Donner la mort à un malade : la question divise les soignants. Alors qu’un projet de loi sur la fin de vie promis par Emmanuel Macron se fait attendre, Le Monde a sondé une dizaine de médecins, une psychologue, une infirmière. Chacun d’eux livre, à travers sa pratique, ses relations avec les malades, les épreuves personnelles traversées, les raisons qui font qu’il accomplirait – ou non – un geste létal. Certains confient l’avoir déjà fait.
Ces soignants se positionnent à un moment particulier : actuellement sur le bureau du chef de l’Etat, la copie du projet de loi que Le Monde a pu consulter dans une version remontant à début octobre prévoyait un accès à une « aide à mourir », l’acte étant « par principe réalisé par la personne elle-même ». Elle mentionnait aussi, si la personne est en incapacité physique de « s’autoadministrer la substance », l’intervention d’un médecin, d’un infirmier, voire d’un proche.
Alors qu’une grande partie des soignants, rassemblés autour de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) ces derniers mois, ont fait valoir que « donner la mort ne peut être un soin », d’autres blouses blanches envisagent ce geste comme un « ultime soin ». Sans chercher à mesurer l’équilibre des forces, voici des témoignages qui permettent, à hauteur de praticiens, d’explorer la question.
« J’étais là quand elle a fermé les yeux », se souvient la neurologue Valérie Mesnage, qui a endormi profondément, jusqu’à sa mort, Ingrid R. en 2018 à l’hôpital Saint-Antoine à Paris. Souffrant de la maladie de Parkinson qui l’empêchait de s’alimenter seule, la patiente avait réitéré auprès de la médecin « droit dans les yeux » sa « demande d’en finir ».
Depuis 2016, tout patient – en vertu de la loi Claeys-Leonetti – a le « droit » de demander une « sédation profonde et continue jusqu’au décès ». Accordée si les médecins estiment que la personne est en toute fin de vie, elle est mise en place si les douleurs sont jugées insupportables. L’agonie d’Ingrid R. aura duré trois jours. Au terme d’autres sédations pratiquées, Valérie Mesnage se souvient de « phases agoniques » de six voire sept jours. « Ce temps de survie, parfois insoutenable pour les proches, dur à supporter pour l’équipe médicale, quel sens cela a-t-il ? », s’interroge cette spécialiste de la maladie de Parkinson qui nous reçoit sous les combles de l’hôpital Cochin, à Paris. Les malades doivent pouvoir, dit-elle, « choisir une autre fin de vie ».
Le calvaire d’une cousine morte d’un cancer des os à 30 ans, dans d’« inhumaines » douleurs, l’a profondément marquée. Une forme d’impuissance du corps médical voire d’indifférence devant ses « souffrances inapaisables » avait révolté la jeune médecin, du même âge, qu’elle était. Son indignation est restée intacte. Résolue à faire évoluer la loi, Valérie Mesnage a été à l’initiative d’une tribune, publiée dans Le Monde le 8 septembre, signée par une centaine de soignants, dont plusieurs cités dans cet article. Assumer une euthanasie serait, poursuit-elle, « très compliqué humainement ». Mais endormir un patient jusqu’à la mort, qu’est-ce d’autre qu’une « euthanasie psychique puisque le patient est définitivement coupé de sa relation au monde ? La différence est qu’on laisse le destin décider de sa mort biologique ». Dans un cas comme dans l’autre, le médecin décide de la « bascule ». « Et c’est ce moment qui est difficile. »
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