Data marketing : “Aujourd’hui, l’IA apporte plus un gain de productivité que du chiffre d’affaires”

Par Xuoan D. le 14/11/2023

Temps de lecture : 7 min

L’interview de Sylvain Bellier, Executive VP & co-directeur général d'Epsilon.

L’IA est en train de tout chambouler. Les lecteurs avisés de la Réclame pourraient nous retorquer que l’affirmation frôle la lapalissade. Certes. Mais quid d’un secteur comme le datamarketing, qui avait tendance à fortement s’automatiser à coup d’algorithmes et de données depuis le début du siècle ? L’IA est-elle aussi en train d’accélérer cette discipline stratégique pour générer du business pour les entreprises ?

Pour répondre à ces questions, nous convions aujourd’hui Sylvain Bellier, Executive VP & co-directeur Général d’Epsilon. Le fleuron datamarketing de Publicis Groupe a lancé cet été NEXT, son laboratoire d’innovation pour déployer l’IA avec dextérité au sein des entreprises. Or Sylvain Bellier a un point de vue qui détonne concernant l’IA appliquée au marketing. Celle-ci accélérerait actuellement la productivité, mais ne serait pas encore génératrice d’un business incrémental notable. Mais cela ne saurait tarder !

Quels sont les usages de l’IA les plus performants pour le datamarketing aujourd’hui ?

Sylvain Bellier : Une grande partie des cas d’usage de l’IA aujourd’hui sont liés au fait d’accélérer les métiers au quotidien, avec un time-to-market plus court pour les dispositifs marketing.

Prenons des cas concrets. L’IA peut m’aider à trouver des audiences beaucoup plus fines qui vont générer de la valeur et un ROI plus ou moins rapidement. L’IA pourra aussi m’assister sur une campagne que je mettais une semaine à concevoir, et que je dois désormais réaliser en deux fois moins de temps. L’IA me permet de faire plus de campagnes, plus d’analyses, plus d’optimisations, mais à ISO compétences et à ISO nombre de points de contact. 

Actuellement, tous les cas d’usage de l’IA où il y a une valeur notable, sont liés aux processus opérationnels. L’IA optimise ma productivité, mais plus rarement le chiffre d’affaires. Pourquoi je vous dis cela ? Car la donnée marketing est arrivée à maturité, en quelque sorte, avant l’explosion de l’IA. Faire de la segmentation client ? C’est courant depuis une vingtaine d’années. Le scoring des clients ou prospects [note attribuée en fonction de différentes données, NDLR] ou la personnalisation des contenus, aussi. Et donc, les revenus incrémentaux apportés par les nouvelles techniques d’IA ne sont pas encore significatifs. Les gains obtenus par la data ont déjà été optimisés depuis 15 ans environ. En revanche, l’impact de l’IA est beaucoup plus visible quand je l’intègre sur l’ensemble de mes process métiers. 

Je ne dis pas que l’IA n’agit pas sur le chiffre d’affaires des entreprises. Néanmoins, le ROI, c’est-à-dire le rapport entre ce qu’on investit et ce que cela rapporte, et le time-to-market aussi de la reconnaissance du ROI, tout cela génère avant tout des gains de productivité. Cela pourrait grandement évoluer à l’avenir.

Concrètement, comment se passe la création d’audience avec de l’IA ?

S.B. : Tout d’abord, l’IA pourra me proposer la meilleure audience qui va générer le plus de valeur. C’est ce que j’appelle du push. 

Ensuite, on peut demander à l’IA de nous aider en réactif, en fonction de la réalisation ou non de certains événements. Elle nous poussera alors certaines audiences corrélées aux événements que l’on aura définis.

Dans les deux cas, il y a quand même une intervention humaine pour se dire : “L’IA, tu dois m’aider.” L’IA, si on ne l’entraîne pas, si on ne lui demande pas ce qu’elle doit faire, elle ne vous sortira rien.

Pour illustrer, aujourd’hui, sur un programme, le responsable CRM va lancer un produit avec une campagne, en tentant d’identifier les meilleures audiences pour de la conversion ou de l’appétence. L’IA regroupera les meilleurs clusters d’audience, de façon très fine. Avec l’IA générative, on personnalisera le message en fonction de chacun, et on pourra savoir quel canal utiliser.

Mais le marketer peut aussi aller plus loin et dire à l’IA : “Tous les jours, j’ai besoin que tu m’identifies des audiences qui risquent de quitter ma marque.” Par exemple, un opérateur télécom pourra se voir présenter en proactif les clients qui sont susceptibles de quitter ou de résilier leur abonnement. Il aura alors de la latitude pour agir avant qu’il ne soit trop tard. 

