les yeux fermés. En matière de sécurité nucléaire, un module « Techniques du réacteur » leur permettra d'acquérir les premières bases. Ce cours leur sera à nouveau dispensé en plus détaillé au retour de stage. Enfin ils seront formés pour devenir assistant PCR, comprenez Personnel compétent en radioprotection.

La première promotion de ce BTS a fait sa rentrée en septembre 2023.Marine Nationale

Un à deux ans d'expérience à bord avant de préparer la licence pro


Leur BTS obtenu, les élèves militaires embarqueront durant un ou deux ans sur sous-marin ou navire de surface. Ensuite seulement ils retourneront suivre leur formation pratique complémentaire en vue d'obtenir leur licence professionnelle d'atomicien de propulsion navale. « Ils ont besoin d'engranger de l'expérience », explique le commandant Thibault. « Apprendre est une chose. Mais vivre, expérimenter, mettre les mains dans le cambouis, comprendre comment fonctionne une équipe en est une autre. Rien ne remplace la vraie vie à bord d'une unité ».