L’IA permet d’identifier les bonnes audiences, mais aussi d’automatiser derrière. En envoyant par exemple des messages automatiquement. Des messages testés et mesurés au préalable, avant un déploiement à grande échelle. Et la différence est que l’IA va pouvoir apprendre campagne après campagne, contact après contact, et améliorer son modèle. C’est la grande différence par rapport aux algorithmes que nous utilisions avant que l’IA soit aussi accessible. Auparavant, il fallait une intervention humaine pour faire évoluer le code. Aujourd’hui, ce n’est plus forcément le cas.

Quelles sont les limites aujourd’hui de ces cas d’usage ?

S.B. : Une marque, pour rentrer en relation avec ses clients, a une multitude de points de contact. Les réseaux sociaux, le magasin physique, le call center, les e-mails, les push, le site web, l’app mobile ou encore WhatsApp et Messenger. Or, actuellement, il n’y a pas une solution qui est capable de réunir les données de tous ces points de contact. Nous n’avons pas encore “cracké” un tel modèle, obtenu un tel Graal. Et les plateformes n’ont pas forcément la volonté de permettre une telle interopérabilité. Pourtant, l’IA aura besoin d’une donnée fine, granulaire et de qualité, pour délivrer toute la valeur attendue.

La situation devrait évoluer à terme. Car tous les plans stratégiques des sociétés, notamment celles du CAC 40, mettent la data au cœur de leurs priorités. Pour arriver au Graal de la donnée unifiée, nous misons sur la vitesse d’exécution. Et c’est pourquoi nous avons créé le laboratoire d’innovation NEXT pour accélérer sur l’IA at scale.

Pourquoi avez-vous créé un tel laboratoire ? Des offres dédiées à l’IA n’auraient-elles pas suffi ?

S.B. : Le rythme de l’IA, cet impératif fort de time-to-market, nécessite pour une nous une équipe dédiée, un véritable package de services, ainsi qu’une mission : celle d’être un accélérateur.

Et derrière, cela répond aussi à un enjeu pour nos collaborateurs. Nous sommes positionnés comme leader et l’innovation est au cœur de la proposition de valeur d’Epsilon. Nous devons, à tout moment, le montrer à nos collaborateurs. Et cela passe par de grandes initiatives comme NEXT. De petites initiatives, projet par projet, ne suffiraient pas.

[Ce que NEXT représentait au 31 août 2023, d’après le communiqué de lancement : 
25 talents Data & Data Science mobilisés
6 projets par an
entre 2 et 6 mois de delivery
90 % à l’initiative d’Epsilon France
3 % du CA de l’entreprise]

Au sein de NEXT, privilégiez-vous les développements personnalisés pour vos clients, des solutions disponibles “sur étagères” ou un mix des deux ?

S.B. : Nous nous positionnons en hybride. Nous offrons à nos clients l’opportunité de choisir entre du “make” et du “buy”.

Nous sommes très proches de nos partenaires technologiques, qui mettent à disposition leurs nouvelles solutions, nous permettent de les tester, et partagent avec nous leurs roadmaps. Nous pouvons dire à nos clients, en fonction des besoins, des cas d’usage, des enjeux, “vous pouvez aujourd’hui vous appuyer sur des outils existants du marché”. Et a contrario, nous avons aussi des modèles pré-packagés où c’est vraiment un produit que nous avons développé et qu’on personnalisera pour nos clients. 

Typiquement, la brique MMM (marketing mix modeling) industrialisée que nous essayons de valoriser, c’est une brique qui repose sur certains outils du marché. Mais on y rajoute des algorithmes et des produits qui sont développés par nos propres équipes. À la fin, c’est un produit complètement packagé que nous mettons à disposition de nos clients.

Comment voyez-vous le sujet de l’IA pour le datamarketing évoluer dans les 3 années à venir ? 

S.B. : Nous vivons une nouvelle révolution industrielle. L’IA va bouleverser l’ensemble des secteurs et des process métiers. Cela ne concerne pas uniquement le marketing. Vous le savez déjà.

Ce que j’observe pour notre domaine, c’est la démocratisation des outils. La donnée, grâce à l’IA, ne sera plus portée que par les statisticiens. Cela ira au-delà de la science de la donnée et de l’IT. Nous l’observons déjà chez Publicis, avec des planneurs stratégiques, des concepteurs rédacteurs ou des producteurs de contenus qui manipulent les données grâce à l’IA, alors qu’ils n’y avaient pas accès auparavant. Cela va avoir un impact très clair sur les process métiers et le marketing.

Le marché foisonne, nous n’en sommes qu’au début de l’histoire. Nous allons rentrer dans l’ère de la démocratisation.

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